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© Le Jour : Josiane Kouagheu
- 16 Apr 2016 05:40:17
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CAMEROUN :: Minawao : Le petit commerce pour oublier Boko Haram :: CAMEROON
Dans ce camp de réfugiés situé à l’Extrême-nord du Cameroun, des réfugiés nigérians ayant abandonné les terres et bétails au Nigéria suite aux attaques de la secte islamiste, se construisent une nouvelle vie.
Du nord du Nigéria où il est parti en pleine nuit, alors que les coups de fusil résonnaient dans tous les coins de son village, Ashu se souvient de tout. Il a surtout en tête les images « inoubliables » de cette nuit de mai 2015: la maison familiale qui prenait feu au loin, ses frères et soeurs qui allaient chacun de leur côté, les cris et les pleurs.
« C’était trop affreux », se souvient le jeune homme, assis sur une natte, devant une tente du Haut commissariat des nations unies pour les réfugiés (Hcr) à Minawao. Ashu a retrouvé ses parents, ses frères et soeurs qui, après des jours de marche, avaient « heureusement » pris comme lui, la route du camp de réfugiés. 11 mois après sa fuite, le jeune homme âgé de 23 ans tente d’oublier le drame et de se faire une nouvelle place dans sa nouvelle vie.
Dans l’immense camp de Minawao à l’Extrême-nord du Cameroun, près de 57 000 réfugiés tentent de se reconstruire comme le jeune Ashu. Du Nigéria où ils ont fui les exactions de la secte islamiste Boko Haram, certains n’ont pour unique « véritable » souvenir que leurs vêtements avec lesquels ils étaient vêtus. « Nous recevons beaucoup de réfugiés qui ont parcouru des kilomètres pour se retrouver ici, explique Hapsatou Sali, assistante au service communautaire du Hcr.
Ce sont pour la plupart, des victimes de Boko Haram. Ils ont chacun une histoire particulière et ici au camp de Minawao, ils trouvent la paix dont ils ont besoin et qu’ils recherchent ». La paix peut-être ! Mais, ces réfugiés ont besoin de plus. « Nous étions des agriculteurs et éleveurs dans nos villages au Nigéria. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus cultiver et il n’y a même pas de bétail ici », avoue un réfugié.
Pour survivre en dehors de l’aide fournie par le Hcr (nourriture : mil, haricots, blé… ), des réfugiés ont décidé de s’investir dans le petit commerce. A l’entrée du camp, à quelques mètres du terrain de football de fortune où des jeunes réfugiés courent après un ballon rond ce mardi, deux jeunes gens proposent aux passants des tomates et oignons, posés par petits tas sur des bâches étalées à même le sol. Oumarou est le propriétaire de l’étal de tomates. Ce mardi, son visage s’illumine à la vue de tout potentiel client. Oumarou ne parle pas un mot anglais. Pas grave, l’un des ses « potentiels » clients joue les traducteurs. « Je suis arrivé au camp il y a plusieurs mois. Je ne faisais rien. J’ai décidé de m’investir dans le commerce car, lorsque Boko Haram a attaqué mon village, je me suis enfui avec un peu d’argent dans les poches », détaille le jeune homme.
« Vendre pour défier Boko Haram »
Le prix des tas de tomates d’Oumarou varie entre 100 et 500 F. Cfa. S’il refuse dans un sourire de nous dévoiler son chiffre d’affaires, le commerçant assure tout de même « gagner un peu d’argent ». Près de lui, son collègue, vendeur d’oignon, ajoute : « on gagne surtout l’argent qui peut nous permettre d’acheter de la nourriture, quand ce que le Hcr nous donne finit, ou d’acheter d’autres choses ». Les deux jeunes hommes se regardent et éclatent de rire. Un rire vite effacé par la tristesse qui apparaît aussitôt sur leurs visages. « A Kamuya (nord-est), j’étais un éleveur. Je travaillais avec papa qui avait beaucoup de boeufs.
On n’a plus rien ici, soupire-t-il. Il faut souffrir pour avoir un naira (monnaie nigériane). Mais, je vais continuer à vendre pour montrer à Boko Haram que même ici, je vis ». Si certains réfugiés rencontrés disent vendre pour « nourrir leur famille » ou compléter la ration alimentaire donnée par le Haut commissariat des nations unis pour les réfugiés, la surpopulation de Minawao, surnommé « camp-ville » en raison de la taille de sa population comparable à celle d’une petite ville, de plus en plus grandissante, contraint certaines familles à se débrouiller. En effet, d’après Paterne Raoul Biapan Biapan, le camp enregistre environ « 57 naissances par jour ».
Une croissance qui de l’avis de l’administrateur national de protection du Hcr, accentue les besoins. « Nous sommes plus de 20 personnes dans notre famille ici au camp. Mes soeurs ont accouché. On n’a pas de nourriture et moi je ne fais rien », se plaint le jeune Yoahan Adam, 20 ans, débout à quelques mètres d’une tente où joue un petit garçon. Dans ce qui tient lieu d’église « chrétienne » : un grand hangar couvert de feuilles de pailles séchées, John Yako, 33 ans, devise avec deux hommes.
Dans leur conversation, ils évoquent leur vie au Nigéria. Près de lui, un jeune homme, père de quatre enfants se définit comme un « small seller » (petit commerçant). Il insiste sur le mot « small ». « Je vends de petites choses au marché du camp comme le cube. Mais, actuellement, ma marchandise est finie et je me repose », dit-il. Le « small seller» explique qu’à son arrivée au camp, il a cru qu’il pouvait vivre « uniquement » de la nourriture du Hcr. « Mais, après, je me suis rendu compte que ce n’était pas assez, reconnaît le jeune homme. Mes enfants mangeaient et nous ne parvenions pas, nous les adultes, à bien nous nourrir. Voilà pourquoi j’ai commencé à vendre ».
Dans le « camp-ville » de Minawao, des réfugiés, soucieux de leur indépendance financière, ont aménagé un petit marché. Pas aussi vaste ou fourni que ceux des grandes villes camerounaises, mais, le nécessaire pour la survie des réfugiés y est. « Au marché, on y trouve des produits alimentaires comme des condiments, du riz, de la viande, du mil…On y trouve aussi des vêtements, des chaussures, des ballons de football », renseigne un réfugié. A quelques mètres de John et ses deux amis, un jeune homme attache à l’aide d’une corde, du bois et des feuilles de pailles. Il fait de petits tas qu’il dépose par la suite les uns sur les autres. Le jeune homme se rend dans les forêts proches du camp pour chercher sa marchandise.
« On meurt de soif »
Par la suite, ces tas de bois et de pailles sont acheminés au marché du camp. « Je les vends là-bas. Mais, les clients arrivent aussi pour les acheter ici, précise-t-il, concentré à la tâche. Ça me donne un peu d’argent pour acheter de la nourriture et satisfaire mes besoins ». Si certains peuvent « facilement » avoir de l’argent pour acheter quelques aliments, il y a une chose dont l’argent durement gagné par ces réfugiés ne peut pourtant pas acheter: l’eau. « A Minawao, la soif est un véritable problème, jure un réfugié, le ton plein de colère.
Trouver de l’eau est un combat, un gros combat. On meurt de soif ici ». En fait, des centaines de bidons d’eau sont visibles dans les points d’eau. Enfants, vieux et jeunes, débout, attendent l’ouverture des robinets. « L’eau distribuée par le Hcr est de très petite quantité. Ce n’est pas assez pour tous les réfugiés », s’indigne Ashu. « Boko Haram nous a chassés du Nigéria. C’est la soif qui va nous tuer ici », ajoute, malheureux, un autre réfugié. En effet, les réfugiés qui, « normalement », devraient vivre avec 21 litres d’eau minimum par jour et par personne, vivent avec moins de 14 litres.
Ce que reconnaît Paterne Raoul Biapan Biapan. L’administrateur national de protection du Hcr explique que le Haut commissariat des nations unies ne fournit que 47% de l’eau distribuée au camp (634 m3 en tout par jour). «53% viennent du système ‘’Water Tracking’’(transport par camions) de Médecins sans frontières. D’ici mai, nous aurons un point d’adduction d’eau ici et je pense que ce problème sera résolu », assure-t-il. Malgré cette soif qui les ronge, les réfugiés refusent de baisser les bras. Dans les tentes, l’heure est plutôt tournée vers les projets d’avenir.
Vendre pour oublier Boko Haram mais aussi, économiser assez d’argent pour retourner un jour s’installer dans leur Nigéria natal. Toujours assis dans l’église en compagnie de ses deux compères, John Yako, l’air nostalgique, évoque avec regret « sa vie d’avant ». Il n’en revient toujours pas de vivre dans une « si » petite chambre avec sa famille. « Aujourd’hui, je ne fais rien, même pas le commerce », lâche-t-il, visiblement étonné de son état. Mais, comme les 57 000 réfugiés, avoir survécu aux attaques de Boko Haram est sa plus grande victoire. AMinawao, l’avenir se joue désormais sur d’autres fronts.
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