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© Camer.be : Interview réalisée par Alain Ndanga
- 25 Aug 2025 09:08:16
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CAMEROUN :: Barthélémy Toguo « J’exerce pleinement mes responsabilités d’artiste Unesco pour la paix » :: CAMEROON
Dans un entretien exclusif accordé à la rédaction de Camer.be, le promoteur du complexe culturel, Bandjoun Station, qui se dresse fièrement dans la ville de Bandjoun, département du Koung-Khi, région de l’Ouest-Cameroun, le plasticien de renommée internationale, artiste Unesco pour la paix, parle de deux commandes publiques autour de deux projets artistiques d’envergure financés par les institutions publiques. Il s’agit d’une fresque murale réalisée à l'ambassade de France, célébrant la relation historique entre la France et le Cameroun ; et de son œuvre décorative sur la ligne 5 du tramway écologique de la ville de Montpellier qui sera mis en service dès décembre prochain.
Selon quelle approche avez-vous conçu la fresque murale, inaugurée le 14 juillet 2025, à l'ambassade de France ?
J'ai répondu à une demande de l’ambassadeur de France au Cameroun, Thierry Marchand. Il me fallait aussi m'intégrer un tout petit peu dans la profondeur du passé coloniale entre le Cameroun et la France. J'ai pu faire une illustration de ce qui s'est passé et de ce qu'il fallait continuer à faire pour l'avenir. En tant que plasticien, je me suis inspiré de l'allégorie d'un gigantesque arbre qui naît suite à une rencontre entre la France et le Cameroun et qui a eu des douleurs dans le passé du fait que les Camerounais aient revendiqué, aient milité, et manifesté leur envie d'avoir leur indépendance. Ça a été une période très difficile où il y a eu une tragédie. Et donc les racines de cet arbre sont constituées des crânes qui représentent le passé et ceux qui sont décédés. L'arbre de cette relation grandit et sort de la terre comme il est visible sur ce dessin. Ces deux pays, de par les couleurs bleu- blanc-rouge (France) ; et vert-rouge-jaune (Cameroun), ont fait un parcours ensemble où le Cameroun a partagé avec la France des échanges bilatéraux avec la sortie de ces grands bras qui sortent ici et là, de la gauche vers la droite, poussent ensemble et s'assistent mutuellement. L'arbre grandit et arrive au sommet, donne des fruits pour ainsi célébrer la vie.
Pourquoi une fresque murale selon les techniques classiques ? Est-ce pour magnifier le lieu de pouvoir (l'ambassade de France) et d'en raconter un récit ? La fresque est-elle considérée comme une pratique la plus noble ?
Il fallait imaginer quelque chose qui devrait rester à l'extérieur et capable de résister aux aléas climatiques, donc tenir dans la durée malgré des attaques atmosphériques. Bien que nous ayons une meilleure qualité de la peinture actuelle dans le monde, il se trouve qu’après une décennie, elle commence à se dégrader, à perdre de sa couleur originelle, à refuser d'adhérer sur les murs, entre autres. Pour avoir un résultat durable, j'ai pensé à utiliser une technique que j'ai déjà essayée sur les murs extérieurs de Bandjoun Station. Il s’agit d’une mosaïque que j'ai découverte dans la ville de Barcelone en Espagne, en visitant les travaux d'Antoni Gaudí, un grand artiste architecte espagnol qui a utilisé la mosaïque pour décorer ses œuvres. Et j'ai visité le parc Güell et la cathédrale de la Sagrada Familia (Cathédrale des pauvres, ndlr) qui est encore en construction. J'ai utilisé cette technique pour imperméabiliser les murs de Bandjoun Station, parce que dans cette localité (région de l’Ouest) située en zone équatoriale, les précipitations sont assez régulières. L'ambassadeur a validé ce choix pour la technique de l'œuvre que je devais réaliser. Cette technique convient bien à l'œuvre réalisée sur le plateau Atemengue, et on en a pour mille ans de résistance contre toutes les intempéries (soleil, pluie, poussière…). Les Camerounais découvrent là, une partie de ma démarche artistique que je n'ai pas beaucoup montrée jusqu’ici. C’est donc un honneur pour moi d'avoir réalisé cette œuvre avec cette démarche qu'est la mosaïque qui au-delà de ma peinture et de mes sculptures, est l’une des choses que je sais faire.
Vos œuvres se célèbrent dans un contexte où la France reconnaît avoir mené une guerre au Cameroun pendant la décolonisation. Comment le ressentir dans votre travail créatif ?
Mon art informe et convoque l'histoire à travers des récits violents qui se sont déroulés au Cameroun lors de la colonisation française. Je n'ai eu de cesse d'exposer un travail sérieux autour du peuple bamiléké, qui a été massacré dans les années 60 par des forces complices dont la violence a été tenue impunie. A ce jour, le voile se lève et la France reconnaît ses crimes revendiqués par les Camerounais. Je suis Bamiléké de Bandjoun ; j'ai remarqué que toute la population était meurtrie en voyant les hélicoptères déverser du napalm (arme de destruction et de terreur) sur les villages Mbouda et Bangou (région de l’Ouest), entre autres. Depuis 2014, je rends hommage aux femmes et hommes en les relevant au stade de héros par des portraits avec sur leur visage, des cartes postales collées à leur insu, mais les valeurs auxquelles ils adhèrent sont inscrites et constituent le contour de leur portrait. J'aurai l'occasion de les montrer encore et encore. D'ailleurs les dessins et les bas-reliefs sont visibles actuellement à la BNF Richelieu en France dans mon exposition « Le monde pour horizon », jusqu’au 7 septembre prochain.
La France a célébré votre travail en vous décernant une distinction honorifique. De quelle manière formuleriez-vous vos reconnaissances pour cette marque d’attention ? Est-ce pour la fresque que vous avez réalisée à la résidence de France ?
J'ai été honoré Officier des Arts et Lettres par la France, et c'est une nomination qui est venue depuis l'Hexagone. Cette distinction n’est pas du fait de mon œuvre sur les murs de l'ambassade de France au Cameroun. Je l'ai eue par la volonté de l'Élysée qui me rendait hommage par rapport à mon parcours artistique à travers le monde et de ma double appartenance : en tant que Camerounais et ressortissant naturalisé Français. Le fait que j'étais à la Biennale de Sydney, mais aussi que je suis à la Tate Modern à Londres, que je sois dans la collection du Moma à New York, et que je venais de faire la moitié d'une année à la Pyramide du Louvre à Paris, ont milité à cette nomination. J’avais formulé le vœu de recevoir ma nomination d'Officier dans mon pays d'origine. Ce qui a été accepté. L'ambassadeur de France au Cameroun en poste ne pouvait que me donner la médaille lors de l’exposition « Returning home » du 19 juillet au 30 septembre 2024 à l'Institut français au Cameroun, site de Yaoundé.
La ville de Montpellier inaugurera le 20 décembre votre travail créatif sur le tramway écologique gratuit (Ligne 5) de la ville. Quelle a été la démarche relative à cette œuvre qui est parmi les plus importantes de votre trajectoire ?
Je me suis inspiré d’un ensemble d’éléments de la biodiversité pour faire une proposition sur le décor de cette ligne qui va traverser des points écologiques qui animent la ville de Montpellier. Je ne pouvais que faire une production issue du monde végétal et du monde animalier parce qu'il traverse aussi un zoo et des parcs. Ces points capitaux et décisifs m'ont amené à faire cette proposition sur la ligne 5 du tramway. On y voit des arbres qui traversent des crocodiles, des oiseaux et des animaux marins. Là, c'est la vision de la diversité qui est représentée. C'est sur ces bases que j'ai eu à imaginer le dessin qui a été le projet retenu (après un appel lancé par la mairie de la ville, ndlr) pour le décor du tramway de la ligne 5. J'ai pris trois mois pour réfléchir au quotidien dans mon atelier à Paris. J'ai fait deux visites dans la ville de Montpellier pour revoir le circuit que devait traverser la ligne 5. Il part au Nord de la ville et traverse le Centre, tourne et ressort dans la ville vers le Sud. Les points que cette ligne traversait étaient importants pour moi. J'ai voulu accentuer cette dimension écologique très forte dans mon dessin ; et je crois que c'est cela qui a dû capter l’attention de la mairie.
Vous êtes artiste Unesco pour la paix. Comment assurez- vous d’une part la responsabilité et ainsi que votre engagement pour le développement durable, notamment sur les questions d’eau, de réchauffement climatique, d’environnement, d’éducation et de santé ?
Je dirai qu’à travers mon travail de création, je participe à des rencontres dans le monde où je donne mon point de vue sur la capacité à l'être humain d’intégrer la paix dans son environnement et qu’elle est le gage de tout développement. Un ambassadeur, c'est celui qui va prôner tout cela. Puisque je l'ai déjà fait par mon travail depuis plus de trente ans, en l’occurrence porté sur des thèmes variés avec une dimension sociale forte comme les migrations des Êtres humains et qu'on devait aider les populations du monde à accepter leur migration, leur déplacement, leur arrivée ici et là pour plusieurs raisons qui surgissent et méritent aussi des conditions de vie. Lorsque je donne mon nom pour les parrainages des causes sociales dans le monde, c’est dans le sens de mes responsabilités. Tout récemment, j'étais au Cameroun avec pour la cause d’un jeune compatriote (installé au Luxembourg, ndlr) qui a pensé à l’accès à l’eau potable et les questions d’assainissement au Cameroun. Il a décidé de faire un effort pour offrir de l'eau potable aux populations et m'a sollicité d'être le parrain de ce projet. Et être parrain, c'est être disponible à encourager des projets de dimension sociale pour la qualité de vie de nos compatriotes. C’est l’une des manières d'exercer mon titre d'ambassadeur de la paix de l'Unesco. Avec mon titre d'artiste de la paix, je dois être disponible et disposé à encourager des projets qui ont une dimension sociale humaine forte, d’encourager des projets pareils dans le souci d'avoir une qualité de vie saine à nos populations.
Bandjoun Station, un centre d'art de formation, d’échanges à part entière bénéficie d'une notoriété locale, nationale et internationale. Le pôle nourricier constitué par la production agricole … Comment imaginer son évolution vers un modèle itinérant pour des expériences immersives ? Y a-t-il encore des choses à faire ?
Le projet d’implémentation de Bandjoun Station n’est qu'au début. Ce que nous avons fait jusqu’ici n'est qu'une étape. Ça a commencé avec l'implantation d'un lieu physique concret avec une adresse. Il y a un lieu où les artistes africains pouvaient venir explorer et peaufiner leurs travaux avec une salle d'exposition, des événements tels que le festival que j'ai associé à ce projet pour encourager les jeunes chanteurs et les jeunes slameurs à diffuser leurs créations. Nous avons eu l'idée d'acquérir des terrains pour créer une exploitation agricole et le lier à ce projet à l’effet de produire ce que nous consommons avec l’accent mis sur la qualité. A cet effet, j'ai créé des plantations d'abord de caféiers puis de production des tubercules de manioc, de bananes, de pomme de terre, de haricot (très riches en protéines végétales). A chaque fois on organise des fêtes de récolte où on distribue gratuitement cette récolte aux populations de Bandjoun. Nous leur prodiguons des conseils dans le sens de ne pas prendre des semences de maïs transgéniques produits par Monsanto, transformés par Monsanto qu'on leur donne pour tuer leurs graines qu'ils ont depuis des décennies et que leurs parents, les grands-parents ont toujours utilisées pour leur consommation et pour leur semence de la campagne agricole suivante.
Peut-on savoir un peu plus de la bibliothèque de Bandjoun Station que l’on dit détenir un catalogue complet de la représentation des pratiques artistiques de l’art contemporain d'Afrique ?
Bandjoun Station détient l'une des plus riches bibliothèques sur l'art contemporain sur le continent parce que non seulement la collection de la bibliothèque a été remise par le deuxième musée d'art contemporain français qui est le musée d'art contemporain de Saint-Etienne métropole. Nous avons de nombreux ouvrages sur cette matière. J'ai droit à trois valises dans le vol d’Air France et je ramène les catalogues qui se tiennent aujourd'hui à Miami, New York ou à Paris. Je profite de cette tribune pour inviter les chercheurs, les historiens de l’art, des artistes, des étudiants des écoles de beaux-arts, à venir s'inspirer et se documenter avec ce que nous avons dans cette belle bibliothèque.
Que dire du Musée Bandjoun Station en termes de collection permanente et de sa constitution en termes de collecte ?
Le projet du musée est continu et il tient la route. On est à notre 12e année d'existence. En cette 12e année, on a douze catalogues déjà produits, donc un catalogue par an. Dans des activités réalisées sur place à Bandjoun Station, on a pensé qu'il fallait matérialiser avec des traces concrètes par une fabrication d'un catalogue d'une centaine de pages relatives aux activités que nous organisons ici. C'est un atout et voilà un peu comment le musée au final après plus de dix ans, plus d'une centaine d'artistes du monde entier ont exposé leurs travaux à Bandjoun Station. Nous inaugurerons bientôt dans le quartier Dragages (arrondissement de Yaoundé 1, ndlr), au niveau du conseil économique et social à Yaoundé, un musée d'art contemporain, qui sera également l’un des meilleurs en Afrique centrale.
Nombre de vos pairs vous reconnaissent comme plasticien de référence, bien plus que mentor pour la jeune génération du continent et du Cameroun. Quels conseils à leur endroit et surtout à ceux qui s’inspirent de votre démarche créative ?
Aux jeunes frères, je ne le dirai jamais assez : il ne faut jamais arrêter de travailler. L'écrivain brésilien, Paulo Coelho, le disait fort opportunément : « en allant vers les choses, les choses viennent vers vous ». Donc à force de travailler, de continuer à chercher, d'avancer, vous découvrez d’autres pistes, des techniques, des démarches, des formes nouvelles et vous trouvez votre signature. Je suis très touché de savoir que des artistes camerounais (et africains en général) s'inspirent de ma démarche. Il s'agit d'une appropriation et d'une relecture avec une interprétation personnelle conduisant à un travail « autre », nouveau, avec des composantes inédites. C'est une manière de transmettre la continuité de travailler et de trouver sa propre écriture et signature que l'on célébrera. Ils doivent trouver des espaces de diffusion pour partager leurs expériences et créer un espace d'échanges fructueux. L’une des choses à rayer dans leur écosystème c’est d’éviter la haine gratuite et la concurrence malsaine, la jalousie ; mais de créer un milieu favorable et sain pour avancer et se passer des informations sur des opportunités. Toutes ces attitudes positives permettront de créer un environnement propice au développement des industries culturelles et créatives au Cameroun.
Quelques expositions à travers le monde ?
Faith Can Move Mountains (Esslingen, Allemagne : 2022)
Fragilités (Prague, R Tchèque : 2023)
Paris, France– Pyramide du Louvre, Paris : 2023
Barcelone, Espagne– Musée Picasso de Barcelone 2022
Kingdom of faith (Cannes, France : 2021)
« Désir de l’humanité Paris, France. Musée du Quai Branly : 2021
« Bilongue » (Cape Town Stevenson Gallery, 2020)
Urban Requiem (Galerie Lelong & Co, New York, États-Unis 2019)
« Of Blood and Water » TARBES, Le Parvis, France : 2019
Wouri, Donga, Sanaga, Galerie Lelong & Co, Paris, France 2019
« Incarnations » Bozar, Bruxelles, Belgique 2019
« Désir d’humanité, les univers de Barthélémy Toguo » Musée Du Quai Branly, Paris 2020
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