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© AFRIKSURSEINE : Ecrivain/Romancier Calvin DJOUARI
- 08 Sep 2025 15:52:47
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FRANCE :: J’AI LU POUR VOUS : LA VENGEANCE DE POUTINE DE MOUFTAOU BADAROU
Le roman de Mouftaou Badarou « La vengeance de Poutine », paru aux éditions Lumina à Paris est un chef-d’œuvre du romantisme contemporain de par ce mélange de tons qui crée un contraste entre description élégante et éléments banals ou prosaïques. L’auteur s’illustre d’abord, par le vocabulaire employé, puisqu’il manie aisément un registre soutenu et des termes plus neutres, proches du langage courant : « chemise-cravate », « trottoir », « échafaudage », afin de montrer à quel niveau tous les lecteurs sont interpellés.
Au début de l’œuvre, on note une précision toponymique (rue, arrondissement, noms propres) qui inscrit le récit dans un espace urbain réel et identifiable (Paris, 17ᵉ arrondissement, rue Ampère, rue Puvis de Chavannes). Dans ses textes, Badarou montre qu’il aime les phrases longues, souvent paratactiques, juxtaposant des actions sans toujours recourir à la subordination. Exemple : « Michel de Closets longe le trottoir de la rue Puvis de Chavannes il passe sous l’échafaudage… » Cette structure donne une impression de flux narratif continu, mais parfois au détriment de la clarté grammaticale pour préparer le lecteur au suspense.
C’est pourquoi il adopte une focalisation externe en décrivant les gestes, attitudes et déplacements du personnage dans ce début d’œuvre, sans entrer dans ses pensées. Un habitué des films d’espionnage perçoit très vite comment cette partie renforce l’effet cinématographique : on « suit » Michel de Closets dans la rue, comme à travers une caméra subjective.
L’usage des toponymes précis et des détails concrets : « brasserie du bouquet Wagram », « chemise-cravate », « briquet en marqueterie rouge » participe à un réalisme minutieux, et même, comme diraient les écrivains réalistes du XIXᵉ siècle tels Honoré de Balzac, célèbre pour La Comédie humaine décrivant une vaste fresque de la société française de son temps, à ce que l’on pourrait appeler un « réalisme merveilleux ». Mais si l’on n’y prend pas garde, on verrait que ce réalisme merveilleux évoque presque une écriture journalistique, où le cadre urbain est mis en valeur avec une ambiance d’abord mondaine : dîner à la brasserie, salut courtois, raffinement du cigare. Puis elle bascule vers une tonalité de suspense et de thriller avec l’apparition de « l’ inconnu » qui suit le protagoniste.
On passe du quotidien anodin au danger latent, ce qui installe un climat de tension narrative. Et » Sans se douter qu’un inconnu vient de lui emboîter le pas » crée un effet dramatique immédiat. Tout est mis en scène dès le début de ce roman : le contraste, le luxe et l’élégance cigare, marqueterie, brasserie chic, opposés à la menace obscure (filature dans la nuit, échafaudage inquiétant). Badarou privilégie la description réaliste, mais cherche aussi à créer une tension dans ses textes en semant des indices d’inquiétude, comme on le verra par la suite dans cette situation qui mène très vite à la peur et à la menace : » braqué « , « tremblent » « doigt crispé », « gâchette », « arme ».
La force de cette description réside dans le fait présidentiel et le syntagme « plein Paris » qui accentuent la dimension exceptionnelle de la scène, inscrivant le danger dans un cadre habituellement associé à la sécurité et à l’ordre. Il y a donc cette phrase-choc du début : « Il est en effet rare qu’un conseiller présidentiel soit braqué en plein Paris. » C’est une attaque frontale qui capte l’attention par son caractère paradoxal et improbable : ce qui « est rare » devient l’événement qui va fonder le récit.
La suite plonge immédiatement dans l’action, sans transition ni description. Michel de Closets : sa panique transparaît dans son discours haché, ses lèvres qui « tremblent de peur ». Le langage direct traduit sa vulnérabilité humaine malgré son statut officiel. L’inconnu : réduit à une image glaciale, « reste de marbre », « doigt crispé sur la gâchette ».
L’absence de dialogue de sa part le rend impénétrable et menaçant, entre la parole paniquée de Michel de Closets et le mutisme glaçant de l’agresseur. Amplification sonore : « voix déformée, amplifiée par le silence de la nuit », usage d’une métaphore auditive qui dramatise la solitude et l’angoisse du moment. Le suspense naît de l’absence de réaction de l’inconnu, qui maintient une tension extrême et suspend l’action. Par ce début de texte, l’auteur réussit à unir réalisme (un braquage nocturne à Paris) et dramatisation littéraire dans un effet de surprise qui mêle intensité émotionnelle. Le ton est tragique et inquiétant et prépare le lecteur à un récit d’intrigue politique ou policière. Plus loin, dans un romantisme poétique assumé, Badarou décrit le quartier, puis la ville de Saint-Denis, fief d’Africains badauds dira-t-on, dans un texte d’une grande beauté.
Très vite, un champ lexical dominant s’impose, traduisant la dégradation et la marginalité : « outrage du temps », « façade noircie », « bric-à-brac », « tisonnant », « pots de peinture vides ». À ce lexique se juxtapose un vocabulaire institutionnel et officiel : « fronton », « enseigne de la SNCF ». Ce contraste accentue la tension entre l’ordre public (la gare, symbole d’État) et l’informel social (le marché de fortune, les sans-papiers). Dans africains sans-papiers y vendent…, l’auteur adopte une focalisation externe et descriptive : il peint l’espace, les corps et les actions, sans pénétrer la subjectivité des personnages. Cette neutralité apparente produit un effet de témoignage social, proche d’un documentaire. C’est ici que s’affirme un style littéraire digne d’un romancier.
D’abord par la personnification : « la gare… l’outrage du temps », où la gare devient un être blessé, marqué par l’histoire. Ensuite l’antithèse implicite : entre la « façade noircie » (vieillissement, saleté) et le « bâtiment annexe » qui « paraît moins sinistre ». Puis surgit la comparaison marquante : « qui ressemble à un camp de réfugiés », image choc qui place la gare dans une dimension dramatique et humanitaire. Enfin, l’énumération : Africains vendant du bric-à-brac, d’autres grillant de la viande, femmes racolant, accumulation réaliste qui confère au tableau une densité visuelle et sociale. Le ton demeure critique, sombre et réaliste, proche du naturalisme : il met en lumière la dégradation matérielle et sociale d’un lieu public. L’ambiance évoque une marginalité urbaine où s’entremêlent pauvreté, débrouille et survie.
Dans cette structuration romanesque des idées, la gare est présentée comme un personnage central mais obsolète, symbole du passage du temps et de l’abandon institutionnel. La présence de l’enseigne officielle de la SNCF juxtapose l’image de l’État et la réalité chaotique du parvis. Ce contraste nourrit une tension romanesque : l’ordre officiel recouvert par le désordre social, à travers un tableau humain, microcosme de la précarité, où se côtoient sans-papiers, vendeurs de rue, cuisiniers de fortune et femmes racoleuses.
Ainsi, la gare devient un lieu de survie collective, un espace où se croisent différentes figures de la marginalité. La scène prend la forme d’un tableau naturaliste, peuplé de personnages typés, dessinant une fresque sociale d’une force visuelle remarquable. Le lecteur comprend dès lors que ce roman abordera des enjeux sociaux, migratoires et politiques, inscrits dans un espace concret et fortement connoté. Ce fil rouge s’impose d’ailleurs tout au long de l’ouvrage, dans cette ville-lumière qu’est Paris, miroir des contrastes les plus vifs.
Un lecteur averti avec qui j’ai partagé l’expérience de la lecture résume ce livre en ce terme.
« Lorsqu’un enjeu géopolitique sert habilement de toile de fond à une fiction, il peut donner naissance à un roman d’espionnage particulièrement prometteur. La Vengeance de Poutine, dernier opus de la série initiée en 2014 par Mouftaou Badarou, entraîne ainsi le lecteur sur les traces d’un redoutable espion russe en plein cœur de Paris. Au centre de l’intrigue se dresse Vladimir Orlov, attaché militaire à l’ambassade de Russie et personnage retors, d’une redoutable complexité. Mandaté par Sergueï Narychkine, directeur du SVR, il reçoit pour mission d’infiltrer le palais de l’Élysée. Dans quel dessein ?
L’auteur entretient savamment le suspense et ne lève le voile que progressivement, au fil d’une écriture exigeante et d’un récit mené tambour battant. L’action s’articule autour de l’élimination méthodique de témoins compromettants, entreprise par Orlov lui-même, tout en étant traqué par Jimmy Boris, agent opérationnel de la DGSE. Mouftaou Badarou excelle à tisser les fils de son intrigue dans le contexte toujours brûlant d’une « guerre froide » qui ne dit pas son nom, opposant encore la Russie à l’Occident. Certaines scènes, en apparence secondaires, acquièrent toute leur importance à l’heure du dénouement. Ainsi, le monologue du traître Martin Laval (pp. 119-120) ne révèle toute sa portée que dans les dernières pages.
De même, la séquence où la maîtresse d’un tueur à gages attire Jimmy Boris dans un guet-apens à Saint-Denis ne livre sa vérité qu’au terme du récit : on découvre alors que cette femme n’était pas complice, mais victime, dupée par son propre amant. Le roman demeure néanmoins un polar d’action intense. La tentative d’assassinat visant Jimmy Boris (pp. 143-145) est décrite avec une force dramatique et un réalisme saisissant, qui en font l’un des passages les plus marquants de l’ouvrage. Mais au-delà du seul registre de l’espionnage, La Vengeance de Poutine propose aussi une méditation sur la condition humaine. À travers la figure de Martin Laval, l’auteur illustre avec acuité combien la vénalité peut conduire l’homme à la plus sombre des déchéances : celle de trahir sa propre patrie.
La vengeance de Poutine, éd. LICHT, septembre 2025, 196 p., 16 €.
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