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© AFRIKSURSEINE : Ecrivain et Romancier Calvin DJOUARI
- 14 Dec 2025 17:21:54
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FRANCE :: ON M’A SOUVENT DEMANDE SI JE RETOURNERAI VIVRE DANS MON PAYS
On m’a souvent demandé si je retournerais dans mon pays pour m’y installer définitivement. Ma réponse a toujours été non. En défendant l’idée que la patrie n’est pas un sol figé, mais le lieu où l’on choisit de vivre. . Je suis parti de mon pays parce que j’en avais assez des souffrances. À un moment donné, ma tête menaçait d’exploser, tant il n’y avait aucun début de solution. Pendant des jours, il me manquait à peine cent francs pour payer la moto d’une amie venue me rendre visite. Ma détresse était telle que je croyais être maudit. Et lorsque j’ai décidé de partir, à peine avais-je posé les pieds ailleurs que je respirais déjà l’espoir. Ce fut d’abord le Gabon, puis le Sénégal et la Mauritanie.
En Occident, j’ai gagné en un an ce que je n’aurais jamais pu gagner en dix ans au Cameroun. Imaginez rester dix…vingt…trente ans dans la misère . J’ai encore des familles et des amis qui vivent ce sort-là. Le départ a creusé en moi une faille, et c’est de cette faille que je tire aujourd’hui ma lucidité. Elle m’a appris que les identités ne sont jamais figées ; elles se déplacent, se recomposent, se frottent au réel. Elle m’a aussi montré l’injustice nue, celle qui ne se cache même plus, dans les regards, dans les papiers, dans les murs. Être écrivain immigré, c’est écrire avec un double regard ; celui du dedans et celui du dehors. C’est être à la fois le témoin et le contrepoint. Mais c’est aussi une force. Une chance. Une profondeur que je n’aurais pas eue autrement. Écrire depuis l’Europe, c’est écrire avec plus d’urgence, plus de vérité.
On n’écrit pas pour plaire, mais pour comprendre, parfois même pour survivre. Être ailleurs m’a appris que la langue est un abri et que, même sans terre, on peut planter des racines dans chaque phrase. Partir m’a permis d’étancher ma soif de liberté intellectuelle. Parfois, l’écrivain se sent prisonnier d’un environnement où la pensée est étouffée, où les mots sont surveillés. Dans un tel contexte, quitter son pays devient un acte de respiration ; il cherche un espace où il pourra penser, écrire et rêver sans craindre d’être jugé ou réduit au silence.
L’exil devient alors une manière d’élargir son souffle créateur. Il y a aussi la fuite de la misère matérielle. La pauvreté, lorsqu’elle devient étouffante, peut éteindre l’élan créatif. Je suis parti de mon pays non pas pour fuir mon identité, mais pour offrir à mon esprit les conditions matérielles nécessaires à sa liberté. Je rêve d’un lieu où l’écriture puisse se nourrir non de la survie, mais de la plénitude de vivre. J’ai quitté le Cameroun parce que j’y ressentais parfois une lassitude profonde, un vide, une impression d’être cerné par la stagnation. Je suis parti non par rejet, mais pour me retrouver, pour me renouveler. L’ailleurs devient alors un laboratoire de l’âme, un champ fertile où l’on replante ses mots et cultive de nouvelles idées. Il y a aussi la quête d’un regard nouveau.
En restant trop longtemps dans le même environnement, la création risque de tourner en rond. En partant, l’écrivain cherche un autre angle, une autre lumière, un autre rythme du monde. L’ailleurs lui permet de se décentrer, de voir son pays de loin et donc de mieux le comprendre et le raconter. C’est cela, l’appel universel de l’écriture. Pour l’écrivain authentique, l’écriture n’a pas de frontières. Lorsqu’il quitte son pays, c’est souvent parce qu’il entend en lui l’appel de l’humanité tout entière. J’aimais mon pays profondément, mais j’avais le sentiment d’y manquer d’air, d’espace pour penser et créer librement. Il y avait en moi ce besoin d’ailleurs, de confrontation à d’autres regards.
Ce départ fut moins une fuite qu’un appel. Oui, il y avait bien sûr le fantasme de l’ailleurs, puis le réel qui vous attend : l’étrangeté des rues, l’accent que l’on ne comprend pas, les silences glacés, le regard de ceux qui vous rappellent que vous êtes un venu d’ailleurs. C’est dur, et je l’assume et j’y demeure. Le Cameroun est une perle. Il est pour moi une source ambivalente ; à la fois matrice et blessure, racine et tourment. En tant qu’homme, il reste le lieu d’où je viens, et cela ne changera jamais. J’y ai appris la parole, l’endurance, la dignité et la douleur. C’est une terre complexe, polyphonique, où les contradictions dansent ensemble, parfois en harmonie, souvent en tension. C’est aussi un pays qui me manque, même lorsque je m’en éloigne pour ne plus souffrir. En tant qu’écrivain, le Cameroun est l’humus d’où jaillit chaque mot que j’écris.
Même dans le départ et dans la distance, j’écris en pensant à lui, comme à une mémoire organique. Mais c’est aussi un pays qui, parfois, rejette ceux qui l’aiment. Il existe une incompréhension profonde entre le pouvoir et la culture, entre la politique et la création. Pourtant, je continue à croire que quelque chose de grand peut encore naître là-bas, à condition que l’on écoute enfin les voix de ceux qui se battent pour lui. Si je pouvais rentrer pour m’investir et aider mes amis et mes frères camerounais, je l’aurais fait. Mais les récits de ceux qui sont rentrés parlent souvent d’expériences douloureuses. La patrie qui t’a tout donné, il faut l’honorer ; où l’on construit sa vie, il n’est pas besoin de repartir de zéro en un autre lieu.. alors je reste ici.
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