Dr Christian Pout : « Une réforme du Code de la nationalité peut être appréciée »
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En quoi est-ce que la réforme du Code de la nationalité pour l’adoption de la double nationalité ou des nationalités multiples peut-elle contribuer à résoudre la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun ?
Il importe de souligner d’entrée de jeu que l’existence d’une commission dédiée à la diaspora dans le cadre du Grand dialogue national (GDN) est un signe de grande clairvoyance de l’initiateur et des organisateurs de cette rencontre historique des fils et filles de notre pays dans un moment critique de son évolution. Notre pays compte une diaspora qui est située selon différents études concordantes entre 4 et 5 millions de personnes avec le Nigeria et l’Amérique du Nord comme zones de grande concentration. En effet, l’une des préoccupations majeures émises par la diaspora camerounaise en général a toujours été de trouver un compromis avec l’Etat du Cameroun, où plus précisément avec les dispositions de la Loi n°68-LF-3 du 10 juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise. C’est ce texte qui organise le régime de la nationalité au Cameroun et, en son Chapitre IV, traite de la perte et de la déchéance de la nationalité camerounaise. Il énonce en son Article 31 alinéa a, que « perd la nationalité camerounaise, le Camerounais majeur qui acquiert ou conserve volontairement une nationalité étrangère ».

Il s’infère de cette énonciation que la nationalité camerounaise est exclusive. Dans les faits pourtant, de nombreux citoyens diasporiques d’origine camerounaise pour diverses raisons acquièrent des nationalités étrangères tout en conservant un attachement indéfectible à la citoyenneté camerounaise. Cette posture qui les place en situation d’illégalité, voire d’illégitimité, a pu créer des restrictions et frustrations au moment de la jouissance de certains droits, ce qui du reste est assez compréhensible. En observant les réformes réalisées par certains pays, notamment africains, pour mieux impliquer leur diaspora, celle camerounaise a comme le sentiment d’être injustement discriminée. Surtout que depuis de nombreuses années déjà, des espoirs dans le sens d’une évolution vers la double nationalité avaient été suscités, selon une certaine interprétation des propos des très hautes autorités, et des consultations avaient été initiées. Une première évolution a été consacrée par la possibilité pour la diaspora de participer à l’élection du président de la République. Aujourd’hui, les citoyens diasporiques originaires du Nord-Ouest et Sud-Ouest notamment, qui d’ailleurs figurent parmi les plus dynamiques, ressentent cette limitation comme une forme de marginalisation officielle. Une réforme du Code de la nationalité en faveur de la reconnaissance de la double nationalité peut être appréciée par ces derniers comme une volonté manifeste du politique de les impliquer plus étroitement, d’une part, dans la gestion des affaires publiques, et d’autre part, dans toutes les initiatives qui vont être menées pour ramener le calme, la sérénité et la prospérité dans les zones anglophones en conflit. Sans doute convient-il aussi d’ajouter que l’enjeu des revendications sur ce point par cette partie de la diaspora, est aussi, celui de la réhabilitation sociale. Nombreux sont en effet, ceux qui considèrent les membres de la diaspora ayant acquis une nationalité étrangère comme « des intrus », mal fondés à prendre position sur les affaires internes du Cameroun. Sachant le rôle qu’une certaine perception de l’exclusion et de la marginalisation joue dans la dérive vers l’extrémisme violent, une mesure qui irait dans le sens de créer une dynamique d’inclusion serait fort opportune et pertinente dans le panier des solutions à mettre en œuvre pour désamorcer progressivement les insatisfactions relatives à ce volet.

Pour régler le problème de l’absence de la représentation de la diaspora au sein des institutions de la République, les participants au Grand dialogue national ont suggéré l’adoption du principe de la représentation de cette diaspora aux niveaux parlementaire et gouvernemental. Puis, il a été proposé de désigner une équipe qui va prendre contact avec la diaspora dite radicalisée. Est-ce à votre avis les voies les plus efficaces pour mieux impliquer la riche et dynamique diaspora camerounaise dans les chantiers de développement du pays ?
Les recommandations formulées par la 7è commission du GDN qui planchait sur le rôle de la diaspora dans la crise et sa contribution au développement du Cameroun, sont toutes de mon point de vue digne d’intérêt. La démarche qui vise à densifier l’implication de celle-ci à travers sa représentation dans les plateformes républicaines d’échange et de proposition sur les politiques publiques est un bon début, pour peu que soit respectés des préalables liés à la qualité des représentants, aux modes de désignation et à la nature générale de leurs contributions au sein du parlement. Il faut noter que, contrairement aux élus locaux, les futurs éventuels représentants de la diaspora devront faire face à des défis pratiques considérables, touchant entre autres au contexte, aux modalités de leur désignation, et à la complexité de l’articulation des attentes de la diaspora face aux réalités locales. Déjà, nous relevons qu’un certain nombre de programmes et projets ont été mis en place pour et avec cette diaspora.

Au plan politique et institutionnel, le ministère des Relations extérieures du Cameroun (MINREX), dispose d’une direction exclusivement dédiée aux Camerounais de l’étranger. Le premier Forum de la diaspora organisé sur très hautes instructions du chef de l’Etat en juin 2017 par le MINREX avait déjà repris la proposition de création d’un secrétariat d’Etat chargé de la Diaspora. Il peut donc être envisagé que l’avènement d’un département ministériel consacré aux questions diasporiques, pourra sans doute améliorer la dynamique gouvernementale au bénéfice de la diaspora et dans le même temps canaliser les actions de celle-ci à destination du Cameroun, notamment, en matière de participation au développement. Ici encore, des dispositions devront être prises, en ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement du ministère envisagé, davantage sur le point relatif au statut de son personnel et de la qualité des ressources humaines qui seront chargées de l’animer. Difficile en effet, d’envisager que des interlocuteurs qui n’ont pas beaucoup d’attaches avec l’extérieur ou avec la diaspora, et qui de fait, ne sont pas toujours au parfum de leurs réalités, puissent efficacement interagir avec elle et dans leur intérêt. La question de la qualité des représentants peut donc se poser des deux côtés. En prélude au démarrage des travaux du GDN proprement dit, le gouvernement avait dépêché des délégations à l’étranger constituées d’élites originaires de la zone anglophone. L’on peut déduire que cette approche y est pour beaucoup dans l’atteinte des 5% de participants de la diaspora que l’on a pu recenser au dialogue. Sous un format revu et amélioré dans des délais moins contraignants, l’équipe pressentie pour prendre attache avec la diaspora « radicalisée » pourra mettre en place un modus operandi innovant, y compris en sollicitant des structures expertes, pour la ramener à la table des négociations. Pour ma part, j’estime que tous ceux qui font partie du problème doivent être partie prenante de la quête de solutions.

Des études montrent aujourd’hui que les transferts des migrants dépassent largement l’aide publique au développement accordée à nos pays par les pays riches. Pensez-vous que la création d’une Agence transnationale d’investissement et de développement pour la diaspora, est à même de canaliser au mieux les ressources technologiques et financières dont dispose cette diaspora pour les mettre au service du Cameroun ?
Effectivement, si l’on se réfère par exemple à la comptabilisation réalisée par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE en avril 2018, l’aide pu- blique au développement à destination de l’Afrique a atteint 29,7 milliards de dollars. Au cours de la même période, le rapport Africa’s Pulse de la Banque mon- diale évaluait à 46 milliards, les transferts des fonds effectués par la diaspora africaine à destination de l’Afrique subsaharienne. Ces chiffres viennent corroborer les analyses selon lesquelles les Africains qui vivent à l’étranger jouent un rôle plus important que certains organismes de financement dans les flux financiers qui transitent vers le continent.

Toutefois, la ligne de démarcation réside dans l’impact réel des fonds alloués en soutien aux initiatives de développement. Sur ce point, il importe d’admettre que du fait d’une faiblesse des synergies Etats africains/diasporas africaines portant sur les importants dépôts de fonds consentis par ces dernières, les agences de développement étrangères se positionnent encore comme incontournables. Dans la même logique, les défaillances que l’on a souvent observées en matière d’insertion et de mobilisation des ressources humaines afri- caines évoluant à l’étranger, continuent de priver les pays africains de compétences pointues pourtant indispensables à leur évolution. Pour un pays comme le nôtre engagé dans un vaste programme de modernisation, l’implication des personnes jouissant d’une expérience avérée et de connaissances parfois très demandées, ne serait pas de trop, surtout qu’elles-mêmes ont eu à manifester plus d’une fois leur volonté de contribuer à la construction de l’édifice « Cameroun ». La mise en place d’une Agence transnationale d’investis- sement et de développement pour la diaspora, semble être une proposition très pertinente, surtout dans le contexte actuel. Cette dernière pourrait être un guichet unique de canalisation des énergies dans le but ultime d’aboutir à la satisfaction des besoins de la diaspora tout en veillant à l’atteinte des objectifs de développement du Cameroun. Il se- rait judicieux avant d’acter un tel projet, de s’attarder sur les risques de chevauchement avec les attributions d’autres organismes déjà en activité tels que la SNI, l’API, l’APME. En effet, les investissements de la diaspora destinés à alimenter le marché national devront entrer en concurrence avec ceux d’investisseurs non originaires du Cameroun, afin d’éviter les risques préjudiciables de discrimination ou de monopole, des aménagements en termes de quota pourront être effectués au profit de cette diaspora. Il y a un travail d’approfondissement de la réflexion qui mérite d’être engagé, en s’inspirant des bonnes pratiques venues d’ailleurs et aussi en privilégiant un dialogue plus étroit entre les principaux concernés .

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