Vincent Nguini : Les jeunes ne comprennent rien à la musique
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En séjour au pays, le guitariste, chef d’orchestre de Paul Simon, revient sur le niveau de la musique camerounaise.

A quoi occupez-vous vos journées depuis que vous êtes au Cameroun ?
Je suis là depuis le 12 décembre. Je m’entraîne beaucoup, je me balade, je revois mes copains d’enfance, je consomme la bouffe du pays, entre autres activités.

Quelle est l’actualité musicale de Vincent Nguini ?
Je travaille toujours avec Paul Simon. Depuis trente deux ans, je compose avec lui. Je suis d’ailleurs le seul dans le groupe qui compose avec lui. On vient de terminer une tournée mondiale de neuf mois. Je suis venu au pays pour me ressourcer un peu. D’autant plus qu’en fin avril, on va repartir en tournée jusqu’en fin novembre. Mais je ne joue pas qu’avec lui : je travaille avec Stink et beaucoup d’autres musiciens américains. Par ailleurs, j’ai un single qui va sortir bientôt. Ce n’est certes pas de la musique populaire, mais ça reste de la très bonne musique. Je suis en train de préparer un album qui est presque bouclé. C’est mon voyage pour le Cameroun qui a un peu retardé les choses.

Comptez-vous organiser un spectacle avant votre retour aux Etats-Unis ?
Ce n’est pas à moi d’organiser des spectacles. Ce n’est pas mon rôle. Si les gens ne m’approchent pas, je reste chez moi. Mais il faut dire que c’est souvent un peu difficile pour moi, parce que quand je joue avec tous ces jeunes, ils ont la frousse. Donc, que je reste ouvert. Non pas seulement pour jouer, mais aussi pour donner des conseils, partager mon expérience. Mais les jeunes ne m’approchent pas. Le seul qui était mon disciple pendant plus de dix ans c’était Meyo, du cabaret La Reserve, aujourd’hui décédé. Et puis quand je joue ici, il faut que je m’entraîne au moins deux semaines avec ces jeunes, donc ça prend du temps.

Il y a quelques années, on a entendu parler d’un projet avec Lady ponce…
C’est vrai... J’avoue que j’ai pris du plaisir à travailler avec Lady Ponce. J’avais de grandes ambitions pour elle, mais j’ai l’impression qu’elle ne l’a pas compris ainsi. J’ai été travailler avec elle sur ses musiques pendant une semaine. Le titre « Obale ma » par exemple, en est une parfaite illustration. Mais, les gens ne le savent pas. J’ai fais l’ébauche de cinq morceaux avec elle. Mais après cela, elle a disparu. Je suis revenu au Cameroun au moins quatre fois je n’ai pas pu la voir. Je comptais la mettre en relation avec mes contacts pour la mettre au même niveau que des artistes comme Beyonce et autres, parce qu’il faut le dire, elle a le potentiel. Je voulais vraiment l’aider. C’est pourtant elle qui m’a contacté. Cependant, n’ai pas compris son attitude par la suite.

Vincent Nguini a-t-il déjà pensé à une collaboration avec d’autres jeunes artistes camerounais ?
Je vais revenir m’installer au Cameroun d’ici deux ans environ, même si de temps en temps j’irai jouer à l’extérieur. C’est donc fort probable que je travaille avec des jeunes pour leur communiquer mon savoir. J’ai beaucoup d’instruments avec lesquels les jeunes pourraient aisément se former. Toutefois, je pense qu’on devrait remettre la musique au programme dans les écoles. On a vu cela avant. Donc, c’est possible. Je me questionne par ailleurs sur le profil de ceux qui s’occupent de la musique au ministère des Arts et de la Culture… Il n’y a personne ! Qui connaît la musique là-bas ? Ils n’ont jamais assisté à un vrai concert ! Une école de musique, cela devait être une initiative du Minac. Comment dans un grand pays comme le Cameroun on n’a même pas un conservatoire municipal ?

Vincent Nguini, Manu Dibango, Richard Bona, etc. Autant de noms qui honorent le Cameroun à l’extérieur… Mais paradoxalement, le niveau de la musique camerounaise est des moins reluisants… Que vous suggère cette situation ?
Il faut voir le parcours de la plupart des personnes que vous citez. Quand on était tous au Cameroun, on travaillait beaucoup. Il y avait beaucoup de grands guitaristes, des bassistes, de bons musiciens… Rien qu’à Yaoundé, il y avait au moins vingt orchestres et les gens apprenaient. De nos jours, quelqu’un ne sait même pas plaquer un accord à la guitare, mais il se dit musicien. Les jeunes aujourd’hui ne comprennent rien à la musique. On prend une boite à rythme avec un ordinateur, on fait deux notes puis on chante ce n’est pas ça ! Il aurait fallu une espèce d’éducation musicale derrière tout ça. Mais, il n’y a rien ! Notre musique n’est connue nulle part. Quand X-Maleya va à l’Olympia, c’est pour faire connaître notre culture.

Mais quand vous arrivez dans la salle et qu’il n’y a que des Camerounais, ça n’a plus de sens ! Une fois, je suis allé par curiosité dans le New Jersey voir Petit Pays. Je ne crois pas qu’il y avait cent personnes dans la salle. Comment voulez-vous faire connaître notre musique avec ça, si on se retrouve devant cinquante gars bassa dans de petites salles de quartiers ? Le seul groupe camerounais que j’ai vu en Amérique, tourner avec des Américains c’est les Têtes brulées. Malheureusement, la mort de Zanzibar et d’autres membres du groupe a ralenti l’élan du groupe. Les seuls musiciens africains qui jouent à l’échelle mondiale de la pop, c’est Vincent Nguini et Armand Sabbal Lecco camer.be. Dans une moindre mesure, André Manga. Après, vous avez des gars dans le jazz comme Bona ou Etienne Mbappé. Mais, je vous parle du sommet de la musique qui est la pop sur cette terre. Ce n’est que les trois là et ici, on ne se rend même pas compte de ça. Quand Armand Sabbal Lecco arrive au Cameroun en vacances, il va à Bertoua chez lui et il repart : c’est triste !... Justin Boven, c’est le meilleur pianiste camerounais ; l’un des meilleurs africains… Mais, on ne l’appelle même pas ! On appelle des « has been », des  personnes qui ne représentent rien. C’est frustrant !...

Dernièrement, il y a eu le Fenac : personne ne m’a appelé. C’est vrai que j’étais en tournée, mais personne ne m’a jamais appelé. C’est un peu étonnant qu’on fasse un festival national sans inviter les ténors. Personne ne connaît Armand Sabal-Lecco ici, qui joue pourtant avec tout le monde, dont Madonna. On n’a pas invité Etienne Mbappé, encore moins Justin Bowen, qui est le meilleur pianiste camerounais ; Guy Nsangué non plus. Vous savez, on n’est pas prophète chez soi. J’ai accumulé de l’expérience pour atteindre le niveau que j’ai aujourd’hui. J’aurais souhaité transmettre tout cela à la jeune génération. Hélas, ils ne m’approchent pas ! J’ai fait un hymne pour le cinquantenaire de ce pays, mais il a été éteint. Aux Etats-Unis, ce type d’oeuvre est considéré comme un patrimoine national.

Vos musiques sont utilisées un peu partout… Avez-vous souvent reçu vos droits d’auteurs ?
Il m’est arrivé de jeter des chèques. Comment voulez vous que moi, Vincent Nguini, je me retrouve avec 30.000 Fcfa de droits ? Si je m’arrête aux indicatifs, j’en ai eu à la pelle dans ce pays. Le droit d’auteur ne doit pas forcément être dirigé par les musiciens. Il faut chercher des gens de bonne  moralité. J’ai ouï dire que la gestion des droits est en restructuration. Il y a eu beaucoup d’argent dans cette histoire que les gens ont « bouffé ». On aurait même pu mettre une structure en place où les gens allaient apprendre la  musique. On a de très bons musiciens camerounais à travers le monde : on pourrait les faire venir ici pour donner des enseignements aux jeunes. Je crois que c’est un projet sur lequel on devrait se pencher et il faut clairement définir qui est musicien et qui ne l’est pas.  

Un conseil aux jeunes qui veulent faire carrière dans la musique ?
Il faut apprendre. C’est le minimum. Et surtout beaucoup travailler. Je joue à la guitare depuis au moins quarantecinq ans. Mais lorsque je me lève le matin, je m’entraîne pendant trois ou quatre heures d’horloge. Si vous demandez à un jeune de le faire ici, il va le prendre comme une punition. Il veut aller « coller la petite ». Désormais, ils vont se mettre devant un ordinateur, jouent avec deux ou trois notes… Ils appellent ça le beat !

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