RENCONTRE AVEC L’ECRIVAINE MAN ZELE CLEO : QUAND LA PASSION DES MOTS DEVIENT VOCATION
FRANCE :: MUSIQUE

FRANCE :: RENCONTRE AVEC L’ECRIVAINE MAN ZELE CLEO : QUAND LA PASSION DES MOTS DEVIENT VOCATION

Certaines voix ont le don de capter notre attention dès les premiers mots. Man Zèle Cléo est de celles-là. Orthophoniste de métier, mère de famille engagée, femme de lettres et amoureuse du langage, elle incarne cette sensibilité rare qui mêle avec justesse le vécu, la pensée et la parole. Son regard sur le monde est à la fois tendre et lucide, profondément humain. L’équipe d’Afriksurseine l’a rencontrée et, au cours d’un entretien à bâtons rompus, elle se livre avec générosité sur son parcours, ses inspirations et cette passion des mots qui irrigue autant sa vie professionnelle que son écriture personnelle. Entre souvenirs d’enfance, choix de carrière et éveil artistique, voici la rencontre avec une femme pour qui chaque mot compte, et qui les manie avec une sincérité désarmante.

 

Bonjour Man Zèle Cléo, et merci de nous accorder cet entretien. Pour commencer, nous avons une première question rituelle : pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs qui vous découvrent pour la première fois ?

Je suis Cléo, orthophoniste et maman de trois enfants métisses. Ce sont là -comme les mots- la nature et la fonction principale de ma vie !! J’ai connu les cassettes vidéo, la télé avec 6 chaînes (et Canal + plus crypté, j’ai acheté des cartes téléphoniques, j’ai même eu une Carte Orange ! Si vous « n’avez pas la réf » comme disent les jeunes … C’est que vous êtes encore dans vos jeunes années. J’aime la lecture, l’écriture, depuis 4 ans le running et depuis toujours la bonne cuisine (surtout celle des tantes).

Quel a été votre parcours académique et professionnel, et comment ces expériences ont-elles nourri votre regard d’écrivaine ?

J’ai toujours été une littéraire, mon appréhension pour les chiffres et leur manipulation s’est révélée dès le CP ! Au CE1 déjà, quand le maître donnait 7 mots à introduire dans une histoire de notre invention, je rendais trois pages !! Je lisais en cachette jusqu’à pas d’heure sous la couette ce qui m’a valu de nombreuses réprimandes de ma chère mère. Si je passais mes classes avec d’honorables moyennes, les matières scientifiques, c’était une vraie catastrophe ! … je crois que l’équipe éducative a développé une forme d’indulgence à mon égard à cause de cela d’ailleurs. Ensuite, j’ai eu la chance d’inaugurer la toute première réforme du bac et évidemment sans hésitation, j’ai choisi la filière L. Particulièrement attirée par les langues étrangères, j’ai ensuite poursuivi des études pour être prof d’anglais ou traductrice. Et bien que j’aie terminé ce cursus, je suis devenu orthophoniste car j’ai découvert par hasard la langue des signes, en rentrant d’un cours de civilisation tard un soir. Ce fut le coup de cœur. Je me suis orientée en sciences de l’éducation et après ma maitrise j’ai validé un master de logopédie dit orthophonie en France. Donc les mots, et exprimer les choses sont deux choses qui m’ont toujours fascinée. Je ne me lasse pas de voir et entendre un enfant s’approprier le langage, par exemple. L’aspect rééducatif de mon métier est le cadre idéal pour aider au mieux dans cette aventure linguistique- même s’i l’on compte une vingtaine de spécialités aujourd’hui, en orthophonie.

Lors de notre première rencontre, j’ai été frappé par votre aisance à manier la langue et par la finesse de votre pensée. L’écriture semble chez vous à la fois naturelle et maîtrisée. Est-ce une passion ancienne, une vocation profonde, ou le fruit d’un cheminement personnel ?

Merci pour le compliment ! J’ai toujours écrit, oui surtout des poèmes- depuis le collège. J »ai une certaine appétence pour la rime, en fait ! J’ai écrit beaucoup pour moi seule, je n’ai pas attendu le fameux concept d’écriture intuitive pour le mettre en œuvre. J’aime bien quand la pensée divague et qu’elle peut être traduite par les mots qui exprime un certain bien-être. J’écris toujours des petites bêtises – comme je les appelle ! Pour mes amis, des occasions, des mariages et anniversaire. J’ai écrit des histoires, elle aussi non publiées …mais peut- être que je changerai d’avis, après toutes ces années ! Vous l’aurez compris, sans être une vocation profonde, c’était en réalité une sorte de refuge aux allures de jardin secret. Je l’ai toujours ressenti ainsi et inexorablement mes écrits reflètent un cheminement personnel.

 

Pourquoi avoir choisi d’explorer l’univers de la fiction pour porter votre voix ? Qu’offre ce genre littéraire que d’autres formes d’écriture n’autorisent peut-être pas ?

Je tiens à préciser – parce que cela change tout le projet littéraire – que c’est une non-fiction, plus exactement. Cette hybridation du genre qui permet de raconter de façon plus romancée des faits réels me semblait être le meilleur moyen de soumettre au lecteur l’esquisse d’un état des lieux très divers de cette réflexion quant à la question capillaire. Cela permet, selon moi, de lire utile : à la fois pour le plaisir, et en même temps pour s’informer. En effet, c’est souvent sous la forme de faits divers que l’on se trouve confronté à  cette question capillaire. L’espace-temps- je veux dire la fréquence des faits liés à cette problématique- dilue la prégnance de ce phénomène. Et j’ai eu une énorme pensée pour celles et ceux à qui cela arrive mais qui n’osent rien dire ! En menant mes recherches et en recueillant les témoignages, il m’a semblé que le sujet était vraiment sous-exposé médiatiquement parmi toutes les formes de discriminations possibles.

Pour le premier anniversaire (28 mars 2025) de la loi 1640 dite « loi Serva », j’ai noté aucune évocation médiatique particulière (loi non évoquée dans le récit car mon intrigue s’arrête en 2023, volontairement). Pourtant, j’avais été choquée de voir avec quelle virulence certains individus avaient tout simplement dénigré, critiqué et renié la nécessité de se pencher sur la question. Je répète souvent que je suis la première à me faire l’avocat du Diable : une loi pour les cheveux… C’est un peu incongru, quelle idée !! Mais la vérité, c’est que si on l’a évoquée, rédigée et votée c’est bien qu’un problème persiste mais tous ne sont pas concernés. Ce sont souvent ces non- concernés d’ailleurs qui se montrent les plus réfractaires… Sans surprise. La non-fiction m’a paru être le moyen idéal d’amener le lecteur dans un univers où il pourrait découvrir les choses de façon plus ludique.

 

J’ai même découvert qu’il existait un prix pour la non- fiction sur le site « Afrolivresque », le style a donc ses adeptes. Je n’en étais pas coutumière, je me contentais de dire au début que le récit se basait sur des faits réels… mais c’est plus que cela. En créant de toute pièce uniquement les personnages, j’ai pu m’exprimer dans une narration fictionnelle tout en transmettant des notions réelles. Certaines sont légères et amusantes tandis que d’autres peuvent vraiment heurter la sensibilité (cf, le tome 3 à paraitre). J’ai opté pour un caractère immersif et original véhiculé grâce aux QR codes que j’ai tenu absolument à intégrer au récit (Merci à la maison d’édition le Sucrier – clin d’œil) le lecteur est invité à découvrir des références très variées dans le domaine littéraire, musical, artistique, journalistique et peu à peu plus politique qui font la richesse de la communauté noire afro- caribéenne.

 

Ces QR codes, ils me semblaient indispensables, une évidence (en plus de la bibliographie qu’on ne prend pas toujours le temps de lire, sauf pour un besoin précis.) Or je voulais que le lecteur puisse être confronté/découvrir l’information. La technologie lui permet, aujourd’hui, d’un simple geste d’arriver à la source de mon propos. D’un point de vue strictement personnel, cette forme d’écriture m’a beaucoup plue ! Ce fut un véritable plaisir de métisser fiction et faits réels. Surtout cela m’a permis de débattre et me remettre en question moi-même ! J’y ai gagné une réelle assertivité et j’espère que ce sera le cas pour le lecteur aussi. https://bibliotheques.paris.fr/la-non-fiction-un-genre-litteraire-a-par entiere.aspx#:~:text=La%20narrative%20non%2Dfiction%20est,r%C3%A9cit%20de%20voyage%20et%20roman.

 

Fiction vs non fiction : entre l’imaginaire et la réalité

 

Kayla, l’héroïne de Crépuscul’Hair, est une jeune femme à haut potentiel intellectuel, sensible jusqu’à l’excès. Qu’est-ce qui vous a inspirée pour construire un personnage aussi intensément connecté à ses émotions et au monde ?

Je pourrais dire pour résumer la chose ainsi : il me fallait un profil sensible pour une question sensible !! Mais, là encore, le monde réel – mon monde- entre en scène. Professionnellement, je me suis spécialisée malgré -moi dans mon travail avec cette population. Cela fait plusieurs années maintenant, après que ce diagnostic ait été posé pour mon premier enfant. Je tenais aussi à sensibiliser le public à propos de ces dits « zèbres ». Souvent, l’idée que l’on se fait des personnes à haut potentiel, c’est que tout est facile pour eux, scolairement parlant, en tout cas. Pourtant il faut savoir qu’un certain nombre d’entre eux est en échec scolaire ! Considéré comme le Saint Graal du fonctionnement intellectuel, leur profil fait rêver. En effet, les gens n’ont en tête qu’une partie des caractéristiques qu’ils envient sans doute- comme : la rapidité d’apprentissage, la maîtrise précoce de la lecture -donc grands lecteurs dans leur bulle, des capacités hors- norme en mathématiques, aux échecs, etc… Tout cela peut être vrai ! Mais pas toujours et pas seulement !! Les HPI sont victimes de clichés trop positifs. S’ils possèdent une capacité d’analyse, une pensée véloce parfois exceptionnelle, il arrive qu’ils soient aussi en souffrance ! Ils doivent apprendre à grandir en sentant très tôt qu’ils sont différents à cause de leurs centres d’intérêts décalés ou trop pointus comparés à leurs pairs. Ils doivent malgré eux évoluer dans un milieu scolaire où ils ne se sentent pas toujours à leur place.

Vous n’imaginez pas l’écueil que cela représente de « trop penser » et surtout « trop ressentir » en permanence ! Ils peuvent souffrir de ce que l’on appelle l’hyperesthésie des cinq sens ! Cette hyperesthésie se transforme parfois en véritable douleur. Figurez-vous donc leur quotidien : ils ne supportent pas la couture de la chaussette, l’étiquette du pull, le bruit (et il faut venir les chercher au bout de 30 minutes d’une fête d’anniversaire), la lumière peut les gêner même si elle est faible. Ils perçoivent tut et ressentent les choses fortement et intensément- ils sont migraineux, parfois. Malgré eux, ils détectent aussi parfois toutes les odeurs avant tout le monde. Si cela amuse les adultes de se trouver face à des petits nez en herbe, imaginez l’assaut olfactif qu’ils vivent toute une journée. Cela se traduit par le refus qu’on leur passe des produits de soin sur le corps, des shampoings qui les écœurent… Ils sont aussi souvent submergés par leurs émotions : un événement qui semble anodin pour une personne lambda peut les atteindre de façon exacerbée ce qui sera interprété comme un caprice. Leur façon de l’exprimer peut-être disproportionnelle. Ajouté à cela, une difficulté à traiter parfois le second degré, vous admettrez avec moi que tout cela ne vous garantit pas toujours le capital sympathie d’autrui !

 

Le titre même du premier tome, Emmêlée, semble faire écho à une symbolique capillaire mais aussi mentale et identitaire. Quelle place occupe la chevelure au sens littéral et métaphorique dans cette trilogie ?

Oui, totalement, définitivement ! Il même fait contraste volontairement avec le dessin. Pour l’héroïne, sa conception du monde, ses repères, sa naïveté, sa difficulté à découdre et aborder des notions essentielles illustre un véritable nœud identitaire. D’ailleurs, par sursaut de chauvinisme insulaire, je citerai notre poète Aimé Césaire qui a mis le doigt sur ce questionnement qui a émergé dans ma démarche : « Liberté, égalité, fraternité, prônez toujours ces valeurs mais tôt ou tard, vous verrez apparaitre le problème de l’identité. » * Les HPI sont connus pour être très sensibles à l’injustice. Et, parfois comme n’importe qui dans la vie, dans un mécanisme d’auto-défense pour préserver leur psychisme ou suite à un trauma, ils s’enferment dans une forme de déni car la réalité les fait trop souffrir. Ils se protègent de l’insupportable. Kayla a des rendez- vous avec sa psyché, via ses rêves. Ils dévoilent certaines interrogations qu’elle n’ose pas affronter éveillée. Au sens littéral, j’ai gardé en filigrane à la mésaventure de mon fils qu’on a voulu exclure du collège port de tresses (car c’est bien le point de départ du projet) ! J’étais moi- même un peu emmêlée, empêtrée dans un vrai questionnement lorsque j’ai voulu chercher à comprendre et à régler la situation à l’amiable. J’ai voulu montrer aussi, ironiquement, comment une partie morte du corps, mesurant quelques centaines de microns pouvait susciter des débats, du rejet… de la discrimination aux causes non fondées ! * Extrait de « Nègre je suis, nègre je resterai », entretiens avec Françoise Vergès, disponible dans plusieurs éditions, 2004.

 

Dans le deuxième tome, Démêlée, Kayla revient sur son île natale. Ce retour aux sources agit comme une quête de soi. Quelle est, selon vous, la puissance des lieux d’origine dans les processus de guérison et de réinvention de son identité ?

Le retour aux sources est selon moi toujours une « (re)quête de soi » ! Je peux sans doute vous confier avant d’aller plus loin que Kayla signifie « Couronne ». Pour en revenir à la question, oui ! La démarche de reconnexion est souvent le meilleur moyen pour réussir à (re)trouver une forme de sérénité, de paix perdue. S’exiler et vivre ailleurs que sur la terre de ses origines suppose fatalement une coupure physique et psychologique (consentie ou non). On est tout à coup moins proche de sa culture, de ses coutumes. Il nous manque l’atmosphère, celle qui nous fait nous sentir à la maison – « Home sweet home » dit le proverbe – quand votre avion atterrit sur le tarmac de l’aéroport et même ses traditions si le pays d’accueil ne permet pas de reproduire les rituels et les routines de son sol natal aisément. D’ailleurs, même si par chance il arrive que cela soit possible… on sent bien qu’il manque le contexte, l’atmosphère ! Je ne déguste pas un sorbet coco fait maison en France comme celui que je mange en Martinique près de la mer aux Salines, par exemple !!! Sans tomber dans un mysticisme douteux, j’adhère même à l’idée de l’énergie positive que cela insuffle de respirer l’air de sa Terre natale. On en ressort régénéré !

 

On sent une forte musicalité dans votre écriture, notamment dans les extraits proposés. Quel rôle joue la poésie dans la structure narrative de Crépuscul’Hair ? Est-elle un langage en soi, parallèle ou complémentaire au récit ?

La poésie est essentielle ! Mon personnage Kayla en est férue (on a quelques points communs) ! C’est son moyen d’expression favori et elle en use tout au long de la trilogie. Celle-ci a aussi sa préférence dans ses lectures. A titre personnel, je pourrai dire beaucoup de choses à propos de poésie, mais… aucune de façon trop académique ou technique… L’analyse trop poussée – selon moi- en casse la magie… Césaire disait aussi : « La poésie est une démarche qui par le mot, l’image, le mythe, l’amour et l’humour m’installe au cœur vivant de moi- même et du monde »… Je n’aurais pas mieux dit. Je peux donc composer quelque chose qui ne plait qu’à moi, avec la musicalité ou le minimalisme qui me sied si cela m’installe au cœur du vivant de moi- même… J’avoue aussi que cela m’aurait frustrée de ne pas user de poésie puisque c’est le genre que je produis le plus, et qui m’accompagne depuis des années. Dans tous mes écrits – y compris les nouvelles- impossible pour moi de ne pas glisser quelques vers. C’est donc un langage en soi, et il est complémentaire à la narration. On se trouve déjà dans la tête de Kayla. Mais, j’ai aimé imaginer que les lecteurs se la figurent en train d’écrire chaque vers comme une sorte de mise en abyme du décor dans le décor. Cela renforce aussi le caractère immersif auquel je tenais tant.

 

Le troisième volume, Coiffée, devient plus militant. Kayla passe à l’action contre les injustices. Pourquoi ce glissement vers l’engagement social et politique ? Était-ce une évolution naturelle du personnage, ou un choix d’auteur sur l’actualité ?

Le glissement est inévitable ! Lorsque, tout à coup, vous réalisez la portée d’une problématique quelconque, avec vos tripes, intensément… vous ne pouvez plus être et agir de la même façon ! C’est valable pour tous les sujets- pas seulement l’écologie ! – il y une forme de conversion de votre état d’esprit ! J’irai même jusqu’à dire qu’une fois convaincu(e) d’une idée, d’un phénomène néfaste qu’il faut enrayer il y a une forme de militantisme qui s’empare naturellement de nous, on veut que tout le monde le sache !! Et là, peut -être qu’il s’agit d’un aveu plus personnel ! Je n’ai pas l’intention de vouer ma vie à la question capillaire, mais à l’estime de soi malmenée qui en découle pourquoi pas ?! Je pense que cela restera le thème principal de mes futures productions. Dans la trilogie, je crois que j’ai fantasmé cette fin que je propose, tout simplement. Cela m’a permis de tenir -malgré moi – face à la non résolution de la situation pour mon fils qui est restée en suspens, en réalité. La non reconnaissance par le principal du collège, l’absence d’excuses qui me semblaient dues – il a bien fallu que je l’inclus dans mon parcours psychologique. J’ai été victime de racisme dans ma vie, je n’ai jamais rien revendiqué malgré la gravité de certaines situations… le fait que cela arrive à mon fils a fait remonter des mauvais souvenirs.

 

En tant que mère, il m’est totalement inenvisageable de « tolérer » que mon enfant puisse être dénigré aujourd’hui ni même après ma mort, quand je ne serai plus là pour le protéger. Je lui avais promis de faire quelque chose. Cette trilogie, avec ses frères, il pourra toujours méditer sur le message qu’il doit garder en tête tout au long de sa vie, après que j’aurais fini de vivre la mienne ! Effectivement, l’actualité est une composante importante ! La loi Serva existe en France désormais. Cela signifie que l’on peut l’évoquer en cas de discrimination avérée. J’ai hâte de mettre en place mon blog d’auteur pour prolonger les questionnements, proposer des articles plus experts pour aborder les thématiques et dresser un portrait des personnes que j’ai citées tout au long de l’ouvrage ! Je ne manquerai pas d’excellents sujets de sitôt !

 

Vous explorez à travers Kayla la notion de fierté retrouvée, de beauté noire réaffirmée. En quoi Crépuscul’Hair s’inscrit-il dans une démarche de réappropriation identitaire afro descendante ?

Cette réappropriation identitaire afrodescendante a été et est toujours dénigrée dans la sphère sociale par un trop grand nombre d’individus, d’organismes et organisations, d’institutions… La société contemporaine offre un panel de vestiges de domination coloniale consistant dans des domaines fort nombreux et la beauté ne fait pas exception. Au travers de personnages fiers de ce qu’ils représentent, de par leurs origines mises en scène à cet effet, Crépuscul’HAIR a aussi pour but -outre susciter la réflexion- de rassembler. Les afro descendants sont tellement nombreux… je crois en la force de l’unité d’action… et de conviction. Il est parfois difficile de se libérer de carcans idéologiques et conceptuels -surtout lorsqu’ils ont été assénés pendant des siècles. Ce sont les dommages collatéraux d’une forme de conditionnement perpétré par ceux qui détiennent le pouvoir. Il serait trop long d’en débattre ici car je parle bien de l’époque de l’esclavage. Je vais encore emprunter à Césaire une maxime trop peu diffusée à mon goût : « Aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence et de la force ». Citation que j’ai hésitée à inscrire sur ma première page de garde. J’aimerais que l’on évoque aussi la fameuse notion de mémoire transgénérationnelle ! Elle est de plus en plus citée et reconnue -je n’ai personnellement jamais douté de son existence. Elle peut expliquer la timidité ou pire la peur de s’affirmer et se revendiquer sans compromis ! Les femmes et les hommes noirs n’ont pas de standards de beauté moindres que les autres standards de beauté.

 

Le terme de « trichologie » apparaît en fin de présentation comme un clin d’œil scientifique à un sujet hautement symbolique. Pensez-vous que les cheveux soient un vecteur de mémoire, d’histoire, voire de résistance ?

Absolument, trois fois !
Mémoire : lorsque votre santé est mauvaise, votre cheveu le traduit en changeant d’état et d’aspect, endéans les trois mois – c’est le temps d’un cycle de pousse, il le porte dans la tige même, au sens propre du terme. L’histoire : le cheveu comme l’art de la coiffure a traversé le monde de la mode et se réinvente en permanence. Il a servi et sert encore à refléter un rang social (tout le monde n’a pas porté des perruques, les peuples d’Afrique coiffent leur cheveu pour signifier leur statut marital, par exemple). Il reflète un certain standing et aussi des convictions religieuses… Résistance : les années 70 en ont fait un symbole de défiance, en réponse à la lutte contre la société ségrégationniste. Qui ne connait pas le fameux « Black is beautiful ». Evoquons Angela Davis, Nina Simone (évoquées dans le tome 1). Mais, pas besoin de faire partie des Black Panthers aujourd’hui pour l’arborer fièrement. Le mouvement « Nappy » qui s’est largement développé, depuis quelques années, le prouve. J’espère avec Crépuscul’HAIR apporter ma pierre à l’édifice et me constituer relais de cette intention esthétique indissociable de l’identité profonde de l’afrodescendant. Je ne peux m’empêcher de souligner avec agacement que la coupe afro ou les tresses sont encore considérées comme des coiffures qualifiées de « non professionnelles ». D’un point de vue esthétique, c’est totalement subjectif et arbitraire. D’un point de vue psychologique, c »est violent et tout simplement inacceptable. Aucune instance (école, lieu de travail), aucun peuple ne devrait s’octroyer le droit de décréter qu’un type de cheveux ou de coiffure revêt une subversivité (infondée) sur la base de critères de beauté qui eux- mêmes pourraient être remis en question.

Quel est selon vous, le message central à retenir par les lecteurs après lecture de ces trois volumes ? Que diriez-vous à une jeune femme qui cherche sa voie aujourd’hui ?

N’oubliez pas de savoir qui vous êtes, en sachant d’où vous venez… et tracez votre chemin en fonction de ce que vous aurez découvert ! Ne déviez pas et ne laissez personne vous convaincre du contraire. Après un an à poser les choses, réfléchir, à apaiser les émotions négatives avant d’entreprendre ce travail, c’est ce que je voulais qui en ressorte. Le peuple noir n’a rien à envier à quiconque… au contraire. Il suffit d’ouvrir les yeux sur nos richesses, nos savoirs ancestraux pour marcher tête haute sans fléchir sous l’impulsion de quelque diktat que ce soit. Soyez ouverts, cultivez-vous, lisez … Tant de fabuleux auteurs sont méconnus de la sphère afro-caribéenne au détriment de grands auteurs européens dont les écrits – bien que notoires et appréciables- ne nous connectent en rien à nos origines et notre passé d’immense envergure. Lorsque vous aurez compris cela, vous marcherez dans notre société cosmopolite qui est une véritable richesse, avec le même rayonnement que les autres. Les réducteurs d’estime de soi ne pourront que reculer devant votre détermination, cela prend du temps mais ne faisons-nous pas partie d’une « génération consciente » * de ses défauts comme de ces qualités !? *Ce terme peut être attribué à Claudy Siar qui s’est évertué à rassembler le peuple antillais autour d’une cause « réhabilitatrice » et transformatrice.

 

Je vous laisse conclure cet entretien

Je suis ravie d’avoir pu développer mon opinion avec vous tout autant que de la perspective de susciter la curiosité du lecteur. Nous vivons des temps difficiles, des conflits rythment nos vies loin d’être tranquilles ! On se demande jusqu’à quel point l’homme perpétuera les exactions dont nous sommes témoins tous les jours. La discrimination capillaire semble un sujet bien banal à côté de tout cela, dirons certains ? Mais si l’on comprend que c’est en réalité une façon de de s’aborder – en deux mots n’est-ce pas- soi-même, c’est essentiel. C’est parce que nous avons été trop longtemps maintenus dans une certaine forme d’ignorance que nous avons vécu ses griefs. Aujourd’hui, nous avons tout à notre portée pour saisir les connaissances qui nous échappent et se les approprier. Des siècles ont vu le marronnage physique d’esclaves fuyant les plantations. Aujourd’hui, c’est le sort que nous devons réserver aux idées fausses et aux mauvais clichés. Daniel Pennac disait que : « Chaque lecture est un acte de résistance. Une lecture bien menée sauve de tout, y compris de soi- même. » Je crois que l’écriture aussi… Et ce sera ma façon d’encourager tous mes potentiels lecteurs à vouloir lire encore, en particulier, je l’admets les auteurs afro- caribéens. Je vous remercie pour votre travail, et votre site que je considère comme une plateforme idéale et complémentaire à ce projet.

NB : la couverture du livre a été faite par la franco- camerounaise Nicholle Kobi

Lire aussi dans la rubrique MUSIQUE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo