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© AFRIKSURSEINE : Ecrivain et Romancier Calvin DJOUARI
- 07 Nov 2025 10:21:24
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CAMEROUN :: PAUL BIYA ET LE RITE DU POUVOIR, MA LECTURE SYMBOLIQUE DU DISCOURS DE PRESTATION DE SERMENT :: CAMEROON
Le 6 novembre revêt une portée symbolique majeure dans l’histoire politique du Cameroun et dans la trajectoire personnelle de Paul Biya. En prêtant serment pour la première fois le 6 novembre 1982, il inaugurait une ère nouvelle, celle de la continuité républicaine après Ahmadou Ahidjo. Quarante-trois ans plus tard, le 6 novembre 2025, il répète le même geste, au même lieu, désormais rénové et somptueux, comme pour boucler un cycle historique et affirmer la permanence du pouvoir au-delà des générations. Cette coïncidence de dates n’est pas anodine : elle transforme le 6 novembre en jour fondateur et quasi sacré, où se confondent mémoire et légitimité, passé et présent. En réitérant son serment à la même date, Biya semble sceller un pacte avec le temps, érigeant son parcours politique en symbole de stabilité et de destin national, où l’homme et l’histoire se rejoignent dans un même continuum républicain. Comme à son habitude, c’est un littéraire au lieu d’un juriste qui a rédigé ce discours, tant il suit une architecture rhétorique classique, typique des allocutions du président Paul Biya. Il y a d’abord cette introduction protocolaire, marquée par une série de remerciements, véritable marque de gratitude, et une mise en scène de la solennité du moment. L’objectif est clair : installer une atmosphère de respect institutionnel et d’unité nationale. Vient ensuite le diagnostic de la situation nationale, avec la fameuse formule : « Je mesure la gravité de la situation », qui sert surtout de tremplin pour rappeler les valeurs fondatrices de son engagement, « rester fidèle aux idéaux… » et pour lancer un appel à la responsabilité collective et à la cohésion nationale, « j’en appelle à l’union sacrée… ».

La conclusion implicite s’impose d’elle-même : « les joutes de l’élection sont derrière nous », un appel à la stabilité et à la pacification. Cette première partie du discours est renforcée par un lexique noble et une syntaxe équilibrée. Par souci de solennité, il interpelle son auditoire par des formules rituelles, « chers compatriotes », tout en rappelant que Dieu Tout-Puissant et le Peuple camerounais, incarnations de la République, lui ont confié cette mission. Pour la première fois, il introduit avec plus d’insistance la dimension religieuse et morale, « la mission sacrée que Dieu Tout-Puissant et le Peuple camerounais souverain ont bien voulu me confier ». L’association de Dieu et du Peuple instaure une double légitimation, spirituelle et démocratique, qui confère au discours une aura quasi mystique. Ainsi, la sacralisation du mandat donne une valeur morale à l’exercice du pouvoir. Ce qui rappelle à ceux qui contestent sa place qu’il demeure un homme élu, légitimé à la fois par la foi et par le suffrage. Le ton reste néanmoins rassembleur, éloigné de toute polémique, insistant sur la concorde, la paix et le vivre-ensemble. Tous les discours du président depuis 1982 obéissent à cette logique : chaque allocution est à la fois un acte civique et un rituel d’État. Lui-même homme de lettres, Paul Biya affectionne les anaphores et les répétitions : « Je mesure… Je mesure… Je mesure… », ou encore « Quelles que soient les circonstances. Quelles que soient les difficultés. » Ces reprises rythment le discours et soulignent non pas une émotion, mais une lucidité politique face à la gravité des défis. L’usage des pronoms personnels constitue également une stratégie discursive essentielle. Le « je » présidentiel domine la première partie : il incarne la responsabilité individuelle du chef de l’État, garant du serment. Puis, le « nous » s’impose, marquant une transition vers une dimension collective. Ce glissement n’est pas neutre : souvent, lorsque le président évoque les épreuves ou les difficultés, il parle au « nous », mais lorsqu’il rappelle les réussites, il emploie le « je ». Ainsi, le « nous » apparaît comme le pronom du devoir partagé : « Nous devons, ensemble, jeter les bases d’un avenir encore plus prometteur. » Dans la difficulté, le président ne veut pas avancer seul : il engage toute la République.

Ce passage du « je » au « nous » a une fonction politique précise, transformer le pouvoir personnel en projet national. La force du discours repose sur une foi commune incarnée par des mots récurrents : « peuple », « union », « soutien », « ensemble », « concorde », « rassemblement », « patrimoine commun ». Ces termes forment une constellation lexicale qui renforce la rhétorique de l’unité nationale. Tout concourt à effacer les fractures post-électorales et à reconstruire un sentiment d’appartenance partagée, où le verbe présidentiel devient le ciment symbolique d’une nation en quête d’équilibre. Au milieu de son discours, le président reprend la métaphore du combat et du devoir : « Je vous invite à prendre part à ce combat salutaire » ; « Nous devons le construire, le solidifier, le moderniser et non le détruire ». Les verbes d’action expriment une volonté de mobilisation. Le Cameroun est présenté comme un corps vivant ou un édifice national à défendre, bâtir et moderniser, ce qui renforce la symbolique du travail et du sacrifice collectif. Lorsqu’il répète : « Quelles que soient les circonstances. Quelles que soient les difficultés », la parataxe, bien que posée sur un ton presque feutré, laisse transparaître un recours à la force intérieure. On sent un homme déterminé, désireux de continuer l’œuvre, mais dont le souffle trahit le poids des années. « Je voudrais, en cette occasion solennelle, renouveler devant vous un engagement que j’ai déjà pris par le passé » : ces phrases longues, mesurées, rappellent le style gaullien, de 1968, à mais à la différence de Paul Biya il dira que je quitte les choses avant que les choses ne me quittent. Popol a la volonté, on croirait voir un boxeur vieillissant, auréolé de gloire, mais prêt à remonter sur le ring une dernière fois. c’est ainsi qu’il surprend une fois de plus ce matin : il lit son discours sans hésitation, sans faiblesse apparente.

Très suivi dans le monde, ce discours se distingue par une économie de mots puissants et une maîtrise du symbolisme politique. Chaque terme semble choisi pour apaiser, stabiliser, rappeler la continuité de l’État. L’union sacrée sert à calmer les fractures post-électorales. L’appel à la jeunesse et à l’avenir introduit une note d’espérance. La mention du « soutien indéfectible du peuple » réaffirme un lien de fidélité réciproque. Le discours articule ainsi autorité, humilité et cohésion, dans une langue sobre, presque liturgique. Suit alors la présentation du projet de société, avec ses grands axes : écoute du peuple, promotion de la jeunesse et des femmes, emploi et croissance, réformes institutionnelles, sécurité nationale, lutte contre le terrorisme, unité et pacification post-électorale. Cette progression suit une logique descendante : de la vision globale aux mesures concrètes, des principes aux défis immédiats. C’est maintenant que le président est entré en campagne. Le ton est calme, professoral, mesuré, un pouvoir qui explique. On retrouve ici le « biyaïsme », un discours hiérarchisé, contrôlé, riche en futur simple (« nous allons intensifier », « je vais mettre en œuvre ») pour projeter un horizon de travail, couplé au présent performatif (« je viens d’ordonner », « j’ai décidé ») pour marquer l’action immédiate. Cette alternance inscrit le chef de l’État dans une double temporalité : celle du pouvoir qui agit, et celle du projet qui se déploie. Les termes action, mission, promotion, protection, efforts, engagement, accomplissement dominent ; un vocabulaire pragmatique, tourné vers l’efficacité et l’administration. Biya expose une vision claire ; reste à son entourage d’en assurer la mise en œuvre.

Le discours renchérit vers l’avenir, jeunesse, femmes, emploi, numérique, agriculture, plaçant le président dans la posture d’un père protecteur, garant de l’avenir d’une génération. On retrouve une forme de paternalisme bienveillant : la carotte et la fermeté, même à un âge avancé. Il rappelle les forces de défense et de sécurité, désigne les groupes terroristes, appelle au dialogue communautaire et à la reconstruction, puis scelle le tout par un avertissement solennel : « L’ordre régnera ». L’antithèse ordre, désordre structure tout le passage. Même sans prononcer « par tous les moyens », la fermeté est claire. Toujours dans sa pédagogie du pouvoir, le président adopte le ton du professeur d’État : il explique, numérote, développe, rassure. Même fatigué, il transforme les orientations politiques en cours magistral de gouvernance. Mentionner la diaspora comme source d’agitation post-électorale relève d’un double avertissement : rappel de l’autorité de l’État, et préparation psychologique à une réponse ferme contre toute dérive. Ce passage trace la frontière entre liberté démocratique et subversion, réaffirmant que la stabilité nationale, présentée comme sacrée, prime sur toute ambition ou agitation. En somme, ce discours se veut à la fois testament et feuille de route. Le verbe y est instrument de légitimation, la syntaxe miroir du pouvoir, et le mot Cameroun presque sacralisé. Tous les registres y passent, religieux, politique, patriotique. Paul Biya s’y présente moins en chef de parti qu’en père de la Nation, renouant son pacte spirituel et historique avec le pays. La prestation de serment devient alors rite de continuité, promesse d’espérance et affirmation d’un destin partagé.
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