DECRYPTAGE : Comment le MRC a piégé le juge des élections
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Le Conseil constitutionnel croyait que la contestation des opérations électorales était impossible au regard des prescriptions de la loi et des usages, sombrant dans une espèce de laxisme. La haute juridiction a été surprise de voir que les contestations reposaient sur les propres documents de Elécam.

L’image du visage de M. Emile Essombé, membre du Conseil constitutionnel, broyant ses molaires et frottant ses doigts comme s’il allait bientôt bondir de l’estrade pour en venir aux mains avec les avocats et mandataires du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), n’a pas échappé au réalisateur de la Crtv vers la fin de la deuxième journée de l’audience consacrée au contentieux électoral de la Présidentielle du 7 octobre dernier. Le gros plan immortalisé par la Crtv le 17 octobre illustre le dépit d’un Conseil constitutionnel, arbitre qui aura masqué ses coups jusqu’au bout, pris en flagrant délit de partialité, mais qui aura été surpris par la sagacité de l’équipe de Défense du candidat Maurice Kamto. A ce moment-là, M. Alain Fogue du MRC prenait à témoin le public présent dans la salle d’audience en lui montrant un procèsverbal d’une Commission mixte départementale, pour dire que le document n’a pas été paraphé dans toutes ses pages. D’où la confusion de M. Essombè.

C’est que, quelques minutes plus tôt, le président du Conseil, M. Clément Atangana, avait décidé avec autorité de mettre un terme aux débats au sujet de la requête en annulation partielle des résultats de la Présidentielle du 7 octobre introduite par le candidat Kamto, en dépit de l’insistance des avocats de ce dernier pour que leur client interviennent pour la dernière fois au sujet des «mensonges» entendus de la bouche des adversaires…

Pendant deux jours, rappelait M. Clément Atangana, les débats n’avaient porté que sur cette requête du MRC. Il passait cependant la parole au Conseiller Emile Essombè, qui essayait d’en profiter pour se justifier au sujet des propos tenus la veille à l’adresse de Me Michèle Ndocki, l’un des avocats de M. Kamto. Un scénario que le président Atangana a sans doute regretté. Le mardi, 16 octobre 2018, M. Essombè avait quasiment qualifié la défense de M. Kamto d’être intellectuellement malhonnête et d’avoir usé de faux, lors de la présentation minutieuse des pages extraites d’une trentaine de rapports litigieux venus des commissions mixtes départementales de supervision des élections non signées ou non paraphées par les membres desdites commissions. Des résultats provisoires offrant à chaque fois une avance stalinienne au candidat Paul Biya sur ses concurrents… Pour Me Ndocki, ces résultats agrégés dans des tableaux non-paraphés avaient été fabriqués pour fausser le résultat de l’élection. Les documents utilisés par la défense du MRC «pour démontrer la fraude» étaient ceux sur la base desquels avait travaillé la Commission nationale de recensement général des votes présidée par le Conseiller Essombè. Ce dernier a perdu le contrôle devant la démonstration de Me Ndocki, prenant ainsi la parole pour la qualifier de faussaire…

En fait, le Conseil constitutionnel n’avait pas pressenti le piège tissé par la défense du MRC. Tout au long des travaux de la Commission nationale de recensement général des votes, le mandataire du candidat Maurice Kamto n’a jamais contesté les documents reçus des 54 commissions mixtes départementales. Une attitude qui a fait dire à l’hebdomadaire L’Anecdote, loin de voir le coup-fourré de l’enseignant, que «Alain Fogue lâche Maurice Kamto». Une source interne au Conseil constitutionnel raconte le contre-pied réussi par M. Fogue : «Il s’est contenté d’accumuler les documents mis à disposition pour le travail de la Commission, laissant aux autres membres de la Commission l’impression qu’il était convaincu, au regard des chiffres agrégés, de la victoire incontestée du candidat Paul Biya. Le Conseil constitutionnel a été surpris par l’exploitation faite des documents collectés pour afficher, sur la place publique, leurs insuffisances… ».

Les membres du Conseil constitutionnel étaient d’autant surpris qu’ils ont probablement misé sur l’incapacité des adversaires du président Biya à disposer chacun d’un représentant dans les 25 mille bureaux de vote de la République pour se sentir installés dans un confort. Les porte-paroles du parti au pouvoir l’avaient claironné, depuis la fin du scrutin, comme s’il suffisait d’avoir des représentants partout pour gagner… Ils s’étaient imaginés que le MRC était incapable de contester les résultats, parce qu’il lui manquait certains procès-verbaux des bureaux de vote ou des travaux des commissions communales. Ils pensaient qu’en cas de présentation d’un procès-verbal contraire à celui émanant d’Elécam, ils se contenteraient d’évoquer la loi électorale pour dire que c’est le document présenté par Elécam qui fait foi, en cas de divergence. Ils ont été pris au dépourvu.

La commission nationale de supervision n’a jamais eu un regard véritablement critique sur les résultats reçus des commissions inférieures… Elle n’a même pas vérifié le Procès-verbal de la Commission nationale de recensement général des votes, en dépit des signaux inquiétants donnés par la défense du candidat du MRC par rapport au sort réservé aux documents émanant des commissions mixtes départementales. Elle a donc été prise en flagrant délit de laxisme, puisqu’au soir même de la proclamation des résultats, Maurice Kamto a encore trouvé à redire sur les calculs opérés sur la base des propres chiffres de Elécam (lire ci-contre). L'information claire et nette. On aurait dit que le Conseil constitutionnel travaillait pour ruiner son propre crédit... Avant de quitter la barre le 17 octobre 2018, la défense de Maurice Kamto a demandé, comme la veille déjà, que les procès-verbaux émanant de 32 départements mis en cause par elle, soient présentés et examinés publiquement. M. Alain Fogue, mandataire du MRC au sein de la Commission nationale de recensement des votes, a aussi demandé que les fiches d’émargement des électeurs dans les bureaux de vote soient aussi présentées pour être examinées par toutes les parties devant le Conseil constitutionnel.

Fidèle à sa ligne de conduite, le président Clément Atangana est resté sourd à cette demande. L’ancien président de la chambre administrative se contentera cependant d’interroger les avocats de M. Kamto sur le texte de loi qui régit la signature des procès-verbaux des commissions chargés d’agréger les résultats de la Présidentielle et de les redresser, si nécessaire. Une façon de dire qu’il y avait vide juridique et que la contestation était infondée. Un juridisme qui s’est retourné contre le Conseil constitutionnel, puisque M. Fogué, mandataire du MRC au sein de la Commission Essombè a rétorqué que le fait pour le représentant de la haute juridiction, haut magistrat de carrière, d’avoir insisté pour que l’ensemble des membres de la Commission signe, était révélateur d’une bonne pratique connue par tous les magistrats.

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