Jean-Dieudonné Ntsama : « Il y a eu manquement de la part des Etats accréditaires »
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Les Camerounais s’indignent après les actes de vandalisme perpétrés dans certaines représentations diplomatiques en Europe. Pourquoi est-ce que les autorités de la France et de l’Allemagne n’ont-elles pas pris les mesures de sécurité nécessaires pour protéger ces installations?
Je ne saurais vous dire pourquoi les dispositions n’ont pas été prises. Mais, ce que je peux dire, c’est que ces autorités devaient les prendre, au titre de l’alinéa 2 de l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques qui prescrit une obligation spéciale à l’Etat accréditaire d’empêcher que les locaux de la mission diplomatique ne soient envahis ou endommagés, que la paix de la mission ne soit troublée ou sa dignité amoindrie. Vous voyez que c’est un article qui prescrit une obligation sans condition, parce que l’Etat accréditant peut assurer la sécurité de sa mission diplomatique. Mais, il ne peut pas assurer sa protection. C’est deux choses différentes. On peut même utiliser des vigiles pour la sécurité. Cependant, pour assurer la protection, quand on a en face une centaine d’individus, les vigiles ne peuvent rien faire, surtout quand une telle horde se met à escalader la grille ou attaque l’ambassade. Celle-ci est sur le territoire d’un Etat souverain, lequel a l’obligation d’assurer sa protection. L’autre obligation, et c’est l’alinéa 1er du même article, pose le principe de l’inviolabilité des locaux de la mission. C’est-à-dire qu’on ne peut pas y pénétrer. Même les autorités du pays accréditaire ne peuvent pas y pénétrer, sauf consentement exprès du chef de la mission diplomatique. Les gens voient plus cet alinéa 1 er , mais voient moins l’alinéa 2 car c’est deux choses différentes. L’inviolabilité concerne l’intérieur de la mission diplomatique. Mais la protection concerne les locaux, y compris l’enceinte. C’est ce qui n’a pas été fait dans les deux cas malheureusement.

Il y a donc eu défaillance de ce point de vue…
Je ne dirais pas défaillance, mais manquement. Je dois préciser que les relations diplomatiques sont basées sur un principe cardinal, celui de la réciprocité qui doit être positive et non négative. Dans le cas d’espèce, s’il y avait eu réciprocité négative, on aurait aussi laissé envahir les locaux des missions de ces pays au Cameroun. Mais, on ne doit pas procéder de manière négative. Nous protégeons ces locaux. Je peux vous dire que dans d’autres pays, ces incidents ne se seraient jamais produits car là-bas, il y a un policier en faction devant chaque mission diplomatique pour pouvoir assumer cette obligation spéciale. Parce que s’il y avait eu un policier en faction, cela aurait dissuadé les assaillants. Chaque Etat a sa manière, ses règlements. En France et en Allemagne, il y a des cameras de surveillance. Ce sont des Etats où la sécurité est très importante et on ne peut que déplorer que ce soit arrivé et faire en sorte que ça ne se reproduise pas.

Les assaillants ont, selon des sources concordantes, passé plusieurs heures à l’intérieur de la mission diplomatique en France. Est-ce à dire que les autorités, même informées, auraient tardé à réagir ?
Quand les assaillants sont à l’intérieur, la situation est différente. Comme je vous l’ai expliqué, ils ne devaient pas y pénétrer, en faisant usage de l’alinéa 2 de l’article 22. Dès lors qu’ils sont à l’intérieur des locaux, c’est l’alinéa 1er qu’il faut activer. Il faut la demande et le consentement formels du chef de mission. Evidemment, les autorités vont demander que ce consentement se fasse par écrit. Rédiger la note verbale et l’acheminer aux autorités, ça prend du temps et aussi, le temps que la hiérarchie dans le pays d’accréditation puisse mettre en branle le dispositif pour permettre d’évacuer la mission qui est déjà envahie. Tout cela prend un certain temps et peut expliquer pourquoi l’intervention a traîné. Ce qui a permis aux assaillants d’avoir le temps de causer les dégâts qu’on connaît.

Quelle est la conséquence de cette situation ?
Quand on met à sac le bureau de l’ambassadeur, il n’y a plus de confidentialité, parce que même les archives de la mission diplomatique sont inviolables, et dans le cas d’espèce, tout était à nu. C’est vraiment quelque chose de très regrettable qui s’est produit et qui ne devait pas se produire. Il y avait des portes ouvertes un samedi. Ça appelle un questionnement. Comment est-ce que la porte centrale a pu être ouverte un samedi ? Ce qui est constant dans cette situation, c’est que les autorités des pays accréditaires n’ont pas réagi comme il se devait. Elles auraient fait mettre en place un cordon de sécurité pour que les missions ne soient pas envahies. D’ailleurs, l’accès à l’ambassade à Paris est sur une façade. On ne peut y accéder que par la façade principale. S’il y avait eu un cordon sur cette façade-là, personne ne serait entré.

Maintenant que les incidents se sont produits, que va-t-il se passer ? Peut-il y avoir réparation de la part des pays accréditaires ?
Il n’y a pas de réparation d’office. Pour actionner ce qu’on appelle la demande en responsabilité de l’Etat, il faut que l’Etat qui a subi des dommages le demande. Avant de parler de réparation, il y a, sur le plan diplomatique, l’expression de la protestation. On l’a déjà fait pour dire que ce qui est arrivé n’est pas quelque chose de normal. Maintenant, ça dépend du chef de l’Etat qui est le chef de notre diplomatie, s’il veut demander des réparations. Au-delà des réparations, ce qu’il faut demander, c’est que les auteurs soient identifiés, poursuivis et condamnés. Mais, dans ces domaines, on dépend aussi du pays de résidence, parce que c’est la loi française ou allemande qui s’impose, selon le cas. Ce sont les institutions judiciaires de ces pays qui diligentent les procédures.

Est-il envisageable que les présumés auteurs soient extradés vers le Cameroun ?
L’extradition obéit à des conventions internationales, et on ne peut pas extrader quelqu’un qui n’est pas condamné. Il faut d’abord épuiser la procédure pour que les suspects soient condamnés avant de demander leur extradition. En plus, l’extradition n’est pas automatique, car le tribunal compétent c’est généralement la Cour d’appel qui statue sur la demande d’extradition. Mais, il y a des conventions d’entraide judiciaire entre le Cameroun et la France et entre le Cameroun et l’Allemagne. Il faut aussi dire qu’il y a des gens qui ont la double nationalité parmi les assaillants, ce qui complexifie le problème. On peut se demander si l’autre pays de nationalité va exercer la protection diplomatique en cas de procédure. C’est ça la complexité de la double nationalité. La Cour internationale de justice avait tranché ce problème, en définissant la nationalité dans un arrêt célèbre où elle avait dit que la nationalité est un lien effectif de rattachement doublé d’une communauté d’intérêt et de sentiment. On voit donc chez celui qui est binational où est le lien effectif de rattachement. Et c’est ce pays qui a le droit d’exercer la protection diplomatique si jamais la question se pose .

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