Phénomène : Quand les réseaux sociaux secrètent la mort
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Les soucis de santé de Rigobert Song ont provoqué des glissements dangereux sur une toile où les repères moraux se perdent.

Le Cameroun tout entier retient son souffle. Comme au soir du 13 février 2000, lors de la fatidique séance de tirs aux buts en finale de la coupe d’Afrique des nations contre le Nigéria, c’est vers Rigobert Song que convergent toutes les inquiétudes. Il y a 16 ans au national stadium de Lagos, Rigobert Song, « Magnan », le capitaine bondissant permettait aux Lions indomptables de remporter un nouveau trophée continental après 12 ans de disette.

L’image d’un défenseur  central implacable, haranguant ses coéquipiers dans les instants de doute est restée dans l’imaginaire collectif comme l’incarnation même du fameux « fighting Lions spirit » qui a quitté la tanière depuis que l’ancien sociétaire du Tonnerre de Mvog-Ada a pris congé de l’équipe nationale en 2010. Le 3 octobre 2016, autre lieu mais même acteur principal.

« Magnan » est cette fois couché sur un lit du Centre des urgences de Yaoundé, le corps inerte à peine recouvert par un drap blanc, seul élément écarlate d’un panorama bien terne. Une panoplie de câbles médicaux est connectée au Lion qui ne peut plus rugir. Par respect pour l’intimité du double champion d’Afrique, nous ne publierons pas cette photo glauque qui apparait comme un nouveau dérapage, un de plus, un de trop, d’une galaxie du numérique où les pixels ont remplacé les neurones.

Photographie cruelle

La photographie, cruelle, a été prise par quelqu’un qui est visiblement proche de l’icône ou bien un membre du personnel médical. Cette personne, dont les intentions demeurent nébuleuses, sera le point de départ d’un « buzz » dont seuls les réseaux sociaux peuvent assurer aujourd’hui un si large spectre de diffusion en instantané. Les utilisateurs de Facebook, Twitter, Instagram et WhatsApp, pour ne citer qu’eux, ont reçu le triste portrait du capitaine « à l’insu de leur plein gré. »

Elle provoque indignation, compassion, pitié mais parvient presque toujours à enclencher un réflexe contenu en un mot : partage. Des internautes veulent être les premiers à pavoiser leurs murs avec l’agonie de « Magnan » afin de montrer à la face du peuple de la toile qu’ils sont « update », en lien permanent avec des pseudos proches de Song dont ils se déclarent des intimes.

« L’entourage vient de  m’annoncer sa mort. Source très sûre. C’est fini » a posté péremptoirement un « facebookeur », ponctuant sa logorrhée macabre d’un smiley (petit personnage coloré) de tristesse. C’est alors l’avalanche des « RIP » (Rest in Peace, en français repose en paix) afin d’allumer un cierge à la mémoire de l’indomptable mis six pieds sous terre alors que son souffle continue de narguer la grande faucheuse. Sur Facebook, on a même eu droit à un montage où on pouvait lire :

« J’ai combattu le bon combat Rigobert Song Bahanag 1er juillet 1976-03 octobre 2016 » portant l’estampille d’un site d’informations qui pensait avoir flairé le scoop. D’heures en heures, « Rigo » est mort et ressuscité autant de fois qu’il est monté en première ligne durant les 90 minutes d’un match de football : sans cesse. « Magnan » peut encore tacler ceux qui ont déjà porté précocement les vêtements noirs du deuil en remportant la partie la plus importante de sa carrière, chose que d’autres célébrités épiées jusque dans leurs tombeaux ne peuvent plus faire.

La mort leur va si bien

Le 24 avril dernier, Papa Wemba s’écroulait lors d’un concert à Abidjan en Côte d’Ivoire. En pleine envolée lyrique, le rossignol de la rumba congolaise a perdu sa voix et s’est tu pour l’éternité. Alors que le monde était encore sous le choc de cette éclipse inattendue, une image montrant l’interprète du titre «Awa y okeyi » les yeux clos va fuiter. Pire encore, la liaison de Papa Wemba avec une jeune fille sera révélée à coups de diapositives 2.0 captant leurs baisers interdits.

Difficile pour la famille de se recueillir lorsque la vie privée se retrouve sous les projecteurs des ragots. Destin similaire pour la belle voix d’Achalle, le premier vainqueur du concours musical Stars2main. Au lendemain de son décès le 27 juillet de cette année, les rumeurs autour de ses supposées pratiques intimes, qualifiées par certains de « déviantes », seront véhiculées, tout comme le visage du jeune premier à peine débarrassé du linceul mortuaire. Les photos du corps du  footballeur Patrick Ekeng vont être placardée sur les murs des réseaux sociaux tandis que des conversations du regretté styliste Patou Manga avec ses connaissances seront rendues publiques.

Avec les corps déchiquetés par les attaques de Boko Haram qui ont traumatisé les esprits au plus fort des attentats et la boucherie pratiquée sur Monique Koumatekel, l’année 2016 est pleine de récits peu agréables sur les nouveaux médias où le bon sens et la circonspection sont passés à la trappe.

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