Rachat Eneo-Actis : 78 milliards FCFA, le prix exorbitant d’un échec stratégique au Cameroun
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Rachat Eneo-Actis : 78 milliards FCFA, le prix exorbitant d’un échec stratégique au Cameroun :: CAMEROON

La décision du gouvernement camerounais de reprendre le contrôle du secteur de l'électricité, marqué par le rachat des parts d'Actis dans Eneo, est analysée par l'économiste Eugène Nyambal, ancien de la Banque mondiale, comme une nécessité stratégique incontournable, bien que réalisée à un coût exorbitant pour le contribuable. Pour lui, le retour de l'État dans le secteur est souhaitable, mais le prix de 78 milliards de FCFA versé à Actis est un fardeau financier injustifié au regard des dettes massives laissées par le concessionnaire et le non-respect avéré de ses obligations contractuelles.

L'économiste critique sévèrement l’historique des privatisations, dénonçant dès l’origine l’octroi de la concession à AES, une entreprise américaine jugée inexpérimentée, puis son rachat par Actis. Le secteur était en faillite financière et tout le système était déréglé. La raison économique du rachat est simple : si l'État n'avait pas agi, le coût futur de restructuration aurait été bien plus élevé. La privatisation avait démantelé l'ancien modèle intégré de la Sonel, créant une complexité que les acteurs locaux ne maîtrisaient pas : séparation de la production, du transport et de la distribution. L'investisseur étranger, placé dans la distribution où les investissements lourds étaient moindres, était là pour maximiser les profits et rapatrier les fonds, sans la capacité ni la volonté d’investir dans les infrastructures critiques.

L'analyse révèle que le déficit énergétique au Cameroun est la conséquence directe d'un enchaînement de défaillances. Premièrement, l'État n'a pas joué son rôle de stratège pour planifier l'avenir du secteur. Deuxièmement, l'État ne payait pas ses factures, engendrant des dettes croisées systémiques : Eneo, avec plus de 800 milliards de FCFA de dettes, ne pouvait payer ses fournisseurs, qui eux-mêmes ne pouvaient payer d'autres entreprises publiques. Troisièmement, le système était paralysé : la Sonatrel, chargée du transport, manquait de ressources, et Eneo n'avait pas la capacité d'investir dans les lignes de distribution.

Le barrage de Nachtigal, loin d'être une solution, accentue l'hémorragie financière. Eneo s'est engagé à payer 10 milliards de FCFA par mois au consortium EDF, soit 120 milliards par an. Étant donné la dette Eneo colossale, cette obligation est garantie par l'État, exposant le Cameroun à une dette supplémentaire potentielle et forçant inévitablement une restructuration de Nachtigal.

Face à ce fiasco, l'économiste esquisse une feuille de route urgente. La restructuration de la société Eneo et du secteur tout entier est la priorité absolue, mais elle doit être précédée d'une étape cruciale : définir une trajectoire claire. Il faut établir un bilan précis de la situation et se doter d'un plan stratégique pour les vingt à trente prochaines années. Au niveau opérationnel, l’État doit devenir un client responsable en payant ses factures. Il est également essentiel de réviser la tarification, en s'attaquant aux tarifs figés pour certaines grandes industries et en réduisant les pertes techniques et commerciales qui représentent une source de revenus potentielle.

Concernant le prix du rachat, l'économiste est catégorique : l'État aurait dû refuser de verser les 78 milliards de FCFA. Eneo avait l'obligation contractuelle de faire la maintenance des barrages de Songloulou et de Lagdo, un coût estimé à 280 milliards de FCFA, travaux non effectués. Ce non-respect du cahier des charges, ajouté à la dette de Nachtigal, offrait à l'État un dossier juridique solide pour engager un arbitrage et exiger des pénalités plutôt que de payer. Le rachat ne sera bénéfique que s'il est suivi d'une gestion basée sur les résultats, loin de l'improvisation et de la corruption qui minent la gestion publique des investissements depuis des décennies. La nationalisation seule n'est qu'un point de départ.

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