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© Correspondance : Ludovic Lado
 - 04 Nov 2025 11:22:24
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Visite du Pape au Cameroun: La lettre ouverte du le père Ludovic Lado au Très Saint Père Léon XIV :: CAMEROON
Très Saint Père. Je me permets de Vous adresser cette lettre dans un esprit de profonde déférence et de sincère amour filial, au nom des pauvres dont il est question dans la toute première exhortation de votre pontificat Dilexit te. Elle peut éclairer votre discernement.
J’ai appris avec joie que les préparatifs de Votre visite pastorale au Cameroun sont en cours. La venue du Successeur de Pierre est toujours une grâce immense pour le peuple de Dieu, comme ce fut le cas lors des visites de saint Jean-Paul II et du pape Benoît XVI.
Cependant, Très Saint Père, permettez-moi, dans un esprit de vérité et de responsabilité, d’exprimer une préoccupation qui habite de nombreux Camerounais attachés à la justice et à la paix. Le moment choisi pour une telle visite me semble particulièrement délicat.
Notre pays traverse une grave crise politique et morale. Les dernières élections du 12 octobre, entachées de fraudes massives, ont abouti au maintien au pouvoir d’un régime dont la légitimité est fortement contestée. Cette situation a engendré une crise postélectorale douloureuse, marquée par des violences, des morts et une répression sévère.
Il est également affligeant de constater que la plupart des fraudes électorales et des dérives sociales sont le fait de citoyens qui se réclament chrétiens, mais dont les actes contredisent l’Évangile de justice et de vérité. Les églises sont pleines le dimanche, mais la société demeure pleine de corruption, d’injustice et de violences qui crucifient les pauvres.
Paul Biya, dont le régime vient une fois de plus de violer la volonté du peuple qui avait porté son choix sur un autre candidat, est âgé de 93 ans et exerce le pouvoir depuis 43 ans.
Il cherche à se maintenir encore sept années supplémentaires, au prix de la vie de jeunes Camerounais tombés sous les balles. En effet, Très Saint Père, les dizaines de victimes recensées ont été tuées par des balles tirées sur des civils non armés par l’armée devenue une milice à la solde d’un homme, ce qui manifeste tragiquement le peu de souci accordé à la dignité de la vie humaine dans notre pays, surtout celle des plus pauvres. Ces drames déchirent nos consciences et appellent une parole prophétique de vérité et de compassion.
Dans la crise que traverse aujourd’hui le Cameroun, la quasi-totalité des manifestants tués sont des pauvres, ces jeunes désarmés et délaissés qui n’avaient pour seule arme que leur soif de justice et de liberté. Leur sang versé rappelle avec force que l’Évangile du Christ ne peut jamais être séparé du cri des opprimés.
Comme vous le rappelez dans la toute première exhortation apostolique Dilexit Te (DT), « l’affection envers le Seigneur s’unit à celle envers les pauvres » (DT 5). En écoutant ce cri, dites-vous encore, « nous sommes appelés à nous identifier au cœur de Dieu qui est attentif aux besoins de ses enfants, en particulier les plus démunis » (DT, 9).
Or, ce cœur de Dieu est aujourd’hui meurtri, car « sur le visage meurtri des pauvres, nous voyons imprimée la souffrance des innocents et, par conséquent, la souffrance même du Christ » (DT, 9). Le Cameroun est devenu le miroir tragique de cette parole : pendant que les pauvres meurent dans les rues, une élite vieillissante s’accroche au pouvoir et « vient grossir le nombre de ceux qui vivent dans une bulle de confort et de luxe, presque dans un autre monde par rapport aux gens ordinaires » (DT, 11).
Dans ce contexte, la venue du Saint-Père, si elle devait avoir lieu maintenant, risquerait d’être récupérée par un gouvernement illégitime en quête de respectabilité.
Or, Dilexit Te rappelle avec insistance que « l’option préférentielle de Dieu pour les pauvres » (DT 16) ne saurait être trahie par une proximité mal éclairée avec les puissants : « Ou même on choisit une pastorale des soi-disant élites, en soutenant qu’au lieu de perdre son temps avec les pauvres, il vaut mieux prendre soin des riches, des puissants et des professionnels afin qu’à travers eux l’on puisse parvenir à des solutions plus efficaces.
Il est facile de saisir la mondanité qui se cache derrière ces opinions : elles nous conduisent à regarder la réalité au moyen de critères superficiels et dépourvus de toute lumière surnaturelle, en privilégiant des fréquentations qui nous rassurent et en recherchant des privilèges qui nous arrangent » (DT, 114). C’est pourquoi, dans la fidélité à cette vision évangélique, il importe que la visite du Saint-Père ne soit pas instrumentalisée, mais demeure un signe prophétique en faveur des pauvres dont le cri monte chaque jour vers Dieu.
Très Saint Père, il convient aussi de préciser que le régime en place, dont les membres se sont enrichis de manière scandaleuse sur le dos des pauvres, n’hésitera pas à mobiliser des ressources considérables pour financer Votre visite, même si cela doit se faire au détriment des écoles, des hôpitaux et des services essentiels à la population.
Tout sera mis en scène pour donner l’illusion d’un pays prospère et accueillant, mais derrière ces apparences se cache une réalité tragique : ces fonds proviennent du peuple appauvri, de ces mêmes pauvres pour lesquels il n’y a ni soins, ni emploi, ni avenir. C’est de l’argent pris aux pauvres d’un pays dont on se soucie peu, mais dont on exploite la misère pour soigner l’image du pouvoir.
Très Saint Père, les mains des membres du régime de Paul Biya que Vous serez amené à serrer pendant Votre visite au Cameroun, comme celles d’Hérode et de Pilate, sont entachées du sang de pauvres Camerounais, victimes de la répression politique.
Comment pourrions-nous oublier les milliers de nos frères et sœurs qui ont péri dans le cadre de la crise anglophone, une tragédie nationale qui, jusqu’à ce jour, n’a toujours pas trouvé d’issue juste et durable ? Ces blessures béantes appellent non pas des gestes diplomatiques, mais une parole de vérité et un accompagnement sincère vers la paix.
Dans un tel contexte, une visite papale, si elle devait avoir lieu maintenant, risquerait d’être interprétée comme une forme implicite de caution donnée à un pouvoir discrédité et illégitime.
C’est pourquoi, Très Saint Père, avec tout le respect et la loyauté que je Vous dois, je me permets de Vous suggérer de reporter cette visite à un moment plus propice, lorsque le Cameroun aura retrouvé un climat de justice, de paix et de réconciliation, avec des autorités légitimes.
Le Cameroun a aujourd’hui davantage besoin d’une médiation de paix dans la vérité et la justice, et en cela, la Communauté de Sant’Egidio pourrait être d’un grand secours. Une telle initiative, soutenue par le Saint-Siège, pourrait ouvrir une voie de dialogue sincère entre les parties et aider notre nation à sortir de cette impasse historique. Une fois la crise apaisée et les cœurs réconciliés, votre visite serait alors accueillie dans un climat de paix et de joie véritablement évangélique.
Je suis conscient, Très Saint Père, que ces paroles peuvent m’exposer à des risques, mais je me sens habité par le devoir de dire la vérité, même lorsqu’elle peut me coûter la vie.
Mais une vie consacrée est une vie déjà donnée.
Je Vous confie cette intention dans la prière, en Vous remerciant pour Votre sollicitude pastorale et Votre témoignage de foi. Que Dieu continue de bénir Votre ministère pétrinien et qu’Il veille sur le Cameroun dans ces temps d’épreuve et sur toute l’humanité souffrante.
Veuillez agréer, Très Saint Père, l’expression de mes sentiments les plus filiaux et respectueux ».
Ludovic Lado, S.J.
Prêtre jésuite camerounais
Harvard University
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