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© Camer.be : Rev. Dr Joël Hervé Boudja
- 28 Feb 2021 09:38:56
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FRANCE :: PREDICATION DU DIMANCHE 28 FEVRIER 2021 PAR LE REV. JOËL HERVE BOUDJA
Textes : Genèse 22, 1-18 ; Romains 8, 31-34 ; Marc 9, 2-10
Comment ne pas être épouvanté à l'écoute de la première lecture de ce dimanche ? Dieu demande à un père, Abraham, de lui sacrifier son fils ! Et comment ne pas juger cette initiative totalement absurde puisque peu avant ce Dieu lui-même a promis d'offrir sa bénédiction au monde par le truchement de ce fils unique, Isaac ! Dieu sadique ? Dieu qui se contredit, qui s’aborde son projet ?
Quelle est cette divinité odieuse, ce moloch sanguinaire ? La clé de l'énigme se trouve peut-être dans le chapitre précédent de la Bible. On y apprend que le vieil Abraham a noué alliance avec un roi païen et qu'il a séjourné pendant très longtemps dans le pays des Philistins. Or on sait que les peuplades païennes pratiquaient le sacrifice des nouveau-nés : ainsi, lorsqu'un roi s'apprêtait à partir en guerre, il faisait parfois immoler son premier né dans l'illusion que la divinité, touchée et forcée par cette générosité héroïque, l'assurerait de la victoire.
A Carthage (comptoir des Phéniciens - dans l'actuelle Tunisie), on voit encore les vestiges de plusieurs petits autels de pierre contenant des ossements d'enfants. En Israël, tout au contraire, cette coutume barbare avait été strictement et absolument interdite par le Seigneur YHWH. Hélas, en dépit des rappels véhéments et des menaces des prophètes, elle se pratiquait quand même dans le fameux ravin de la géhenne aux abords de Jérusalem. Ces renseignements permettent d'éclairer quelque peu notre épisode.
En contact prolongé avec des païens, Abraham a pu se laisser contaminer par leurs croyances et en venir à penser que les dieux (ELOHIM) exigeaient en effet qu'il leur sacrifie son fils. Mais au moment fatidique, le seul et vrai Dieu, YHWH, a arrêté son bras. Cela signifie que les dieux imaginés par les hommes sont animés par nos impulsions les plus basses et les plus cruelles tandis que le seul vrai Dieu, YHWH, tel qu'il s'est révélé à Israël, refuse absolument ces ignominies. Lui qui crée chaque être humain "à son image et à sa ressemblance", il appelle les pères et les fils à vivre dans la concorde et l'amour. Au cours de ces siècles, il les éduque à décharger leur cruauté sur des offrandes d'animaux.
En outre, en conseillant à Abraham d'immoler un bélier (non un agneau), il lui apprend que c'est "le vieux" qui doit s'effacer devant "le jeune". A ceux qui s'offusqueraient de "la dureté" de ces temps anciens, rappelons qu’aujourd’hui à la génération qui a demandé le droit de supprimer les enfants, ceux-ci répliquent en proposant l'euthanasie des anciens. Et que l'on continue, partout, à envoyer les jeunes classes aux casse-pipes. Et que le plus gros pourcentage des chômeurs est celui des jeunes… ! Abraham et Isaac n'ont pas fini de faire la paix. Frères et Sœurs dans le seigneur, chers amis, nous aurions aimé être là, nous aussi.
Nous aurions aimé participer à cette expérience extraordinaire, sentir la présence du Père, entendre sa voix, être enveloppés dans la nuée de tendresse, rencontrer les grands témoins (Moïse, Elie) et les entendre parler avec celui qui accomplit l'Ecriture en franchissant l'épreuve qu'ils n'ont fait que désigner. Voir le Christ en pleine lumière, rayonnant de fragilité, comme le filament brûlant d'une lampe survoltée, l'humanité de Jésus saisie dans cette expérience limite, dans la tension de l'amour donné, à cœur ouvert face à la mort, en plein saut vers la réciprocité. Nous aurions aimé être là, discrets, tout petits, et faire l'expérience de Dieu Trinité. Nous aurions aimé être là et vivre avec Jésus, l'expérience du oui sans aucune restriction.
Nous aurions aimé être là. Nous y sommes à l'instant, par le témoignage de Pierre, Jacques et Jean. Nous y sommes aussi lorsque nous vivons, à notre tour, nos propres transfigurations. Mais nous avons respiré dans l'air ambiant, telle quantité de miasmes réducteurs, anti-mystère, anti-miracles, anti-merveilleux, que nous ne pouvons, en Europe, entendre cet épisode comme sérieux, vécu tel quel physiquement. Je serais donc tout naturellement porté à faire une lecture mythique de ce récit en l'interprétant symboliquement.
A la lumière, substituer la conscience : la perception de la relation au Père dont on entend la voix. A la présence de Moïse et d'Elie, substituer la méditation biblique de la Pâque de ces deux précurseurs. Jésus réfléchit à sa vocation, à son destin et il se comprend lui-même dans le contexte de la rumeur biblique. La Transfiguration ? Un événement mental en quelque sorte : « rassurez-vous braves gens, nous ne sommes pas des illuminés !
Nous avons à votre disposition une lecture moderne de l'Ecriture, qui tient compte de l'exégèse et des genres littéraires ! » J'ironise, mais cette lecture a sa valeur, elle est même très intéressante car elle pointe le sens de l'événement, plus important que tout, finalement. Mais elle est ici peut-être rétrécie, aseptisée, désincarnée. Cette lecture s'intéresse au sens, mais elle refuse la réalité qui porte le sens. Elle n'entre pas dans l'expérience, elle en a peur. Mais si c'était vrai ? M'affranchissant de mes soupçons, je prends le risque d'entendre le témoignage comme il est présenté : une expérience limite vécue par Jésus dans son corps, en présence de trois disciples qui ont peur et gardent le secret.
Car l'expérience spirituelle existe ! Qu'il y ait des charlatans et des contrefaçons ne contredit pas ce fait. Certes l'expérience mystique, s'exprime comme elle peut, toujours dans un contexte donné, ici, l'Exode et la Nuée. Mais tout ne se réduit pas à un procédé littéraire. Il ne s'agit pas d'une prise de conscience seulement, cela va bien plus loin qu'un événement mental. Ils sont trois témoins et si, en Occident, nous avons des stigmatisés, en Orient, les spirituels sont des transfigurés. Le corps, écorce de l'âme, se fait alors sa parfaite expression ; d'enveloppe d'argile, il devient rayonnant.
Puisque le Verbe s'est fait chair, la chair devient révélation ! Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu, et la vie humaine va beaucoup plus loin que ce que nous avons exploré ! Pour que le récit nous parle vraiment, il faut qu'il éveille dans notre expérience personnelle certains échos. Or il y a dans l'homme un désir de transgresser les limites de sa condition historique, celles des lois physiques et celles du temps. Ce désir conduit certains à l'autodestruction, d'autres à l'évasion, il peut, et nous le voyons ici, conduire au dépassement et à l'accomplissement de soi dans une transfiguration furtive qui anticipe la résurrection définitive. L'autodestruction : c'est la drogue, depuis les simples stimulants, en passant par l'alcool, pour aboutir à la cocaïne, l'héroïne ou cette mal nommée 'Ectasy'. L'évasion : c'est le rêve, avec tout ce que l'on trouve dans le courant du New Age où le monde est tel qu'on veut l'imaginer. Vous vous mettez le DVD que vous voulez, dans le genre de l'horreur ou du sucré. Tout cela doit être dénoncé. Mais il y a aussi une expérience qui dépasse celle du quotidien et qui ne peut être soupçonnée de folie, d'hystérie ou de perversion, l'Evangile d'aujourd'hui en est la garantie. Conversions soudaines et inattendues, larmes et abandon de soi dans la confiance en Dieu, visions qui confirment un appel pressenti, transfigurations comme en connaissent les staretz en Orient... ces expériences sont d'une telle intensité que le sujet est comme « retourné ». Il est marqué dans son histoire par ces moments intimes et germinaux. Il peut en avoir peur et ne pas oser parler. Joie intense et solitude mêlées : il a le sentiment d'être devenu différent. C'est une expérience qui est donnée, elle ne se provoque pas. Il s'agit avant tout d'une surprise et n'est en rien le résultat d'un entraînement, ni le produit magique d'une formule, ni l'effet d'un médicament. Il s'agit de l'éblouissement d'une rencontre qui doit se prolonger en communion.
Tout est vécu dans la relation au Père, et tout est reçu. Impossible de le figer, de mettre la main dessus, de s'y installer. Pierre confond l'expérience de Dieu et Dieu lui-même ; la joie d'aimer et l'amour vécu. Dans la vie spirituelle comme dans l'amour adolescent, il peut y avoir beaucoup d’« amour de l'amour » et cela n'est pas encore l'amour vrai. La transfiguration est un moment, mais Dieu est amour et l'amour est élan. Le transfiguré sait qu'il sera bientôt défiguré. Il se libère de son image, de son apparence ou de son personnage, il ne fait pas écran, il ne se crispe pas sur lui-même mais se reçoit du Père qui l'envoie. Il rayonne cette relation de confiance et de vie qui le constitue dans son identité.
Vous l'avez entendu : sa transfiguration survient tandis qu'il médite son passage, le moment où, comme le dit Esaïe, il n'aura plus ‘’figure humaine’’, son passage par la défiguration. C'est toute la différence d'avec les marchands d'illusion. Nous aurions aimé être là, comme Pierre et construire trois tentes pour durer dans ce moment hors du temps. Mais il nous faut voir en vérité : Jésus rayonne de vie au moment précis où il accepte sa mort, une mort horrible, elle-même transfigurée en don de soi et chemin de résurrection. Pour nos frères orientaux, la Transfiguration est la fête la plus importante de l'année. C'est le monde entier, tout le cosmos, saisi par le Christ, qui aspire maintenant à être transfiguré.
Mes biens aimés, dit l’apôtre Jean, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsqu'il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu'il est ». 1 Jean 3:2 Bien-aimés dans le Seigneur, dans les récits bibliques, vous le savez sans doute, les passages clés sont situés bien souvent sur la montage: sur le mont Horeb, au Sinaï. C'est sur la montagne que Jésus proclame les béatitudes tout comme c'est sur le Golgotha que Dieu nous dévoile son vrai visage. Les deux récits que nous venons d'entendre sont permettez-moi l'expression, deux grosses étapes de montagne dans notre chemin vers Pâques.
Deux cols 'hors catégorie', mais pas infranchissables pour notre foi ! Le mont Moriah, tout d'abord. Comment ne pas être énervé à l'écoute du récit de la genèse ? Comment ne pas juger ce récit totalement absurde puisque Dieu lui-même avait promis sa bénédiction à Abraham! Voilà une fois de plus la figure d'un Dieu pervers qui revient. Et pourtant... si vous lisez le texte hébreu, c'est tout le contraire. Si vous prenez le texte, vous verrez qu'il y a en réalité trois noms de Dieu, il y a trois dieux différents.
Le texte nous invite justement à quitter l'image d'un dieu qui nous demanderait des sacrifices, d'un dieu qui nous mettrait à l'épreuve pour nous éprouver, à quitter aussi les divinités que nous construisons, pour découvrir un troisième Dieu, celui-là même qui a révélé son nom sur le mont Sinaï, le vrai Dieu qui arrête symboliquement la main d'Abraham. Ce Dieu, c'est celui qui refuse le sacrifice, le déni, la souffrance. La conclusion du texte est donc l'inverse du début : Dieu, s'il est le vrai Dieu, ne nous met pas à l'épreuve. Un Dieu d'amour qui nous mettrait à l'épreuve serait un dieu sadique. Sur le mont Gogotha, Jésus nous dévoilera l'image d'un dieu qui ne met pas à l'épreuve, mais qui s'éprouve dans un amour donné jusqu'au bout. Si cette première montagne nous invite à changer notre regard sur Dieu ; l'évangile, nous propose une autre montagne, qui nous invite à changer notre regard sur l'homme. C'est la montagne d'un nouveau départ, d'une nouvelle naissance.
Nous pensons souvent n'avoir qu'une naissance, mais nos vies sont faites constamment de moments de croissance et de renaissance. Un courant psychanalytique parle de quatre naissances. Si vous préférez, il y aurait quatre cols « hors catégorie » dans notre vie…Qu'il y en ait quatre ou des milliers peu importe. Elles ne sont pas là pour nous mettre à l'épreuve mais elles peuvent nous offrir de nouvelles naissances. Et si, comme les disciples, nous pouvons être traversés par des forces qui nous tirent en arrière ou qui veulent figer l'instant, il ne sert donc à rien de planter la tente de notre nostalgie pour faire revenir un passé dépassé.
Ce temps de carême est un temps de transfiguration, tendu vers la résurrection, un temps pour transformer notre regard sur Dieu ; un temps surtout pour transformer notre regard sur nous-mêmes et vivre une nouvelle naissance : Pour certains, il s'agira de vivre un deuil de manière plus apaisée, pour d'autres de porter un regard non douloureux sur une cicatrice de l'existence, pour d'autres encore, il s'agira de quitter un projet qui retient en arrière, ou de passer sur un autre versant de l'existence... Puissions-nous vivre ce temps du Carême comme une étape essentielle, dans laquelle nous pourrons accepter le défi d'être transfigurés : c'est à dire d'être devant les autres, ce que nous sommes devant Dieu. Le Carême n'est pas cette parenthèse qui nous invite à changer de vie pour un temps, mais ce temps où nous pouvons changer notre regard sur nous-mêmes et sur notre vie pour nous libérer. Alors, nous serons, pour nous-mêmes et devant nos proches, transfigurés. Amen.
En contact prolongé avec des païens, Abraham a pu se laisser contaminer par leurs croyances et en venir à penser que les dieux (ELOHIM) exigeaient en effet qu'il leur sacrifie son fils. Mais au moment fatidique, le seul et vrai Dieu, YHWH, a arrêté son bras. Cela signifie que les dieux imaginés par les hommes sont animés par nos impulsions les plus basses et les plus cruelles tandis que le seul vrai Dieu, YHWH, tel qu'il s'est révélé à Israël, refuse absolument ces ignominies. Lui qui crée chaque être humain "à son image et à sa ressemblance", il appelle les pères et les fils à vivre dans la concorde et l'amour. Au cours de ces siècles, il les éduque à décharger leur cruauté sur des offrandes d'animaux.
En outre, en conseillant à Abraham d'immoler un bélier (non un agneau), il lui apprend que c'est "le vieux" qui doit s'effacer devant "le jeune". A ceux qui s'offusqueraient de "la dureté" de ces temps anciens, rappelons qu’aujourd’hui à la génération qui a demandé le droit de supprimer les enfants, ceux-ci répliquent en proposant l'euthanasie des anciens. Et que l'on continue, partout, à envoyer les jeunes classes aux casse-pipes. Et que le plus gros pourcentage des chômeurs est celui des jeunes… ! Abraham et Isaac n'ont pas fini de faire la paix. Frères et Sœurs dans le seigneur, chers amis, nous aurions aimé être là, nous aussi. Nous aurions aimé participer à cette expérience extraordinaire, sentir la présence du Père, entendre sa voix, être enveloppés dans la nuée de tendresse, rencontrer les grands témoins (Moïse, Elie) et les entendre parler avec celui qui accomplit l'Ecriture en franchissant l'épreuve qu'ils n'ont fait que désigner. Voir le Christ en pleine lumière, rayonnant de fragilité, comme le filament brûlant d'une lampe survoltée, l'humanité de Jésus saisie dans cette expérience limite, dans la tension de l'amour donné, à cœur ouvert face à la mort, en plein saut vers la réciprocité. Nous aurions aimé être là, discrets, tout petits, et faire l'expérience de Dieu Trinité.
Nous aurions aimé être là et vivre avec Jésus, l'expérience du oui sans aucune restriction. Nous aurions aimé être là. Nous y sommes à l'instant, par le témoignage de Pierre, Jacques et Jean. Nous y sommes aussi lorsque nous vivons, à notre tour, nos propres transfigurations. Mais nous avons respiré dans l'air ambiant, telle quantité de miasmes réducteurs, anti-mystère, anti-miracles, anti-merveilleux, que nous ne pouvons, en Europe, entendre cet épisode comme sérieux, vécu tel quel physiquement. Je serais donc tout naturellement porté à faire une lecture mythique de ce récit en l'interprétant symboliquement. A la lumière, substituer la conscience : la perception de la relation au Père dont on entend la voix.
A la présence de Moïse et d'Elie, substituer la méditation biblique de la Pâque de ces deux précurseurs. Jésus réfléchit à sa vocation, à son destin et il se comprend lui-même dans le contexte de la rumeur biblique. La Transfiguration ? Un événement mental en quelque sorte : « rassurez-vous braves gens, nous ne sommes pas des illuminés ! Nous avons à votre disposition une lecture moderne de l'Ecriture, qui tient compte de l'exégèse et des genres littéraires ! » J'ironise, mais cette lecture a sa valeur, elle est même très intéressante car elle pointe le sens de l'événement, plus important que tout, finalement. Mais elle est ici peut-être rétrécie, aseptisée, désincarnée. Cette lecture s'intéresse au sens, mais elle refuse la réalité qui porte le sens.
Elle n'entre pas dans l'expérience, elle en a peur. Mais si c'était vrai ? M'affranchissant de mes soupçons, je prends le risque d'entendre le témoignage comme il est présenté : une expérience limite vécue par Jésus dans son corps, en présence de trois disciples qui ont peur et gardent le secret. Car l'expérience spirituelle existe ! Qu'il y ait des charlatans et des contrefaçons ne contredit pas ce fait. Certes l'expérience mystique, s'exprime comme elle peut, toujours dans un contexte donné, ici, l'Exode et la Nuée. Mais tout ne se réduit pas à un procédé littéraire.
Il ne s'agit pas d'une prise de conscience seulement, cela va bien plus loin qu'un événement mental. Ils sont trois témoins et si, en Occident, nous avons des stigmatisés, en Orient, les spirituels sont des transfigurés. Le corps, écorce de l'âme, se fait alors sa parfaite expression ; d'enveloppe d'argile, il devient rayonnant. Puisque le Verbe s'est fait chair, la chair devient révélation ! Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu, et la vie humaine va beaucoup plus loin que ce que nous avons exploré ! Pour que le récit nous parle vraiment, il faut qu'il éveille dans notre expérience personnelle certains échos.
Or il y a dans l'homme un désir de transgresser les limites de sa condition historique, celles des lois physiques et celles du temps. Ce désir conduit certains à l'autodestruction, d'autres à l'évasion, il peut, et nous le voyons ici, conduire au dépassement et à l'accomplissement de soi dans une transfiguration furtive qui anticipe la résurrection définitive. L'autodestruction : c'est la drogue, depuis les simples stimulants, en passant par l'alcool, pour aboutir à la cocaïne, l'héroïne ou cette mal nommée 'Ectasy'. L'évasion : c'est le rêve, avec tout ce que l'on trouve dans le courant du New Age où le monde est tel qu'on veut l'imaginer. Vous vous mettez le DVD que vous voulez, dans le genre de l'horreur ou du sucré.
Tout cela doit être dénoncé. Mais il y a aussi une expérience qui dépasse celle du quotidien et qui ne peut être soupçonnée de folie, d'hystérie ou de perversion, l'Evangile d'aujourd'hui en est la garantie. Conversions soudaines et inattendues, larmes et abandon de soi dans la confiance en Dieu, visions qui confirment un appel pressenti, transfigurations comme en connaissent les staretz en Orient... ces expériences sont d'une telle intensité que le sujet est comme « retourné ». Il est marqué dans son histoire par ces moments intimes et germinaux.
Il peut en avoir peur et ne pas oser parler. Joie intense et solitude mêlées : il a le sentiment d'être devenu différent. C'est une expérience qui est donnée, elle ne se provoque pas. Il s'agit avant tout d'une surprise et n'est en rien le résultat d'un entraînement, ni le produit magique d'une formule, ni l'effet d'un médicament. Il s'agit de l'éblouissement d'une rencontre qui doit se prolonger en communion. Tout est vécu dans la relation au Père, et tout est reçu. Impossible de le figer, de mettre la main dessus, de s'y installer. Pierre confond l'expérience de Dieu et Dieu lui-même ; la joie d'aimer et l'amour vécu. Dans la vie spirituelle comme dans l'amour adolescent, il peut y avoir beaucoup d’« amour de l'amour » et cela n'est pas encore l'amour vrai. La transfiguration est un moment, mais Dieu est amour et l'amour est élan. Le transfiguré sait qu'il sera bientôt défiguré.
Il se libère de son image, de son apparence ou de son personnage, il ne fait pas écran, il ne se crispe pas sur lui-même mais se reçoit du Père qui l'envoie. Il rayonne cette relation de confiance et de vie qui le constitue dans son identité. Vous l'avez entendu : sa transfiguration survient tandis qu'il médite son passage, le moment où, comme le dit Esaïe, il n'aura plus ‘’figure humaine’’, son passage par la défiguration. C'est toute la différence d'avec les marchands d'illusion. Nous aurions aimé être là, comme Pierre et construire trois tentes pour durer dans ce moment hors du temps. Mais il nous faut voir en vérité : Jésus rayonne de vie au moment précis où il accepte sa mort, une mort horrible, elle-même transfigurée en don de soi et chemin de résurrection. Pour nos frères orientaux, la Transfiguration est la fête la plus importante de l'année.
C'est le monde entier, tout le cosmos, saisi par le Christ, qui aspire maintenant à être transfiguré. Mes biens aimés, dit l’apôtre Jean, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsqu'il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu'il est ». 1 Jean 3:2 Bien-aimés dans le Seigneur, dans les récits bibliques, vous le savez sans doute, les passages clés sont situés bien souvent sur la montage: sur le mont Horeb, au Sinaï. C'est sur la montagne que Jésus proclame les béatitudes tout comme c'est sur le Golgotha que Dieu nous dévoile son vrai visage. Les deux récits que nous venons d'entendre sont permettez-moi l'expression, deux grosses étapes de montagne dans notre chemin vers Pâques. Deux cols 'hors catégorie', mais pas infranchissables pour notre foi ! Le mont Moriah, tout d'abord. Comment ne pas être énervé à l'écoute du récit de la genèse ? Comment ne pas juger ce récit totalement absurde puisque Dieu lui-même avait promis sa bénédiction à Abraham! Voilà une fois de plus la figure d'un Dieu pervers qui revient. Et pourtant... si vous lisez le texte hébreu, c'est tout le contraire.
Si vous prenez le texte, vous verrez qu'il y a en réalité trois noms de Dieu, il y a trois dieux différents. Le texte nous invite justement à quitter l'image d'un dieu qui nous demanderait des sacrifices, d'un dieu qui nous mettrait à l'épreuve pour nous éprouver, à quitter aussi les divinités que nous construisons, pour découvrir un troisième Dieu, celui-là même qui a révélé son nom sur le mont Sinaï, le vrai Dieu qui arrête symboliquement la main d'Abraham. Ce Dieu, c'est celui qui refuse le sacrifice, le déni, la souffrance.
La conclusion du texte est donc l'inverse du début : Dieu, s'il est le vrai Dieu, ne nous met pas à l'épreuve. Un Dieu d'amour qui nous mettrait à l'épreuve serait un dieu sadique. Sur le mont Gogotha, Jésus nous dévoilera l'image d'un dieu qui ne met pas à l'épreuve, mais qui s'éprouve dans un amour donné jusqu'au bout. Si cette première montagne nous invite à changer notre regard sur Dieu ; l'évangile, nous propose une autre montagne, qui nous invite à changer notre regard sur l'homme. C'est la montagne d'un nouveau départ, d'une nouvelle naissance. Nous pensons souvent n'avoir qu'une naissance, mais nos vies sont faites constamment de moments de croissance et de renaissance. Un courant psychanalytique parle de quatre naissances.
Si vous préférez, il y aurait quatre cols « hors catégorie » dans notre vie…Qu'il y en ait quatre ou des milliers peu importe. Elles ne sont pas là pour nous mettre à l'épreuve mais elles peuvent nous offrir de nouvelles naissances.
Et si, comme les disciples, nous pouvons être traversés par des forces qui nous tirent en arrière ou qui veulent figer l'instant, il ne sert donc à rien de planter la tente de notre nostalgie pour faire revenir un passé dépassé. Ce temps de carême est un temps de transfiguration, tendu vers la résurrection, un temps pour transformer notre regard sur Dieu ; un temps surtout pour transformer notre regard sur nous-mêmes et vivre une nouvelle naissance : Pour certains, il s'agira de vivre un deuil de manière plus apaisée, pour d'autres de porter un regard non douloureux sur une cicatrice de l'existence, pour d'autres encore, il s'agira de quitter un projet qui retient en arrière, ou de passer sur un autre versant de l'existence...
Puissions-nous vivre ce temps du Carême comme une étape essentielle, dans laquelle nous pourrons accepter le défi d'être transfigurés : c'est à dire d'être devant les autres, ce que nous sommes devant Dieu. Le Carême n'est pas cette parenthèse qui nous invite à changer de vie pour un temps, mais ce temps où nous pouvons changer notre regard sur nous-mêmes et sur notre vie pour nous libérer. Alors, nous serons, pour nous-mêmes et devant nos proches, transfigurés.
Amen.
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