Quel est ce mouvement de la diaspora qui boycotte les artistes soutenant Paul Biya ?
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Depuis la fin de la présidentielle camerounaise du 7 octobre dernier, un mouvement au sein des diasporas, constitué sous le nom de Brigade Anti-Sardinards, boycotte les artistes qui soutiennent le président réélu Paul Biya.

Ils ont choisi de s’appeler Brigade Anti-Sardinards, en abrégé B.A.S. Et ils se sont donnés pour mission de boycotter, hors du Cameroun, tous les artistes qui ont soutenu le président Paul Biya lors de la dernière élection présidentielle. Leurs cibles privilégiées : toutes celles et ceux qui ont participé au grand concert de soutien, gratuit, qui s’est tenu au Palais des sports de Yaoundé le 06 octobre, veille du scrutin.

Aux yeux de ces activistes, issus pour la plupart de la diaspora, ces artistes sont allés à la soupe, « alors que le pays souffre, avec un homme au pouvoir depuis trente-six ans », comme le martèle l’un des leurs, Emmanuel Kemta, plus connu sous le nom de combattant Kemta.

Membre du C.O.D.E, le Collectif des Organisations Démocratiques de la Diaspora Camerounaise, fondé par son compatriote Brice Nitcheu, le combattant Kemta est l’un des premiers à avoir lancé un mot d’ordre de boycott des artistes qui ont soutenu le président Paul Biya.

Un appel relayé notamment lors de la première marche de protestation contre la victoire du président Biya, organisée le 22 octobre devant l’ambassade du Cameroun à Paris. Une semaine plus tard, la Brigade Anti-Sardinards est créée par un groupe d’activistes parisiens. Et ils choisissent comme porte-parole l'activiste camerounaise Salomene Tchptchet Yankap.

Une particularité de ce mouvement : il mobilise beaucoup de femmes, mais aussi des militants panafricanistes d'horizons divers. Toutes ces personnes se disent en lutte contre les pouvoirs autoritaires en Afrique, les injustices, en particulier celles faites aux femmes et aux enfants.

L’émergence d’une Brigade Anti-Sardinards, dont l’ampleur va croissante

Le choix de l’expression Anti-Sardinards vient du fait que, des sandwichs constitués de pain et de sardines en conserves étaient régulièrement distribués aux populations, lors des meetings du parti au pouvoir, le R.D.P.C, Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais.

L’émergence de cette Brigade Anti-Sardinards, dont l’ampleur va croissante, constitue sans doute, l’une des conséquences les plus inédites et inattendues de la dernière présidentielle camerounaise. Une dynamique que la B.A.S doit notamment aux réseaux sociaux.

Jamais jusque-là, la diaspora camerounaise n’avait initié une opération d’une telle envergure. La chanteuse de bikutsi K-Tino est l’une des premières à avoir subi les foudres de la Brigade Anti-Sardinards. Prévu à Paris le 31 octobre dernier, son concert a finalement été annulé.

Deux jours plus tard, le crooner Ben Decca, qui fête cette année ses trente-cinq ans de carrière, n'a pas pu se produire à l'Espace Noisy-le-Sec, en région parisienne. Le lendemain, c’est Coco Argentée, une autre chanteuse de bikutsi, qui a vu son concert annulé en Allemagne. Le même jour, au restaurant Le Palenke, à Nice, dans le sud de la France, K-Tino a tenté, en vain, de contourner cette interdiction de chanter.

La Brigade Anti-Sardinards se veut laïque et apolitique

Depuis, les mots d’ordre de boycott se multiplient en Europe, aux Etats-Unis et même en Afrique. Selon le comité parisien de la B.A.S, des étudiants camerounais installés au Sénégal, prévoient de se mobiliser contre la venue des artistes dits sardinards dans ce pays.

Et après des débuts quelque peu confus, le mouvement tente désormais de s’organiser. Il y a quelques jours, des représentants venus de Belgique, d’Italie ou encore des Pays-Bas, se sont réunis à Paris, afin de coordonner leurs actions, voire de structurer le mouvement.

Aujourd'hui, la B.A.S se veut laïque et apolitique. Elle regroupe dit-elle, « des combattants de la diaspora camerounaise, soucieux de défendre les intérêts du peuple, en menant des combats nobles et justes, contre tous ceux qui, de près ou de loin, apportent leur soutien à une tyrannie qui dure depuis trente-six ans au Cameroun. »

Agée de trente-six ans, sa porte-parole, Salomène Tchaptchet, qui vit en France depuis une dizaine d’années, affiche une détermination peu commune. Elle se dit prête à mourir pour ce combat, et reprend avec gravité, cette citation bien connue des Burkinabés : « La patrie ou la mort, nous vaincrons. » Une détermination que partage Calibri Calibro, son camarade de lutte, qui, pour des raisons de sécurité, préfère se présenter sous ce pseudonyme.

La B.A.S entretient des liens étrois avec de nombreuses organisations. C'est le cas par exemple du C.C.D, le Conseil des Camerounais de la Diaspora, que dirige Robert Waffo Wanto. Il en est de même pour le fondateur du Collectif des Organisations Démocratiques de la Diaspora Camerounaise, Brice Nitcheu, qui, depuis Londres où il réside, se veut un soutien actif de la brigade.

Le boycott ambigu de certaines organisations qui soutiennent la B.A.S

Une question se pose cependant, concernant le C.O.D.E et les autres associations qui travaillent avec la B.A.S. Est-il possible d'appeler au boycott des artistes qui ont soutenu Paul Biya, en épargnant ceux qui étaient aux côtés des autres candidats, comme Maurice Kamto par exemple - le leader du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, arrivé deuxième lors de la présidentielle - et que Brice Nitcheu continue de soutenir ?

C'est notamment le cas du rappeur Valsero, qui s'était prononcé en faveur de Maurice Kamto. D'ailleurs, Valsero appelle aujourd'hui au dialogue et à l'apaisement dans ce mouvement.

Interrogé à ce sujet, le leader du C.O.D.E ne voit aucune contradiction dans le choix de son organisation. Ils poursuivent d'ailleurs leurs activités militantes, et dénoncent toujours ce qu'ils considèrent comme un hold-up électoral. L’on comprend dès lors que la Brigade Anti-Sardinards se veuille désormais apolitique.

C'est sans doute aussi l'une des raisons pour lesquelles le mouvement ne fait pas l'unanimité, aussi bien au sein de la diaspora, qu'au Cameroun. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui accusent la B.A.S de ternir l'image du pays.

Pour l’heure, le boycott se poursuit, avec des conséquences financières très importantes. Les difficultés de l’économie de la culture en Afrique subsaharienne sont telles qu'il frappe durement les artistes concernés. Les concerts qu’ils organisent en dehors du continent sont en effet l'une de leurs principales sources de revenus.

D’ailleurs, Narcisse Mouelle Kombi, le ministre camerounais de la Culture s’est exprimé sur cette question : « Je tiens à dire toute ma solidarité, mon soutien et ma sympathie aux artistes ainsi visés par des actes d’intimidation et de menace ou même de violence. Ces actes sont inacceptables, en tant que manifestation abjecte de l’intolérance. […] En tant que responsable de ce secteur, je condamne les dits agissements, dans la mesure où ils constituent une atteinte grave à la liberté d’opinion et d’expression. »

Le boycott des années 90 et l’exemple des combattants congolais

Dans un courrier daté du 06 novembre dernier, et adressé à Freddy Etamé, représentant de quelques-uns des organisateurs de spectacles vivant en France, la Brigade Anti-Sardinards affirme vouloir poursuivre son mouvement. « Compte tenu de la situation actuelle dans notre pays, où un climat de tension règne, où une guerre se déroule dans une région (les zones anglophones), il serait précoce d’entreprendre dans le délai que vous nous suggérez, une rencontre pour un dialogue.»

Et ils ajoutent, un peu plus loin : « Il serait donc préférable qu’avant toute ouverture d’un dialogue constructif, qu’un appel à l’apaisement soit impérativement effectué publiquement par les promoteurs et artistes. »

Ce mouvement rappelle celui entrepris depuis près de huit ans par les organisations dites de combattants congolais – ils se considèrent comme des résistants et des patriotes -, qui boycottent les artistes, mais aussi les hommes politiques, qui, selon eux, sont incapables de sortir la République démocratique du Congo du chaos dans lequel il se trouve.

Il fait aussi écho à la vague de boycott que quelques artistes comme feu Lapiro de Mbanga, ou encore feue Anne-Marie Nzié ont vécu dans les années 90 au Cameroun exclusivement. Pour Moussa Njoya, doctorant et enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université de Yaoundé II, « tout ceci arrive lorsque le débat politique se cristallise, au point que certains ont le sentiment que la démocratie est en péril et que l’alternance ne peut plus advenir par les voies institutionnelles. »

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