Affaire Bicec : Les épargnants entre peurs et assurances
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Au lendemain de l’incarcération de deux ex-cadres de cette banque et de deux autres « complices » des détournements présumés, les interrogations fusent sur l’avenir de l’institution.

La muraille bétonnée qui  borne les façades principales de l’immeuble abritant la direction générale de la Banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit (Bicec), à Bonanjo à Douala, ne manque jamais fessier pour la réchauffer toute la journée. Il est presque 12 heures ce mardi 9 août et des personnes tous âges confondus, y sont assises. Deux vigiles de la société Group Four Security (G4S) vêtus de combinaisons jaunes filtrent les entrées, fouillent sacs et corps de visiteurs à l’aide d’un détecteur de métaux qui crépite sans cesse.

Des clients sont assis sur des chaises en fer disposées de part et d’autre dans le vaste hall. Derrière les six postes d’accueil et de renseignements, engoncées dans leurs chaises de cuir, des dames ne se rongent pas les freins. Tout comme leurs collègues des sept guichets, dont quatre sont réservés aux clients de la banque. Quelques-uns forment une longue queue devant un des guichets. D’autres sont adossés sur des pupitres aménagés pour le remplissage des bordereaux de versement et de retrait.

« Capitaux dilapidés »

La veille pourtant, lundi 8 août 2016 à 18 h 45 précises, quatre individus, dont deux excadres de cette banque, ont été placés en détention à la prison centrale de New-Bell à Douala, au terme d’auditions préliminaires au parquet du Tribunal de grande instance du Wouri, selon des sources. Il s’agit d’Innocent Ondoa Nkou, ancien directeur général adjoint de la Bicec, Samuel Ngando Mbonguè, ci-devant directeur de la comptabilité et de la trésorerie, Benoit Ekoka, expert-comptable, et Martin Nyamsi, promoteur d’Interface, une entreprise qui avait ses entrées à la Bicec dont elle était prestataire de services.

Des informations plus précises font état de ce que l’ancien Dga de la banque, qui avait démissionné en mai dernier, au plus fort de la crise suscitée par la découverte d’un manque à gagner de l’ordre de 42 milliards de F Cfa, au préjudice de la Bicec, avait pris ses responsabilités en démissionnant.

Aucun épargnant de la Bicec interpelé au sortir de la banque ou dans le hall n’ignore cet épilogue apprécié par plus d’un. Il en de Kisito, employé d’une entreprise agroalimentaire à Douala et épargnant de la Bicec depuis plus de cinq ans. « J’ai lu dans un journal que les hauts dignitaires de la Bicec ont été interpelés pour distraction d’une somme assez importante, l’argent que nous déposons.

Donc ça ne peut pas nous réjouir, bien sûr. Ça nous fait peur, parce que vous ne pouvez pas passer votre temps à épargner et que des gens tapies dans l’ombre se mettent à utiliser cet argent », s’alarme-til. Kisito, qui est venu ce jour à la Bicec pour effectuer un retrait d’argent, dit s’être interrogé plus d’une fois, par le passé, sur le niveau de vie, voire les « réalisations que faisait par exemple le Dga de la Bicec ».

Il semble désormais sorti de sa naïveté. « Aujourd’hui, on se rend compte que c’est notre argent. On a bien peur que l’on nous dise un jour que la banque ne peut plus nous satisfaire, parce que notre argent n’est plus en place. » Mais ce qui l’étonne plus, c’est le silence embarrassant des responsables de la société où « tout le monde est bouche cousue ». Désiré Timba, épargnant, est, quant à lui, serein. « Il y a des règles prudentielles qui sont initiées par la Cobac et auxquelles la Bicec ne peut pas déroger. Ça veut dire que tous les tarifs, les frais bancaires sont affichés et connus des clients. Donc du jour au lendemain la Bicec ne peut pas imputer ces frais-là aux clients, parce qu’il y aurait un déficit dans leur trésorerie. »

Il ajoute que la mise sous mandat de dépôt des quatre suspects permet de protéger les épargnes, de rassurer les clients quant à leurs épargnes, et de savoir qu’effectivement les gens n’ont pas le droit de s’amuser avec ces dépôts, qui sont, avant tout, la base de la fortune des banques. Comme pour défier toute peur, Christine est venue verser les 20 000 F représentant les frais de concours de son garçon, bachelier depuis deux ans et candidat pour l’entrée à l’Enset.

Une épargnante rencontrée à l’esplanade de la banque se dit sereine. « Il n’y a pas eu de problème dans les virements dans nos comptes, En fait, ça marche comme avant. Vous déposez votre demande de prêt, une semaine après vous avez le prêt. Il n’y a pas de crainte, parce que tout se passe comme avant. Quand il y a les versements et les virements de salaires, il n’y a pas de retard. Je viens de faire une opération de retrait sans problème », déclare sous anonymat cette quinquagénaire.

Un avis que ne partage pas Pierre Numkam, auditeur bancaire, qui pense qu’il y a lieu de s’inquiéter. « Cette banque est en faillite. Au regard des dispositions règlementaires et légales en vigueur, on devrait la dissoudre. Prenez les 50 milliards qu’on nous révèle aujourd’hui comme ayant été publié par un rapport de la Cobac, imputez-les sur le capital social de cette banque, il n’y a plus rien. Le capital social est totalement dilapidé.

Donc les actionnaires n’ont plus rien dans cette banque. Ceux qui pensent que la banque n’est pas menacée, je leur dis qu’ils ont totalement tort, au regard de ce que dit la loi et les dispositions même de l’Ohada ont prévu pour sécuriser leurs dépôts. Ils ont toutes les raisons d’être inquiets, au contraire. »

Les quatre suspects sont soupçonnés d’avoir, entre 2003 et 2015, et donc en 12 ans, procédé à des surfacturations de prestations, à des octrois de crédits à des tiers avec qui ils étaient de mèche, et qui par la suite prenaient la fuite. Résultat, la filiale camerounaise du Français Bpce n’a réalisé qu’un bénéfice de 4,5 milliards en 2015, soit un déficit de 63%. Ce mécanisme de détournement bien huilé a été mis à nu par un rapport de la Cobac après que le Dg de la Bicec, Alain Ripert, ait découvert le pot-aux-roses en février 2015.

« Pour le cas d’espèce on nous a dit qu’ils (les actionnaires, ndlr) n’étaient pas au courant, mais s’ils avaient pris toutes les précautions qu’il aurait fallu, on n’en serait pas arrivé là. Donc la faute est bien celle des actionnaires avant d’être celle de la Cobac  », s’étonne Pierre Numkam.

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