Quand on est condamné (à Abidjan), on a toujours vingt ans
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Vingt ans, c'est le tarif maison de la justice ivoirienne. Simone Gbagbo, l'ex Première Dame, vient d'être condamnée à vingt ans de prison pour «attentat contre l’autorité de l’État, participation à un mouvement insurrectionnel et trouble à l’ordre public».

En novembre 2013, une quinzaine de prévenus ivoiriens, dirigeants de la filière café-cacao sous Laurent Gbagbo, avaient écopé de vingt ans de réclusion pour «détournements de fonds, abus de confiance, abus de biens sociaux, escroquerie, faux et usage de faux en écriture privée de banque ou commerce.» Mais curiosité de la sentence, ils avaient été laissés en liberté. La même condamnation avait frappé, en janvier 2015, trois accusés  pour le détournement de fonds alloués à des victimes de déchets toxiques, qui avaient empoisonné Abidjan quelques années plus tôt. Mais sans mandat de dépôt, ce qui leur permet d'être tranquilles chez eux, et de vaquer à leurs occupations.

Dans le cas de Simone Gbagbo, condémnée à vingt ans, et de ses 82 co-accusés dont deux généraux frappés eux aussi d'une peine lourde, la justice ivoirienne n'a pas requis de mandat de dépôt. Ce qui devrait logiquement permettre à quelques-uns des condamnés, qui avaient été élargis avant le procès, de  purger leur peine en toute liberté dans leurs domiciles pillés de fond en combles par les nouveaux maîtres du pays.

Un procès tropical
 
Ce n'est pas la seule curiosité de ce tropical procès. On peut tout reprocher à Simone Gbagbo, d'avoir les mains couvertes de sang, d'être une dangereuse illuminée anti-colonialiste, encore faut-il étayer ces accusations par des témoignages et des faits. Des faits constitutifs de délits, l'accusation n'a été capable d'en établir aucun. Elle s'est simplement contentée de produire des témoins, qui, durant l'instruction, n'ont jamais été confrontés à l’accusée. Sur les seize annoncés, cinq se sont finalement présentés à la barre.

L’un affirme avoir vu Simone Gbagbo se rendre en plein jour avec un cortège de huit voitures dans une église méthodiste pour y déposer des armes se trouvant dans des caisses. Il produit à l’audience deux photos prises très récemment, l’une représentant l’église en question, l’autre une mosquée située en face.
Le deuxième témoin, lui, n’a vu l’accusée que deux fois dans sa vie, la première en 2008, et la deuxième, au cours du procès. Le troisième l’accuse d’avoir remis des armes au fils d’un ami mais reconnaît n’avoir jamais vu l’ex Première Dame avant l’audience.

Le quatrième affirme qu’il a vu Simone Gbagbo remettre de l’argent à un responsable d’un bureau de vote pour qu’il bourre les urnes alors que le dépouillement était terminé. Le dernier soutient avoir vu passer un cortège de voitures, dont les occupants auraient ensuite tiré des coups de feu, sans pouvoir prouver que l’ex-Première Dame se trouvait à l’intérieur d’un des véhicules.

Face à une accusation aussi pathétiquement faible, on peut se demander ce qu’a fait la justice ivoirienne pendant les quatre ans d’instruction. Quand on mène un procès politique, on y met au moins les formes pour que le verdict ait au moins un minimum de crédibilité. Mais les juges n’ont même pas pris la peine de mettre en place une accusation qui tienne la route. Ils n’ont pas cherché non plus à enquêter sur les crimes commis par le camp adverse, celui de  Ouattara, que des ONG, comme Amnesty International, accusent d’être co-responsables des 3000 morts de la crise post-électorale de 2011.

Ils ont absous, sans même les interroger des généraux qui avaient combattus jusqu’aux derniers jours aux côtés de Gbagbo et s’étaient ralliés à Ouattara, après sa chute. Ils ont pourtant commis les mêmes « délits » que les deux militaires condamnés à vingt ans de prison. Comme l’avait promis Alassane Ouattara  lors de sa campagne électorale de 2010, l’établissement d’un véritable état de droit est en marche en Côte d’Ivoire…

© mondafrique.com : Philippe Duval

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