Le 20 août 2011, dans une salle de l’hôpital gynéco-obstétrique de Yaoundé, une fille  venait au monde. Quelques heures à peine après avoir poussé son premier cri, elle disparaissait, dérobée à l’amour maternel de Vanessa Tchatchou. Ce rapt, à la fois intime et national, allait s’inscrire dans la mémoire collective comme l’une des blessures les plus vives de notre temps. Quatorze années plus tard, la cicatrice n’est toujours pas refermée. Vanessa, devenue symbole malgré elle, n’a jamais cessé de réclamer son enfant, ni de crier son innocence bafouée, sa maternité mutilée. « En votre âme et conscience, où se trouve mon enfant ? », demande-t-elle aujourd’hui à Issa Tchiroma Bakary, ancien porte-parole du gouvernement, désormais opposant déclaré et candidat à la magistrature suprême.

La question, lancinante, claque comme un reproche et résonne comme un testament. Car en 2011, Issa Tchiroma n’était pas n’importe qui : il représentait  la voix officielle, celle qui s’était obstinée à nier l’évidence, à recouvrir de formules politiques un drame humain, à défendre l’indéfendable. Aujourd’hui, en 2025, le même homme arbore les habits du pourfendeur du régime, prétendant servir le peuple et la vérité. Et c’est là que la douleur de Vanessa rejoint les contradictions de la scène politique camerounaise : comment croire à la sincérité d’un discours nouveau quand l’ancien pèse encore de son silence ? Mais une autre interrogation se dessine : en pointant du doigt Issa Tchiroma, la jeune mère ne sert-elle pas, malgré elle, les intérêts d’un pouvoir qui prospère sur la division et la confusion ? L’ancien ministre n’était-il qu’un simple porte-parole, tenu d’obéir à une ligne dictée d’en haut, ou avait-il un rôle plus sombre dans les coulisses de l’hôpital où l’enfant disparut ? La vérité, fragmentée, se dérobe toujours. Vanessa Tchatchou est aujourd’hui avocate, dit-on. Et pourtant, malgré ses compétences, malgré les réseaux sociaux qui relaient sa voix, la justice de son pays demeure muette. Car ici, nul ne s’écarte de la voie tracée par le président, nul ne libère sa conscience tant qu’il est prisonnier des fidélités politiques. Et nous voilà, en 2025, à la veille d’une élection capitale.

Le peuple réclame le changement, la jeunesse aspire à la liberté, et dans ce tumulte revient le spectre d’un enfant volé. La question se fait brûlante, presque messianique : ce bébé disparu est-il le miroir de la vérité enlevée à tout un peuple ? Vanessa parle à son enfant absent comme on prie une étoile lointaine. Elle croit que le temps travaille en sa faveur, que Dieu finira par toucher les cœurs. Elle interpelle un homme, mais derrière lui, c’est l’État tout entier qu’elle convoque. Issa Tchiroma, père de famille, candidat, homme de l’Histoire, saura-t-il affronter son propre passé ? Osera-t-il dire ce qu’il sait, ou se retranchera-t-il derrière l’ombre des silences d’hier ? En ce 20 août 2025, quatorze années après le drame, le Cameroun retient son souffle. Car cette affaire n’est pas seulement celle de Vanessa Tchatchou. Elle est l’affaire d’une nation tout entière, privée de vérité comme une mère de son enfant. Elle est le rappel que l’avenir ne peut se bâtir sur des mensonges. Elle est la preuve que la douleur individuelle, lorsqu’elle rencontre celle de la société, devient flamme de justice. Et l’histoire, inexorable, continue de demander : où est l’enfant de Vanessa Tchatchou ?

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