ACHILLE MBEMBE FACE A L’ERE DE BIYA : ENTRE LUCIDITE INTELLECTUELLE ET EXCES DE SEVERITE
FRANCE :: POLITIQUE

FRANCE :: ACHILLE MBEMBE FACE A L’ERE DE BIYA : ENTRE LUCIDITE INTELLECTUELLE ET EXCES DE SEVERITE

L’intellectuel camerounais Achille Mbembe a récemment livré une analyse tranchante du régime du président Paul Biya, au pouvoir depuis plus de quatre décennies. Dans une interview accordée au journaliste François de Labarre, le chercheur, connu pour sa plume incisive et ses positions critiques, dresse un portrait sans concession d’un système politique qu’il décrit comme « un pouvoir de jouissance et d’immobilisme ». Selon lui, depuis 43 ans, le Cameroun vivrait sous le signe d’une gouvernance de l’attente, où rien ne se passe et où tout se détériore : les infrastructures, les institutions et même l’esprit collectif.

Mbembe évoque une société figée, « arrêtée au milieu des années 1990 », minée par la saleté, l’inaction et l’oubli. Il accuse le pouvoir de se nourrir de l’inertie, de la peur et de la soumission. À ses yeux, les instruments du divertissement et de la distraction, le football, les sectes religieuses, les églises de réveil, auraient servi de soupapes sociales pour entretenir une forme d’« hypnose nationale ». L’intellectuel pousse la provocation jusqu’à comparer le chef de l’État à un « satrape » vivant entre Yaoundé et la Suisse, dans une logique de jouissance sans responsabilité.

Une critique lucide mais marquée par le désenchantement

Les propos d’Achille Mbembe frappent par leur vigueur et leur profondeur intellectuelle, mais ils ne sont pas exempts de partialité. En dénonçant avec autant de virulence ce qu’il perçoit comme une « autocratie du vide », il prend le risque d’ignorer la complexité du contexte camerounais, fait de résistances sociales, de réformes partielles et de mutations silencieuses. Le Cameroun, malgré ses lenteurs, demeure un pays où la stabilité institutionnelle a permis d’éviter le chaos qui a frappé d’autres États de la sous-région. En occultant cet aspect, Mbembe semble parfois confondre stagnation et survie, silence et consentement. Par ailleurs, qualifier la gouvernance camerounaise de « pouvoir satanique. » Tout chez lui, relève davantage du discours symbolique et anthropologique que de l’analyse politique. Si cette lecture séduit par sa dimension métaphorique, elle risque aussi de caricaturer le réel, en réduisant des dynamiques sociales complexes à des figures du mal et du bien.

 

Engagement politique ou  posture morale

L’autre dimension de l’entretien réside dans l’évocation du désenvoûtement politique. Mbembe voit poindre la fin d’un cycle : celle de la peur et de la résignation. Il estime que les Camerounais, longtemps soumis à l’ordre établi, commencent à se réapproprier leur destin. Cette vision, à la fois optimiste et prophétique, reflète la foi de l’intellectuel en une renaissance démocratique portée par la société civile et la jeunesse. Cependant, son regard critique semble parfois s’éloigner de la posture d’observateur pour se rapprocher de celle du militant. Dans un pays où la parole critique reste sensible, Achille Mbembe rappelle l’importance de l’intellectuel engagé, celui qui dérange, qui nomme et qui questionne. Mais sa lecture, souvent radicale, appelle à être nuancée. Car si le Cameroun souffre effectivement d’immobilisme et de désillusion, il demeure aussi un espace de résilience, d’inventivité et de survie collective, que son diagnostic omet parfois de reconnaître. Au final, l’analyse d’Achille Mbembe agit comme un miroir déformant : elle grossit les failles pour forcer le regard, interpelle pour réveiller les consciences, mais laisse parfois peu de place à la nuance.

Sa critique du « pouvoir pour le pouvoir » s’inscrit dans une longue tradition d’intellectuels africains dénonçant les dérives postcoloniales. Cependant, à force de désenchantement, elle risque de désespérer là où il faudrait encore croire. L’histoire jugera si son diagnostic annonçait un tournant politique majeur ou s’il ne fut qu’un cri de plus dans le désert du scepticisme africain. Ce qui demeure indéniable, c’est que la voix d’Achille Mbembe continue de déranger, et c’est peut-être là sa plus grande contribution à la conscience politique africaine. Mais, on se demandera toujours : pour qui roule réellement Achille Mbembe ? Mais peut-être faudrait-il déplacer la question. Car si l’on observe bien, Mbembe n’est jamais sur le terrain de l’action, mais prétend s’opposer à une logique : celle de l’immobilisme, de la confiscation du pouvoir et du mépris du peuple. Il n’endosse ni le masque du militant, ni celui de l’opposant politique qui se mouille. Il agit en tant qu’intellectuel critique, à distance, justement pour mieux interroger les mécanismes de domination, sans se laisser engluer dans les logiques partisanes. Est-ce cela l’engagement politique ? 

Est-ce ainsi que le combat politique se définit ? Quand il parle de « pouvoir satanique » ou de « peuple voulant s’offrir son propre diable », ne prend il  pas parti pour ce diable lorsqu’on le retrouve par exemple  aux côtés des leaders occidentaux ?  Il alerte sur les risques de reproduction des mêmes travers sous d’autres visages. Il met le doigt sur un mal profond  en portant des cagoules. Voilà un intellectualisme à rebours, qui tente une  déconstruction, mais reste profondément enraciné dans l’arrière boutique. Je ne méconnais pas ses œuvres. Je les ai aimées.

S’il a critiqué les politiques africaines depuis Paris, c’est aussi parce que de nombreux intellectuels africains sont contraints à l’exil ou à l’autocensure. Et même à distance, il reste profondément camerounais, en ce sens qu’il n’a jamais cessé de parler au nom d’un avenir possible pour l’Afrique, quitte à déplaire. Il n’est ni infiltré ni opportuniste, mais il lui reste à prouver qu’il est véritablement cet observateur inconfortable, qui ne caresse ni le pouvoir ni l’opinion dominante dans le sens du poil. Mais l’essentiel est là : il sert le Cameroun à sa manière, par les mots, la pensée et la provocation salutaire. Le reste, c’est à la jeunesse et aux citoyens de s’en emparer. Ce n’est pas à lui de gouverner, mais de déranger. Et au temps des prix, il aura  le premier prix, le second aussi et même le troisième prix il raflera, faute de concurrents. Tout n’est que tragi-comédie.

Pour plus d'informations sur l'actualité, abonnez vous sur : notre chaîne WhatsApp 

Lire aussi dans la rubrique POLITIQUE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo