GRAND MANU ! QUELLE PERTE POUR LE CAMEROUN ?
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GRAND MANU ! QUELLE PERTE POUR LE CAMEROUN ? :: CAMEROON

Il était à lui seul, un patrimoine culturel. Emmanuel N’Djocké Dibango, de son nom d’artiste Manu Dibango, était à lui seul l’incarnation de tous les temples et espaces vénérés du monde. Manu, l’homme à la tête nue, était une légende vivante, symbole d’unité, d’humilité et d’harmonie. Le monde entier se reconnaissait en lui.

Le monde s’est associé à l’Afrique pour pleurer ce grand Artiste au moment où il nous quitte. Un artiste, parmi les plus constants, qui a parcouru plus d’un demi-siècle musical, qui a inspiré les plus grands comme Michael Jackson pour ne citer que l’illustre roi de la pop. Un génie, qui a su trouver seul ses marques. Manu est parti de son Cameroun natal dans les années 40 pour poursuivre ses études en France mais contre toute attente, le virus de la musique prendra le dessus sur son bac philo. Manu va suivre son destin malgré la colère de ses parents, déçus par son choix. Il va s’obstiner, nourri par cette passionqui l’anime et le conduit vers un instrument assez particulier : le saxophone, celui-ci va devenir son instrument fétiche, cet instrument qui lui collera à la peau comme une paire de gants.

Manu va même se confondre au saxophone, avec sa voix grave, profonde des nuits de belle étoile, le soir au village. Manu va dépeindre nos habitudes à travers sa musique. Parti de loin, très loin de son village enclavé, il saura redonner leur verdure aux arbres, valoriser nos cantiques, verser du rythme et donner de la couleur à nos sauces. Il arrivera à nous faire oublier les difficultés du quotidien. Il réussira à parfaire cet arc-en-ciel en une harmonie de couleurs. Le métissage culturel n’aura aucun secret pour les rythmes de Manu. Il fera réfléchir le monde, il fera danser le monde. Cet homme surnommé Papy Groove, au crâne nu, au légendaire sourire profond, a tiré sa révérence.

Le grand Manu est parti un peu comme tous les géants de ce monde, au moment où l’on s’y attendait le moins. Il a cassé sa pipe au sens propre du terme. Cette pipe qui ne le quittait jamais, qui avec son crane nu, réussissait sans effort à dessiner la carte de l’Afrique vu de profil. Manu, en réalité était une conception des dieux. Le Grand Manu est parti sans faire ses adieux, foudroyé par un autre virus, cette fois non plus celui qui l’a toujours habité, exalté, mais le virus de la pathologie. Une pathologie qui vogue dans les airs, dont un autre génie comme lui, Bob Marley avait décrit, comme une prémonition, en 1977 dans sa chanson « Natural mystic », « Il y a un vent mystique qui souffle dans l’air » chantait-il…

Manu est parti alors que l’attention du monde désaxé, amputé, avait les yeux rivéssur ce virus mystique appelé Covid-19. L’émotion, l’émoi, la souffrance ont doublement atteint le summum avec le détrônement du roi de la Soul Makossa.

Manu, patrimoine de l’humanité, n’appartenait certes plus qu’à son seul pays d’origine le Cameroun, mais au monde. Malgré la crise sanitaire internationale, on a pu lui faire honneur virtuellement grâce aux technologies de communication.

Manu était un monument, un sage de la caste de nos ancêtres. Un baobab d’Afrique ! Dans nos contrées, le baobab ne part pas comme cela. Dans nos villages qu’il citait dans ses mélodies, un baobab ne s’éteint pas dans l’anonymat, Non ! Cela ne souffre d’aucun calcul politicien, on s’y met et c’est tout, pour lui offrir un hommage digne de sa stature. On ne prend pas son temps, on fait avec les moyens du bord. On n’a pas besoin de faire avec ses propres volontés car cela ne nous appartient plus. Il devient une icône nationale et la nation se l’approprie, c’est un label, on ne réfléchit pas.

Hélas, le Grand Manu vient d’être inhumé à Paris au cimetière du Père-Lachaise, des obsèquescélébrées dans la plus stricte intimité familiale, contexte de pandémie de coronavirus oblige. C’est un monde qui s’effondre. Où sont donc nos repères ? On pourrait dire que Papy Groove est mort en exil !

C’est dans ces moments, que les moyens engagés par l’Etat ont un sens et s’apprécient. Un avion spécial aurait pu peut-être être affrété ? Des négociations avec la famille engagées pour le rapatriement du corps? Mais cela dépend aussi de ce que le défunt avait formulé dans ses dernières volontés, au-delà du fait que Manu ne s’appartenait plus, qu’il appartenait au monde. Hélas, il a succombé au Covid-19. Une maladie extrêmement contagieuse. Il ne restait plus qu’à mettre sur piedspontanément une organisation, à travers nos médias sur place, pour rendre hommage à l’artiste. Quand l’Etat veut, tout est possible !

Est-ce que le plus simple a été fait ? C’est là toute la question qu’on pourrait se poser aujourd’hui car l’initiative devait partir du plus haut sommet de l’Etat du Cameroun.

Nous sommes donc restés un peu tous sur notre faim. Tout le monde attendait, rien n’est venu. Le règne de l’omerta. La loi du silence a prévalu jusqu’à l’enterrement du grand Manu au pays de Charles De Gaulle et non celui de El Hadj Ahmadou Ahidjo. La presse locale privée, choquée en l’occurrence s’est enflammée et n’a pas hésité à monter au créneau.Si pour Manu, une telle organisation n’a pas pu se faire, alors nous n’avons plus beaucoup de raison d’espérer. On s’est encore souvenu du premier président du Cameroun dont le corps est toujours au Sénégal. On s’est souvenu de : FrancisBebey, Eboa Lotin, René Philomb, Mongo Beti, de tous ces fleurons de la culture camerounaise, partis en sourdine.

C’est le monde à l’envers, alors que certains rêvent d’avoir sur leur sol ces génies, pour construire fièrement un panthéon, le Cameroun lui, semble les ignorer.Mais comment peut-on construire un pays sans repères pour les jeunes générations ?

Comment peut-on expliquer une fracture aussi grande entre un peuple et ses dirigeants, une telle déchirure, un tel désamour entre un pays et ses enfants ? Voilà des questions qu’il faudrait désormais se poser, même pendant la situation exceptionnelle que vit notre planète actuellement.

La grande horloge s’est fait entendre définitivement pour le grand Manu, Ces purificateurs d’âme, ces réconforts moraux, les voilà qui basculent, les voilà qui s’écroulent. Nous ne les entendons plus qu’au loin, loin derrière ce mur infranchissable. Comme dans un rêve de conte. Il a fini par abandonner, cette terre d’eucalyptus, cette terre d’insomnie.

Le Covid-19 a eu raison du patriarche, avec à la clé un enterrement en sourdine d’une légende du world jazz.Restent dans l’air les notes de musique d’un saxophone, pas comme les autres, soufflées dorénavant, depuis le ciel.

Par Daouda MBOUOBOUO
Ecrivain - Juriste

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