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© Correspondance : Par le Pr.SHANDA TONME Directeur exécutif du Centre Africain de Politique internationale (CAPI)
- 25 Oct 2018 16:52:00
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ARMÉNIE :: Grands enseignements du récent sommet de la Francophonie Erevan/Arménie, 12 - 13 Octobre 2018 :: ARMENIA
Si les sessions ordinaires des assemblées générales des organisations internationales sont parfois quelque peu ennuyeuses, tant leurs ordres du jour obéissent à une routine aussi cardinale que cassante et conservatrice, il arrive que certaines recèlent des enjeux diplomatiques cruciales dans l’ordonnancement géopolitique du monde, de même que pour l’équilibre des rapports des forces stratégiques planétaires. Le dernier sommet de l’OIF qui s’est tenu dans la capitale arménienne Erevan les 12 et 13 Octobre 2018, constitue incontestablement un bel exemple. En effet les émotions que l’événement a suscitées, les tractations auxquelles il a donné lieu, les affirmations, dénégations, renoncements et promesses entendus par-ci et par-là, venant des hauts dirigeants étatiques comme des analystes compétents des relations internationales et des journalistes outillés, ne laissent aucun doute sur son importance.
Certes, le véritable mélodrame qui a été entretenu durant de longs mois sur la question de la réélection du secrétaire Général, la canadienne Michaëlle Jean ou de sa succession par la Rwandaise Louise Mushikiwabo, a semblé cristallisé les débats. Les énergies ont ainsi été focalisées sur un problème bien moins important, au regard des autres enjeux, du contexte international, et des soucis énormes du principal parrain de l’organisation, en l’occurrence le président français Emmanuel Macron. La vérité demeure cependant que pour une fois ou pour de bon, n’importe quel analyste suffisamment outillé, peut avoir de sérieuses raisons de s’inquiéter sur le futur de l’OIF.
Pour bien situer les enjeux de ce sommet, il importe d’abord de cadrer le contexte international, avant d’aborder les points qui révèlent les tenants et les aboutissants des nouvelles projections diplomatiques de l’OIF.
A – Le Contexte international
Dans quel monde se tient ce XVII ème sommet de l’OIF ? La réponse à cette question est centrale pour déballer les enjeux. Il faut envisager d’apporter une réponse en naviguant sur trois pôles que sont le comportement unilatéraliste et destructeur de l’administration Trump, la relative désorganisation de l’Union européenne, et le recul de l’influence française.
Le monde vit, personne ne peut plus le nier, au rythme des folies d’un président américain que ses propres compatriotes proposent d’envoyer dans un asile psychiatrique, à défaut de le traduire devant de hautes juridictions pour trahison. Des éminences scientifiques, des politiciens respectés et expérimentés ainsi que de nombreux observateurs, leaders d’opinion et journalistes réputées ne se gênent plus d’envisager une procédure de destitution, impeachment. Certes, on peut toujours spéculer sur les prétendus retombées économiques d’un nationalisme outrancier et intempestif d’un président dont le slogan America first, rencontre quelques échos y compris dans les franches sociales pauvres. Il demeure cependant incontestable, que ce sectarisme jamais égalée ailleurs, est en train de ruiner toute l’harmonie des rapports mondiaux patiemment construit durant des décennies. Tous les secteurs et tous les acteurs économiques, financiers et diplomatiques de la planète payent un prix tellement élevé, que les gains supposés pour l’Amérique comme le clame Donald Trump, risquent de virer vers une catastrophe à long terme.
Plus que partout ailleurs, c’est en Europe et ce sont les alliés européens, qui sont les plus durement frappés. Trump ne fait plus qu’une bouchée de ses alliés, et sape même les fondements de leur entente aux multiples implications stratégiques.
Cet homme dangereux ne veut plus rien entendre qui ne soit ce qu’il croit bon pour lui, juste bon pour ses humeurs imprévisibles et ses sarcasmes. Le monde, les relations internationales, l’ONU, les règles commerciales, le protocole diplomatique et les bonnes mœurs classiques dans les rapports de coopération, ne le concernent pas. Voici donc la grande Europe, le vieux continent, l’alliée fidèle mise à genoux, pliée définitivement et obligée de s’effacer, de subir. Son avis ne compte plus à Washington.
Dans ce drame familial, les amis à un titre ou à un autre, vivent des désagréments divers. D’abord, le Royaume uni, englué dans les affres d’un Brexit avant même que le jour de misère ne soit vraiment arrivé, forme de divorce avec des remords infinis et une dispute insensée sur les sacrifices de chacun des conjoints. C’est peu dire que de soutenir, qu’à Londres, on regrette bien dans les hautes sphères du pouvoir, la bêtise de ce maudit référendum qui croyant défié la terre ferme d’Europe pour une démonstration à la fois de suffisance et de fierté, voit l’essentiel de sa puissance ou du moins des éléments importants de celle-ci s’effondrer.
Quant au prétentieux français, très-en verve exactement comme on aime parler des Champs Elysées en rappelant son statut autoproclamé de la plus belle avenue du monde, voici arrivé un certain Macron, jeune président qui en mettait plein dans les yeux. Que n’a-t-on pas dit sur son élégance, son pragmatisme, sa stature soudaine d’homme d’Etat et le renouveau de l’influence de la France depuis son arrivé, et avec son style. Il se voyait haut, voulait reformer l’Europe, donner des leçons par-ci et par-là. Aujourd’hui, il n’est plus déjà que l’ombre de lui-même, devenu petit, battu, dépassé, humilié des deux côtés de l’Atlantique. Pas possible de faire le poids face à Trump, et loin d’impressionner Merkel. Ses colonies africaines, ne suivent plus ou pas. On le disait nouveau et jeune, donc loin de la France-Afrique des mafias. Dommage, il est même en retrait par rapport à un piètre Hollande et loin d’un bouillant et brouillon Sarkozy. Du Mali au Cameroun en passant par le Tchad et la Centrafrique, il n’a pu rien faire et ne peut rien faire.
Le constat pour monsieur Macron est attristant tout court, parce qu’au-delà du bavardage, il est demeuré dans la même logique de privilégier les intérêts des réseaux obscurs français. De la démocratie, la bonne gouvernance et des élections libres et transparentes, il a bouclé son bec. Ni Sassou, ni Biya, ni Bongo ne tremblent et ne le redoutent, au contraire, ils ont attendu que le petit jeune s’adapte et se taise sagement, en lui envoyant des signaux clairs qu’il ne doit surtout point se mêler de ce qui ne le regarde pas.
Si en plus de tout ce qui précède, on mêle la débandade face à la question de l’immigration, ou encore la réforme de l’Europe rêvée par Emmanuel Macron, mais devenue un serpent de mer qui risque de finir par avaler son impénitent et pédant promoteur. Qui réfutera le constat selon lequel, L’Union européenne célébrée hier par les érudits du droit international comme la plus admirable réussite parmi les institutions d’intégration régionale, est devenue un navire sans capitaine et bientôt même sans identité précise ? Voici ce navire dans lequel on ne s’entend plus sur rien, et on se bat sur tout. De quoi se distancer pour aller chercher un peu d’air frais et un peu plus d’assurance et de tranquillité ailleurs, dans une famille plus sûre, où l’on sait se faire entendre et respecter. Bienvenue l’OIF.
Voilà le tableau de référence à partir duquel, il faut considérer le sommet d’Erevan. En effet cette rencontre à l’emporte-pièce de deux jours, à impact plutôt nul sur le dimensionnement de la cartographie géopolitique et diplomatique mondiale, aura au moins marqué les esprits, mais certainement pas positivement. D’où viennent les principales causes de déception ?
Trois éléments mettent en exergue, les difficultés de cette organisation construite, il faut le dire sur des bases colonialistes, qui peine dorénavant à se donner une véritable identité.
La détermination des critères d’admission
La relation avec l’Afrique
Le statut du Secrétaire Général
B – La grande embrouille d’une organisation attrape tout
Le paradoxe veut que nous empruntions au Général De Gaulle les appréhensions qu’il exprimait à propos de l’Europe, pour traiter des turpitudes de l’OIF. De Gaulle disait en effet à ceux qui était pressés de voir la Communauté Economique Européenne s’agrandir, notamment au chancelier Allemand qui était le principal promoteur de cette ligne, qu’il fallait approfondir avant d’élargir. A l’évidence des faits, l’histoire lui a donné pleinement raison, tant le comportement des nouveaux arrivants depuis l’effondrement du mur de Berlin et la dissolution du pacte de Varsovie lui donne raison.
A la lumière de ce que fait l’OIF aujourd’hui, il n’est pas superfétatoire de poser quelques questions :
L’Organisation internationale de la francophonie pour quoi faire ?
L’Organisation internationale de la francophonie c’est pour qui ?
L’Organisation internationale de la francophonie navigue dans quelle direction et pour quels buts et objectifs finalement ?
En effet à Erevan, de nouveaux membres observateurs ont été admis, poursuivant dans une glissade qui semble ne plus avoir ni limite, et surtout ni contenu sérieux. Lorsque l’on entend qu’il a été question de la candidature de l’Arabie saoudite, on tombe de très haut, tant rien ne rapproche cette monarchie obscurantiste des préceptes, des fondamentaux et des prérequis originels de l’organisation.
On peut faire un constat simple : au départ il y avait la langue, d’abord intégralement, ensuite partiellement, puis un peu, après la simple expression manifestation d’intérêt pour la culture française, et finalement un fourretout aussi indescriptible que gênant voire compromettant.
La comparaison avec le Commonwealth est frappant. Pendant que la reine joue sur une stabilité des critères, le calme et une certaine assurance, on vit une sorte d’excitation mélangée de confusion sur les genres de l’autre côté. En fait, tout se passe comme si la francophonie coure après son ombre, comme si elle a besoin de de se rassurer, de s’affirmer avec de multiples bras arc-en-ciel. Ce n’est pas une preuve de vitalité que de se mettre à l’école d’une forme de prostitution institutionnelle et diplomatique sans étiquette ni identité précise. C’est la promesse de la perdition.
Tenez, nous parlons culture articulée ou générée par une langue avec ses usages, une histoire, une mécanique psychologique, une sorte d’anthropologie diplomatique bâtie à partir de la langue devenue un instrument de liaison et un outil de travail à la fois. Voilà le nœud, un nœud difficilement extensible sous peine de banalisation et de dépersonnalisation. En fait l’OIF n’a plus vraiment d’identité propre si tel est que rien dans sa projection, ne sied plus avec les fondamentaux de la culture française, au regard de ce qui semble être un mixage bigarré et tonitruant.
D’ailleurs, à ce stade, c’est tout le continent américain, les Etats –Unis inclus, qui aspireront légitimement au statut de membre, membre d’une certaine façon ou d’une autre, et selon des critères et une catégorisation mobile, mouvante ou à géométrie variable. Ni Senghor ni Molière ni Césaire ne s’y retrouveraient.
Il faudrait sans doute voir dans les nouvelles contorsions de l’OIF, une volonté de la France d’exploiter l’institution comme une opportunité exceptionnelle et unique, pour conserver un socle de projection de sa puissance dans le monde, et d’en profiter pour assoir une influence extraordinaire. Il y a donc, et de façon ferme, un sens d’opportunisme qui cadre avec l’ambition de grande puissance. Ne pas penser ainsi et ne pas agir ainsi, serait refuser ou manquer de maximiser les gains de la colonisation, perçue ici comme un véritable don du ciel. Voyons, on a un président français en difficulté partout, mais qui retrouve un cadre où son autorité n’est contestée par personne, par aucune autre puissance grande ou petite. La francophonie est l’instrument de consolation, et ses assemblées sont l’occasion de magnificence de cette autorité unique, et spécifique auprès des siens, lesquels sont, liés ou plutôt uni, par la langue, partiellement ou entièrement. Que l’on vienne de partout pour frapper à la porte, quoi de plus glorieux, de plus sublimant et de plus expressif pour l’influence de la France ? Sauf que nous ne sommes plus à ce moment-là, et de cette manière-là, dans la francophonie-source. Il y a un problème, et s’il n’est pas évident maintenant ou pas assez, il le sera inéluctablement à moyen ou à long terme.
Les exemples d’organisations internationales qui ont disparu parce qu’elles avaient perdu de leur identité en se fourvoyant pour une raison ou pour une autre, parcourent l’histoire diplomatique du monde.
C- Une relation articulée sur la psychologie de l’infantilisation chronique continent
L’histoire retiendra, et les générations de penseurs africains se souviendront avec amertume, que le sommet de l’organisation internationale de la francophonie à Erevan, a consacré une dangereuse déviation, pour ne pas tout simplement dire une soumission complète du continent à l’impérialisme Français. En effet pour la première fois, les agitateurs et serviteurs de l’influence française, ont réussi à embarquer la plus prestigieuse organisation internationale continentale qu’est l’Union africaine, dans une construction diplomatique de pure circonstance, destinée à valider une volonté de la France. Personne ne saurait en effet expliquer autrement, l’implication de l’UA dans l’embrouille diplomatique au-delà de la bataille sans nom, qui a précédé le choix du nouveau secrétaire Général de l’OIF.
Jamais une chose pareille n’était arrivée, et jamais il n’aurait été possible de vivre une telle hérésie diplomatique, si le président de la commission de l’UA n’était pas le ressortissant d’un pays francophone congénitalement soumis à la domination de la France, en l’occurrence le Tchad. Il y a fort à parier que les conséquences à plus ou moins brève échéance, entraîneront des problèmes importants, pour ne pas dire des disputes au sein de l’organisation continentale. Dans l’ordre des choses, le choix du secrétaire général de l’OIF, demeure une affaire des pays francophones et non de toute l’Afrique, anglophones, arabophones et lusophones inclus. Lors du sommet de l’UA à Nouakchott en Mauritanie, le lobby français avait usé d’un véritable forcing pour acter cette déviation, après avoir lourdement compromis et ruiné la dignité et l’honneur du Président de la Commission, lui-même obéissant à la baguette aux instructions de son maître de Ndjamena, Idriss Déby dont il était le ministre des affaires étrangères avant sa promotion comme patron de l’institution.
A bien regarder de près, la France a joué un sale tour aux Africains, en sachant pertinemment que sa démarche pouvait constituer à terme une sorte de provocation, ou susciter des troubles dans les rapports entre les Etats membres et entre les différents groupes régionaux ou linguistiques. Il est d’ailleurs très curieux que ce fait n’ait pas été évoqué ou n’ait pas été suffisamment en exergue par les analystes africains, mais il ne fait aucun doute que lorsqu’il faudra s’en émouvoir, surtout dans la formulation des termes diplomatiques et psychologiques des nouveaux rapports des forces entre les différents centres d’intérêts qui composent l’organisation continentale, les dessous sales, inacceptables et opportunistes apparaîtront au grand jour de façon dévastatrice.
D’ores et déjà, les voix qui se font dissonantes et quelque peu pressantes sur la compatibilité du choix de l’ex ministre des affaires étrangères avec le statut de régime autocratique dont on catalogue son pays, ne sont pas pour baliser le meilleur chemin de réussite à la promue. Certes, les organisations internationales en connaissent des exemples, mais les insinuations et les intrigues seront ici mieux qu’ailleurs, au rendez-vous. Il faudra tenir sur la durée, et surmonter le dilemme d’une compétition interne entre deux visions, deux cultures, deux référentiels diplomatiques et politiques que sont le Commonwealth d’une part, et la Francophonie d’autre part. Des clarifications vont s’imposer quand il faudra gérer la dimension purement technique et culturelle, en tenant compte ou en esquivant au mieux, la dimension politique et diplomatique. Louise et le Rwanda devront ajuster, mais comment y parviendront-ils sans anicroches ? On attend impatiemment de vivre tout cela.
D – Le sacrifice de Michaëlle Jean sur l’autel des calculs géopolitiques égoïstes centrés sur les seules intérêts de la France
L’organisation internationale de la francophonie, c’est le champ de manioc privé de la France, et elle seule y détient la haute main, décide des ressources humaines, du type des engrais, du programme des cultures selon les saisons, ainsi que du moment des récoltes et des débouchés pour le placement des produits. S’il fallait un dessin pour le dire ou pour le justifier, le mélodrame qui a marqué le remplacement d’une grande dame canadienne par une grande dame rwandaise, traduit tout, démontre tout et consacre tout.
Trois éléments au moins sont à souligner. D’abord, il est très rare dans l’administration des organisations internationales, que le titulaire de la plus haute charge, Directeur général Secrétaire Général, Secrétaire exécutif ou Directeur tout court, n’effectue pas deux mandats. Les cas où le titulaire du poste est limité ou contraint à un mandat unique sont très rares. L’Egyptien Boutros Boutros Ghali par exemple avait effectué un seul mandat, mais cela rentrait dans les arrangements intervenus au sein du conseil de sécurité préalablement à sa désignation. Dans une logique purement technique, éthique et conservatrice au regard des principes retenus pour caractériser l’identité de l’OIF, il eut été impensable, inconcevable et insoupçonné, qu’une rwandaise soit choisie pour occuper les fonctions de secrétaire général de l’OIF. En effet, l’affaire prends une signification des plus complexes, considérée tant du côté français que du côté rwandais, et enfin africain en général. Le Rwanda n’est-il pas tout simplement ce pays qui a décidé de tourner le dos à la France et à la culture française, à partir de ce qu’elle considère et clame comme la complicité active de Paris dans le génocide de 1994 qui a fait officiellement près d’un million de victimes ?
Voici en effet un pays, que l’on pourrait qualifier de pays courage, de pays révolutionnaire, de pays modèle dans sa lancée vers une réappropriation de sa dignité et d’une identité propre. Le pays dirigé d’une main de fer par Paul Kagamé a d’abord mis un terme à des liens avec le système français, des liens jugés empoisonnés et néfastes pour l’éducation et la formation de sa jeunesse, des liens linguistiques certes, mais des liens forts qui comportent jusqu’à la manière de penser, la façon d’appréhender le monde et les rapports entre les nations. En vingt ans, le Français a été relégué au rang de langue paria dans la nation montagneuse des Grands Lacs qui s’est imposée sur la scène continentale comme une véritable locomotive pour un nouveau nationalisme, pour une renaissance du panafricanisme triomphant, toute chose que reprouve la France, par peur de la contagion avec ses satellites environnants.
Le contentieux entre les deux pays est tellement lourd et tellement chargé d’émotions et de suspicions, que l’on ne peut voir dans le choix de Louise Mushikiwabo, qu’un marché de dupes aux implications plutôt sordides et aux relents de foires de truands. Il y a moins de cinq ans, la nouvelle secrétaire Général, alors ministre des affaires étrangères de son pays, avait été pratiquement retenue en otage à Paris par un juge qui traitait du dossier de l’attaque de l’avion du président rwandais Juvénal Habiryamana qui a déclenché le génocide. C’est lors d’une visite d’Etat du président Kagamé à Paris, que le deal aurait été bouclé, et c’est à cette occasion, depuis le perron de l’Elysée, que le fringant président Macron a annoncé lui-même son soutien à la candidature de la ministre des affaires étrangères. Comment ne pas y voir une autre moquerie de la part de la triomphante, condescendante et impériale métropole ?
Certes, on a eu droit à quelques remous de pure surface chez les subordonnés africains, mais sans plus, les ordres du maître étant clairs sur l’obligation de se taire et de suivre, les yeux fermés et la bouche cousue. Personne sur le continent n’a oublié la première visite de Michaëlle, belle ravissante, articulée et éloquente dont la coiffure très africaine, avait marqué les esprits et conquis les artistes et les esthéticiennes qui donnent le ton du look à Abidjan, Douala, Kampala, Addis-Abeba et toutes nos capitales, tant elle était proche de ce qu’on est et aime ici. Il s’en était même suivi une fièvre pour ressembler à cette brave sœur créditée de l’esprit militant pour le retour au naturel de l’africanité. Jeunes filles et jeunes dames se ruaient dans les salons de coiffure avec une seule indication : « le modèle Michaëlle Jean »
La vérité c’est que si le président français connaît quelques déboires sérieux sur la scène internationale, notamment face aux Etats-Unis et par rapport aux questions majeures en Europe où son comportement est traité d’arrogant et d’immature, et s’il est en difficulté sur le plan interne avec des réformes contrariées et une équipe plongée dans une sorte de débandade et d’instabilité embêtante, il tient ferment le bâton du grand chef colonial de la métropole dans son truc de la francophonie où l’essentiel des membres vient d’Afrique, de pays qui lui doivent un peu trop ou presque tout, de pays chancelant à l’exception de deux ou trois, de pays hantés par la perspective de désintégration devant la montée en puissance des rébellions insalissables et autant de guerres asymétriques.
Louise Mushikiwabo fera certainement de son mieux pour sauvegarder les apparences, mais toujours est-il que l’on voit mal comment même avec le prestige de ce poste au cœur de la galaxie impérialiste française, elle pourra effacer d’un trait le contentieux entre les deux pays, ou taire les agacements sournois mais profonds, que sa promotion entretient et entretiendra jusqu’à son remplacement. Si personne ne doute de sa brillance, de son tempérament de gagnante et de sa riche expérience avec la décennie passée à la tête de la diplomatie de son pays, très peu de paramètres jouent en sa faveur lorsqu’il faudra valoriser les buts et les objectifs d’une organisation qui à la différence de son pays le Rwanda, est toujours à la quête d’une place dans le concert des instruments prestigieux de la diplomatie planétaire.
Maintenant, du côté des nationalistes africains, la nouvelle fonction de Louise Mushikiwabo, laisse un sentiment général de déception. On a du mal à percevoir les ambitions de Kagamé, et on se perd dans la recherche d’une explication sur les objectifs géopolitiques qu’il vise avec cette histoire. On n’est pas loin de penser que c’est quelqu’un qui a très sagement réussi à fuir la cage d’un loup par la fenêtre, mais qui y revient consciemment ou consciemment par la grande porte. Why, serait-on tenté de s’interroger. Serait-ce une simple démarche tactique qui s’intègre dans une longue, consistante et complexe planification stratégique de la projection diplomatique de son pays à long terme ?
La jeunesse consciente africaine de tous les bords, les universitaires chercheurs et les syndicalistes fortement politisés et nourris d’idéologies de la libération, estiment généralement que le modèle rwandais de défi vis-à-vis de la puissance française, représente une avancée importante qu’aucun pays africain n’a osé depuis 1960. La seule exception, s’il en est besoin, demeure le pays des hommes intègres de Sankara, lequel aurait peut-être évolué dans la même direction, si sa vie du jeune leader charismatique et messianique, n’avait justement pas été écourtée par les mains criminelles de l’impérialisme, qui redoutait la contagion d’une telle perspective radicale et contagieuse. Il faudrait d’ailleurs rappeler que le jeune président du Faso posait déjà le problème du Franc CFA, et envisageait de façon révolutionnaire la question de la valorisation des cultures négro-africaines, dont la langue représente un aspect prépondérant.
D – Faute, manque d’élégance, et realpolitik inconsistante
S’il fallait classer les pires manières de congédier un collaborateur ou une collaboratrice, celle réservée à madame Michaëlle Jean par le président français serait considérée comme un exemple éloquent. Par ailleurs, si l’intensité de la souffrance d’un haut responsable qui a été moulée dans le protocole diplomatique au plus haut niveau, pouvait porter un nom, celle connue par l’ancienne secrétaire général de l’OIF, prendrait le nom des portes de l’enfer. Certes, dans ce genre de situation, et quoi que l’on puisse dire ou soupçonner, la brave citoyenne canadienne, et néanmoins notre sœur Africaine malgré tout, n’a certainement pas rangé ses effets, sans de sérieuses et consistantes garanties de compensations réglées entre le président Macron et le premier ministre Trudeau. Il y a fort à parier, en nous fiant à nos expériences de ce genre de dossier, qu’il ne se passera pas deux années avant que la candidature de l’ancienne secrétaire général soit présentée à un poste international prestigieux par son pays, avec un appui logique voire passionné et déterminant de Paris.
Il n’empêche que les deux dirigeants se sont montrés peu élégants. Emmanuel Macron a fait preuve d’une arrogance et d’une condescendance inappropriée face une égérie dont la stature à elle seule, consacrait l’unité culturelle, raciale, continentale et matérialiste du monde. Il y a eu presque indélicatesse de sa part, lorsqu’il a semblé dépouillé MIchaëlle Jean qui est le produit de l’immigration haïtienne, mais avant tout produit de l’esclavage donc Africaine de souche, de son identité historique originelle qui vient du continent, notre continent, le continent africain, et de notre race, la race noire. Quand il estime dit son souhait, ou plutôt sa préférence que le poste revienne à l’Afrique, il ne mesure pas la dimension ni le sens de la blessure morale, psychologique et anthropologique pour l’Afro-caribo-américaine. N’importe quel individu pétri de culture et d’histoire ne peut que se sentir violer, méprisé et profondément discriminé par des propose qui constitue un déni non pas plus simplement d’un fragment, mais d’une partie voire de la majeure partie de la substance de son amour propre, de son être.
C’est ici le lieu de regretter pour le dénoncer vertement, les mêmes propos tenus avec une imprudence troublante, l’ancien ministre congolais Henri Lopez, sur les antennes de RFI le vendredi 19 Octobre 2018. On a d’ailleurs du mal à comprendre que ce parfait mulâtre qui a longtemps prôné et symbolisé le métissage culturel, ait embrassé le discours de Macron sur ce dossier. Mieux, on peut se demander si l’homme ne joue pas de remords vengeresses, non seulement pour avoir été recalé à trois reprises dans la course à ce poste, mais surtout pour avoir été écarté au profit de Michaël justement, lors du XVI ème sommet en 2014 à Dakar.
Quoi qu’il en soit, que des préoccupations out à fait extraordinaires aient pris le pas lors du sommet d’Erevan pour le choix de notre sœur Louise, n’est pas le plus choquant, mais que l’exercice de succession ait pris le caractère d’une punition infligée par un maître d’école qui décide de l’exclusion d’une élève et l’impose au conseil de l’établissement sans se soucier ni de l’exigence de motivation ni de celle de l’entretien préalable avec l’intéressée, passe très mal.
Quant au premier ministre canadien Justin Trudeau, censé porter et défendre la candidature de son sujet, il s’est livré à un retournement pitoyable, après avoir mordicus soutenu que la sortante bénéficiait pleinement des faveurs, des moyens et de la logistique diplomatique de son pays. Dans le champs international, l’hésitation est une très mauvaise chose, parce qu’elle laisse prospérer le sentiment d’une fluctuation des intérêts nationaux, ou pire d’une insuffisante formulation des termes de référence de ceux-ci. Le Canada n’est pas un de ces minuscules et pauvres micro-Etats à qui on impose des volontés extranationales. Il y a ici comme une légèreté criarde de la part du jeune homme d’Otawa, même si les intérêts des Etats sont par définition mobiles, adaptables, variables et opportunistes selon les temps, les époques, les sujets, et les partenaires au gré des stratégies et des capacités tant logistiques qu’humaines avérées et disponibles pour leur valorisation. A priori seul le chef de l’exécutif la maîtrise de leur intelligence. Don acte.
Pour revenir sur la dimension scandaleuse que cette affirmation de monsieur Macron qui a dit vouloir privilégier une candidature africaine, je ne suis pas loin de penser, au regard du quotient intellectuel dont il est légitimement et très largement crédité, qu’il a sciemment voulu susciter des polémiques, alimenter des contradictions désobligeantes et semer la division. On ne voit pas très bien pourquoi il revenait à Paris, même fort de sa casquette de Grand chef blanc au milieu d’une majorité de basanés, de faire usage de cette cartouche. Voilà le comportement typique du colon éternel qui distribue des bonbons aux petits nègres dans sa concession privée ou encore dans son enclos pour bêtes sauvages, aliénés et obligés. Et si demain le président français décidait de confier les clés de la concession à un Chinois ou à Australien, il trouverait toujours des arguments, et ses sujets ou plutôt ses obligés, suivraient sans broncher. Quand on vous parle d’unanimité ou de consensus dans un machin-truc où il règne un seul grand coq, comprenez que la dictature est de règle, et que la raison du plus fort n’a jamais été aussi vérifiée qu’ici.
Indiscutablement, on peut conclure qu’il y a eu faute, faute dans tout le montage de l’opération, aussi bien sur la forme que sur la fond. Il y a eu un manque d’élégance et même une imprudence, lorsqu’on sait que les traditions de la diplomatie mondiale s’accommodent mal de ce genre de manœuvres autoritaristes qui aboutissent toujours par humilier un haut serviteur. Par expérience, les initiateurs en sortent rarement grandis. On aurait pu obtenir le même résultat en procédant autrement, et surtout en construisant de meilleures passerelles diplomatiques pour accorder la préférence aux bons offices ordonnancés avec l’implication de diplomates et de médiateurs réputés comme il en existe beaucoup. Hélas, Emmanuel Macron, fidèle à une tendance plutôt extravagante et malvenue de suffisance qui lui vaut ses déboires actuels au plan interne, a fait à sa tête. Tout laisse aujourd’hui penser que ce jeune président est encore très loin du tact et de la sagesse qui fondent, façonnent, clarifient et préservent les jeux et les enjeux diplomatiques planétaires. A voir Poutine fonctionner, on peut situer Macron à des années lumières du genre de compétence et d’expertise nécessaires pour éviter le genre de faute que constitue le renvoi cavalier et inélégant de Michaëlle Jean.
Et comme si tout n’était pas terminé ou ne se terminera jamais, c’est d’avantage Louise Mushikiwabo qui risque de porter encore plus mal psychologiquement, et plus longtemps professionnellement, les stigmates d’une opération empreinte de nombreuses imperfections, et plombée par moult soupçons face auxquels les arguments géopolitiques et géostratégiques, ne seront d’aucune atténuation. C’est un mauvais cinéma que le sommet d’Erevan a déroulé, et c’est un moment peu reluisant de sa brève histoire que l’OIF a vécu en ce dix-septième sommet.
Pour l’Afrique, elle s’engage dorénavant dans cette organisation comme si on ramenait des esclaves dans une cale pour lui réciter ou lui réapprendre les versets de la domination des peuples supérieurs. C’est tout un continent avec ce qu’il a de plus représentatif, qui s’est vendu à vil prix dans le processus de validation et de soutien de la candidature de la brave sœur Louise. En fait l’Afrique n’a pas soutenu Louise, l’Afrique a soutenu la France, et c’est ce qui me semble gênant, absolument inappropriée et sûrement grave voire assez grave pour les grands équilibres de toute nature au sein de l’Union Africaine. C’est la dignité et la réputation des Africains individuellement et collectivement qui a pris un coup. L’embêtant c’est que le continent ne représente plus grand-chose diplomatiquement sur l’échiquier diplomatique planétaire, empêtré qu’il est dans de nombreux problèmes résultant prioritairement de ses systèmes de gouvernance obscurantistes, qu’entretiennent des régimes majoritairement autocratiques ou despotiques.
Après les grandes puissances, c’est chaque petit dragon qui créé dorénavant son forum pour rassembler les Etats africains dans un sommet pour leur faire sa leçon, ses promesses, et distribuer quelques crédits et dons toujours bien venus. Ce constat a poussé le président du Ghana, à crier ouvertement que nous – les Africains - avons tout, et n’avons pas vraiment besoin de toutes ces aides et assistances
Il faut vivement souhaiter bon vent et pleine réussite à Louise, femme forte et expérimentée disposant des atouts majeurs. C’est presqu’une répétition redondante, que de mettre en avant l’influence et la crédibilité diplomatique de son pays le Rwanda. Tout cela est par ailleurs soutenu et amplifié par des ambitions grandissantes d’autant plus respectées qu’elles s’appuient sur un jeune président visionnaire, courageux et profondément soucieux du destin de son peuple.
Quant à Michaëlle Jean, il n’y a aucun doute que le prochain point de chute pour la suite de sa carrière, sera très vite connue. Nous lui souhaitons bonne chance et nous espérons qu’elle saura garder la même combativité. En effet son caractère à la fois décomplexé et antisystème, qui lui a permis de maintenir sa candidature contre vents et marées jusqu’au dernier jour du sommet, constitue un atout qui lui vaut d’immenses admirations./.
Pr. SHANDA TONME
Directeur exécutif
Centre Africain de Politique internationale
Shato11@yahoo.fr
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