Conflit entre éleveurs et agriculteurs: Les Mbororos peinent à obtenir des titres fonciers
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Des cases appartenant aux membres de la communauté Mbororo ont été incendiées à Kounden dans le département du Noun, le dimanche 20 mars dernier. Des tensions similaires sont perceptibles à Tchada-Baleng, Sanki et Banekane à Bangangte, sur fond de conflit entre éleveurs et agriculteurs.

Selon des informations communiquées par M. Hassan, président régional de Mboscuda, (Mbororos cultural association), dans la région de l’Ouest, des individus présentés comme des agriculteurs et membres de la communauté Bamoun, ont attaqué les domiciles dans lesquelles sont les familles Mbororos dans l’arrondissement de Kouoptamo, le dimanche 20 mars 2022 suite à un litige foncier. Ils considèrent les Mbororos comme des nomades de passage et exigent qu’ils libèrent leur village. Informés de la situation, le sous-préfet de l’arrondissement de Kouoptamo et le commandant de brigade sont descendus sur les lieux. Des appels ont été lancés pour une réconciliation entre éleveurs et agriculteurs et pour une cohabitation pacifique entre Mbororos et Bamouns. Amadou Lehrer, chargé des projets à Mboscuda, est de ceux qui condamnent cet acharnement contre les membres de sa communauté. Il demande que justice soit faite et que les auteurs atrocités répondent pénalement de leurs actes. Il sollicite surtout que les autorités administratives prennent leur responsabilité afin que les Mbororos détiennent des titres fonciers sur les espaces qu’ils occupent depuis plus de trois décennies dans la région de l’Ouest. « A Galim, dans le département des Mbamboutos, toutes les démarches actées par les membres de la communauté Mbororo pour l’occupation des terres ont été sapées par les autorités traditionnelles et administratives », se plaint-il. Ce cas est loin d'être isolée.Dans les autres localités du département du Noun, les tensions sont aussi vives entre les deux communautés. Nkoumdoum et Njimofokue constituent des foyers de conflits entre agriculteurs et bergers. Dans ces localités, les Bamouns s’opposent farouchement aux droits des Mbororos d’avoir accès à la propriété foncière. Ils y organisent régulièrement des opérations de sabotage des espaces de pâturages occupés par les Mbororos. Mohamed est Ardo (chef traditionnel de la communauté mbororo). Il soutient que lui et les membres de sa communauté ont droit aux espaces fonciers comme les autres citoyens qui vivent dans le département du Noun : « Nous sommes installés depuis 4 générations. Le chef avait donné à mon grand-père un grand espace pour nous installer et faire paître nos bœufs et nos moutons.

Durant des années, nous n’avons jamais eu de problèmes. Mais il y a quelques semaines, un groupe de jeunes est venu s’installer sur notre espace et a commencé à y cultiver.». Mouliom Hassan, membre de la communauté Bamoun et mis en cause, souligne que « la communauté Mbororo n’est pas propriétaire de terre, et doit se limiter à l’élevage ».

Difficile d’obtenir un titre pour une zone de pâturage

Le chef de la communauté Mbororo de Tchada II à Baleng, à une vingtaine de kilomètres de la ville de Bafoussam, est habitué à ce genre d’exactions orchestrées par des agriculteurs de la localité. C’est ainsi qu’il s’indigne du fait que ses multiples démarches afin d'obtenir un titre foncier sur la zone de pâturage qu'occupe cette communauté depuis 55 ans déjà connaissent une opposition farouche des autorités traditionnelles du village Baleng. Celles-ci estiment que les Mbororos n'ont pas droit à la terre. Le chef du secrétariat particulier de la sous-préfecture de Bafoussam fait savoir qu’il n’existe aucune discrimination en matière d’obtention de titre foncier dans cet arrondissement y compris à Tchada II. « Le titre foncier s’obtient par voie d’immatriculation directe ou par concession. Il faut juste respecter les dispositions de l’ordonnance foncière de 1974 et du décret de 1976 qui organise l’obtention du titre foncier dans notre pays », explique-t-il. Reste que nous avons en souvenir le fait qu'une bonne partie de cette zone de pâturage a été arrachée aux Mbororos et cédée à la famille Fotso Victor pour pratique de l'agriculture, contrairement à un arrêté préfectoral de la Mifi. A cela s’ajoute des séances d’abattage de bêtes et des destructions de biens appartenant à des Mbororos, à cause des prétentions de ces derniers à des droits fonciers sur des espaces qu’ils occupent déjà depuis cinq décennies. Dans le département du Nde, notamment à Sanki, Banekane et Bantoum, les Mbororos sont frustrés d'être considérés comme des locataires permanents sur les terres qu'ils occupent depuis une trentaine d'années.

Charlie Tchikanda, directeur exécutif de la ligue des droits et des libertés et défenseur de la cause des Mbororos à Tchada II souligne que « L'État du Cameroun n'a pas modifié la loi foncière dans le sens de permettre aux membres de la minorité Mbororos d'avoir des droits fonciers immuables, inattaquables et intangibles sur les terres qu'elles exploitent et mettent en valeur depuis des décennies à travers des activités pastorales. Il plaide pour l’application de l'article 10 de la Déclaration des nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ce texte prescrit que ceux-ci ne peuvent être enlevés de force sur les terres et les territoires qu'ils occupent. Suivant cette déclaration, ce n'est qu'avec leurs consentements libres et éclairés que les peuples autochtones peuvent être soumis à une réinstallation. Charlie Tchikanda fait observer que les Mbororos ont bénéficié des espaces, il y a plusieurs années, dans des zones qui étaient parfois reculées, mais ils ne les ont pas mis en valeur. Ces vastes espaces réputés pour leur fertilité sont aujourd’hui la cible de villageois en quête de nouvelles terres arables. Il milite pour la sensibilisation des autorités sur le fait qu'elles doivent prendre des décisions pour garantir la préservation des zones de pâturage et favoriser le droit foncier des autochtones Mbororos.

Interventions défavorables aux nomades

La conscientisation des autorités traditionnelles des autres communautés afin qu'elles acceptent les exigences de cohabitation avec ces communautés constituées en majorité des pasteurs naguère nomades, mais décidés à se sédentariser, rentre aussi dans les options du militant. Selon Me André Marie Tassa, cet avocat qui a fait annuler par le ministre chargé des Domaines et des affaires foncières des titres établis frauduleusement sur les zones de pâturages au détriment des Mbororos de Tchada 2 à Baleng, « il faut respecter la loi sans aucune discrimination. Les Mbororos ont droit de réclamer et de se faire établir sur toute l’étendue du territoire national des titres fonciers sur des parcelles où ils résident et exploitent. » Au niveau des services déconcentrés du ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières(Mindcaf), certains fonctionnaires locaux laissent entendre que la précarité des mises en valeur faites par les Mbororos sur les parcelles du domaine national ne correspondent pas à l'ordonnance de 1974 qui par mise en valeur intègre principalement les investissements immobiliers ou agricoles. La présence d'un pâturage ou d’une hutte pour habitation est prise comme un investissement temporaire. En plus, l'intervention des chefs de quartier ou des chefs de 3e degré au sein de la commission consultative de délimitation et de bornage du sous-préfet n'est pas favorable aux Mbororos, perçus comme des nomades qui ne peuvent être désignés chefs traditionnels au regard du décret de 1977 pour "absence d'un territoire coutumier de commandement", souligne le 3e adjoint préfectoral du Noun. Comme solution, certains chefs traditionnels du département du Noun, invitent les deux parties à dialoguer, avant l’engagement de toute procédure d’immatriculation foncière. Pour Ibrahim Kone, notable à la cour de Njimom: ‘’Le taux de résolution pacifique des conflits fonciers entre éleveurs Mbororos et agriculteurs Bamouns par une commission mixte constituée localement est au moins de 90%. »

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