Trois mesures pour limiter les affrontements intercommunautaires
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Au Cameroun, Les violences et affrontements intercommunautaires font désormais partie du paysage quotidien des citoyens du pays à la fois dans le monde virtuel (réseaux sociaux) que dans le réel. Au-delà des velléités de sécession qui secoue la partie anglophone depuis novembre 2016, l’on a noté depuis 2019 une dizaine d’affrontements intercommunautaires.

Le 04 septembre dernier, les Sawa ont signé un mémorandum et manifesté contre la nomination des « chefs allogènes » chez eux. Aussi, des appels à la haine tribale se multiplient sur les réseaux sociaux, compromettant sérieusement la paix dans le pays. Notre préoccupation est de savoir ce qui pose problème et ce qu’il faut faire pour apporter des solutions.

Sur ce chemin de la recherche de la solution, certains proposent le fédéralisme comme étant une panacée. Ils expliquent que le fédéralisme viendra résoudre les problèmes communautaires, ce qui est très discutable dans la mesure où notre société, camerounaise ou non, est une réalité cosmopolite. Il n’y aura JAMAIS homogénéité culturelle et ethnique dans une localité au Cameroun. Le fédéralisme n’a pas vocation à homogénéiser les communautés. Cela veut dire que les gens proposent une mauvaise solution pour un vrai problème. Nous avons L’OBLIGATION de réfléchir sur un projet de vivre-ensemble dans le cadre d’une société multiculturelle et cosmopolite. Voici mes trois propositions :

1. Réformer le statut inégalitaire des citoyens et promouvoir la citoyenneté résidentielle

Toutes les localités du Cameroun sont cosmopolites mais, la citoyenneté reste identitaire au lieu d’être résidentielle. Je défends la citoyenneté résidentielle. C’est elle qui est en droite ligne avec les exigences démocratiques appliquées dans les Etats modernes. La migration est un phénomène courant voir normale et naturelle, mais certains l’envisagent encore comme étant un problème pour la cohésion sociale. Mon hypothèse d’intervention est que si nous voulons créer une paix durable, alors nous devons éviter de créer de par la Constitution, deux catégories de citoyens dans un même pays : l’autochtone (citoyen plein) et l’allogène (sous-citoyen). Le piège est que chaque citoyen est tantôt autochtone tantôt allogène en fonction de sa situation géographique dans le pays. C’est en décalage avec les exigences du fonctionnement d’un Etat moderne. On tend à oublier au Cameroun/Afrique qu’un Etat fonctionne grâce aux impôts et que celui qui paie ses impôts a le droit de regard sur sa cotisation. Et donc, l’on fabrique un Etat dans lequel les Autochtones et les Allogènes sont soumis aux mêmes devoirs civiques et aux droits différents. C’est un projet d’escroquerie politique. La citoyenneté est résidentielle dans tous les Etats modernes du monde. Si le Cameroun veut aussi être moderne un jour, il devra s’y accommoder. Un digne fils ou fille d’une localité n’est pas, au sens moderne, celui ou celle dont les parents sont installés depuis plusieurs générations (nous sommes toutes et tous des migrants) ; mais, celui ou celle qui contribue dignement à construire la localité.

Que faut-il faire pour promouvoir la citoyenneté résidentielle ? Il faut réformer la Constitution sans forcément changer la forme de l’Etat (ceux qui me lisent savent déjà que je ne trouve pas que le fédéralisme soit une panacée). Bien qu’au Titre premier, Article premier, Alinéa 2 de la Constitution, il soit prévu que la République du Cameroun assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi, on observe que la même Constitution, au même Titre premier, même Article premier et même Alinéa 2 reconnaît les valeurs traditionnelles sous réserve du respect des valeurs démocratiques qui ne sont pas requises dans les faits. Par conséquent, les personnes qui sont « dans leur village [où elles ont une descendance multiséculaire) » ont la primauté sur celles qui résident au village avec une descendance récente (allogène). Ces villages sont organisés autour d’une chefferie traditionnelle où les allogènes n’ont ni rang ni classe en violation des « valeurs démocratiques ». Pire, la même Constitution engage l'Etat à préserver les droits des populations « autochtones ». En ne définissant pas le terme « autochtones », cette Constitution crée le doute et la confusion ; toutefois, il s’agit au sens du Haut-commissariat des Nations Unies pour des Droits de l'Homme des «descendants de ceux qui habitaient dans un pays ou une région géographique à l'époque où des groupes de population de cultures ou d'origines ethniques différentes y sont arrivés et sont devenus par la suite prédominants, par la conquête, l'occupation, la colonisation ou d'autres moyens ». Dans cette définition, c’est la notion de minorité qui ressort et qui nécessite une protection juridique. Comme dans tout Etat moderne et démocratique, il faut plutôt introduire la notion de minorité dans la Constitution et assurer leur protection. J’ai l’habitude de dire que les problèmes sont mal posés au Cameroun.

Le terme « allogène » est violent dans sa forme actuelle et la dichotomie autochtone/allogène contenue dans la Constitution camerounaise est inappropriée. En matière de droits humains, l’on protège les minorités ; or, aucun texte législatif ou réglementaire ne définit les minorités ethniques au Cameroun. A la rigueur, seuls les pygmées méritent actuellement d’être protégés. Pour le reste, il est difficile de dire qu’il existe des « peuples autochtones » au Cameroun au sens des instruments internationaux.

Ce concept à connotation primitive importé dans la Constitution camerounaise est source de confusion. Dans le droit international, le terme anglais « indigenous/indigena » a été traduit en français par « autochtone » pour éviter le terme « indigène » qui renvoie à la catégorie juridique des « sujets indigènes » de l’Empire colonial français (« Code de l’indigénat »). Il convient pour les Camerounais/Africains d’utiliser ces termes avec modération. Le Cameroun doit respecter son engagement constitutionnel de garantir que « Toute personne a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement [sur l’ensemble du territoire national]».

2. Réformer le droit de propriété et protéger la propriété privée

En marge des affrontements intercommunautaires au Cameroun, se trouve la croyance des autochtones qu’ils ont le pouvoir de « chasser [exproprier] » les allogènes en marge du droit. Les autochtones se croient investis du pouvoir de « faire la loi » chez eux. En l’état, il n’existe pas de sécurité d’investir au Cameroun en dehors de son village (d’origine) ; un jour et en cas de désaccord avec les autochtones, le « propriétaire » peut être « chassé/ exproprié » sous le regard passif des autorités publiques. Cela fait croire aussi aux allogènes qu’ils peuvent être « chassés » parce que le pouvoir de l’Etat est détenu par un « autochtone ». D’où la violence du combat politique pour le contrôle du pouvoir de l’Etat.

Pour ma part, la solution se trouve dans la réforme du droit de propriété. Dans un Etat moderne qui se veut démocratique, le droit de propriété est sacré. Aussi, il serait injuste au sens des libertés individuelles de s’attaquer aux biens d’autrui. Ni l’Etat ni les autochtones ne doivent pouvoir « chasser » un propriétaire privé contre son gré sous prétexte qu'il est « allogène ». Il convient de renforcer les bases de la liberté et du droit dans notre société. Au-delà du problème de vivre-ensemble, ce nouveau modèle de société est plus propice au développement dans la mesure où il permettrait de rassurer les investisseurs et d'attirer des ressources extérieures (IDE) nécessaires aux financements des investissements intérieurs. Il garantirait un système libre et équitable: droits de propriété et droit de résidence inviolables. Certains communautaristes au Cameroun semblent défendre le projet de construction d’une vie en autarcie. Or, ils ignorent qu’un Etat moderne a besoin d’attirer les capitaux étrangers pour se développer et que personne ne viendrait investir là où il peut être « chassé » au premier désaccord. Le désaccord est normal dans la vie des êtres humains et certains veulent faire croire qu’il n’y aura jamais de désaccord ou d’escroquerie entre frères et sœurs du village. Mensonge !

3. Lutter contre l’Etat providence et promouvoir la libre compétition

Mon hypothèse ici est que la précarité socioéconomique et la paupérisation de notre société exacerbent les replis identitaires. Dans la recherche du bouc-émissaire, le « Nous » pense que le « Eux » représente une menace pressante en raison de la rareté des ressources pour la survie. Les autochtones pensent donc qu’ils galèrent à cause des allogènes qui profitent aussi de leurs ressources. Ils pensent qu’en chassant les allogènes, leurs ressources leur suffiraient, ce qui est une illusion. La réflexion économique a pour vocation de permettre l’optimisation des ressources dans ces cas où la demande est supérieure à l’offre. Le régime Biya a échoué à conduire à bien cette réflexion économique. Au lieu de fuir le débat, il faut mener cette réflexion. Le contexte économique national est caractérisé par l’existence des ressources limitées et des opportunités illimitées de production, de transformation ou de distribution. Au sein des économistes, deux modèles de société (avec prix Nobel chacun) cohabitent de façon conflictuelle : Une première approche qui serait plutôt keynésienne pousse la population à attendre de l’Etat qu’il favorise la consommation en vue de la relance. Une autre approche plutôt libérale (Paul Krugman) pense que la mondialisation (et donc la migration) n’est pas coupable et que le libre-échange (l’ouverture des marchés) dispose plutôt des vertus. Au Cameroun, les ressources de l’Etat se font rares et les citoyens se révoltent. Les jeunes qui se retrouvent au chômage et dans l’oisiveté, sombrent dans l’incivisme. Dans les faits, les jeunes oisifs (qui attendent tout de l’Etat) s’attaquent aux biens des jeunes entrepreneurs (qui n’attendent rien de l’Etat) parce que ces derniers seraient allogènes (libéraux). L’Etat providence et le jacobinisme promu par le colon français avaient fait croire que la réussite sociale se trouvait plutôt dans la fonction publique de l’Etat. Or, il n’en est rien !

Les affrontements identitaires au Cameroun sont aussi le fruit de l’affrontement de ces deux modèles de société. Ceux qui n’attendent rien de l’Etat ne sont pas intéressés par le quota ethnique dans les concours ou dans l’appareil de l’Etat.

Dans une société de plus en plus ouverte, il convient de remettre en question l’idée de l’Etat providence. Il faudrait promouvoir l’égalité de traitement et donner la possibilité à tout citoyen d’être compétitif. Il s’agit simplement de la promotion de la libre entreprise et/ou de l’esprit d’entrepreneuriat. Cela passe par le déplacement du symbole de la réussite sociale de l’obtention du matricule (intégration dans la fonction publique) à la création d’une entreprise. Dans son discours de fin d’année, Paul Biya a l’habitude de donner le nombre d’emplois créés (approche keynésienne) au lieu de donner le nombre d’entreprises créées. Dans un Etat moderne, ce sont les entreprises qui créent la richesse et non l’Etat !

S’il est vrai que l’Etat ne peut pas recruter tous les citoyens dans la fonction publique, il lui est en revanche possible de permettre à chaque citoyen de créer son entreprise et d’aspirer à la richesse. A l’image du « American dream », il faut libérer les ascenseurs sociaux pour favoriser le « Cameroon dream » en vue de permettre aux citoyens ordinaires d’aspirer librement à l’argent, au pouvoir et à la gloire. Cette possibilité de rêver n’est possible qu’avec l’ouverture des frontières communautaires et la préparation à la libre compétition. Le « Nous [autochtones] » ne percevra plus le « Eux [allogènes/immigrés] » comme menace dans la mesure où chacun aura droit à son rêve au-delà des barrières communautaires. Un Béti/Bamiléké qui crée son entreprise ne peut pas rêver ne vendre qu’à l’intérieur de sa communauté ethnique. Notre modèle d’ouverture créerait la croissance nécessaire pour générer le financement des biens publics actuellement demandés par le citoyen (eau, énergie, route, école, hôpitaux, logements sociaux, etc.).

En somme, nous pensons que pour limiter les affrontements communautaires au Cameroun, il faut promouvoir la citoyenneté résidentielle, la protection de la propriété privée et la libre entreprise. Ce sont-là des bases solides pour construire une nouvelle justice sociale et un nouvel ordre social consensuel. C’est le modèle qui cadre le plus avec les exigences de droits humains et de libertés fondamentales. C’est le modèle qui cadre le plus avec les exigences d’un Etat moderne et démocratique. Tous ceux qui sont en Europe ou aux Etats-Unis vivent dans ce modèle sans le savoir pour certains.

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