Paris-Douala avec Ahmadou Ahidjo à bord dans un vol CAMER en 1976
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CAMEROUN :: Paris-Douala avec Ahmadou Ahidjo à bord dans un vol CAMER en 1976 :: CAMEROON

Juillet 1976. Le vol UY71 de la Cameroon Airlines décolle de l’aéroport d’Orly dans la banlieue sud de Paris comme à l’accoutumée à destination de Douala. C’est le Boeing 707. Le 747 ne sera acheté qu’en 1981. Peu de temps après l’envol, le haut-parleur de l’avion se met à grésiller :

« Mesdames et messieurs, ici le commandant de bord X. Je vous annonce que nous allons effectuer une escale imprévue à Nice qui ne nous causera cependant pas un retard irrattrapable dans notre horaire. Nous atteindrons Douala avec tout juste un léger décalage de 45 petites minutes. Je vous prie de bien vouloir nous en excuser et vous souhaite un agréable voyage à bord de notre Boeing 707 La Sanaga ».

Les passagers haussent les épaules, ce sont des choses qui arrivent, se disent-ils. Au bout de 45 mn, l’aéroport de Nice est atteint. L’avion se pose. Il rejoint le tarmac. Une échelle est plaquée au fuselage, à la porte avant. Les passagers assis sur les sièges de gauche observent cela à travers leurs hublots sans y accorder une grande importance. Puis, une navette de l’aéroport s’amène. Elle stationne au bas de l’échelle. Plusieurs personnes en gandoura et en chechia en descendent. Dans l’avion, les têtes qui les aperçoivent se dressent. Tout d’un coup, la silhouette de l’une d’elles semble familière aux passagers qui ont vu garer la navette : Ahmadou Ahidjo. Il ajuste sa gandoura, serre quelques mains, puis se met à gravir les marches de l’échelle. La nouvelle parcourt l’avion à la vitesse d’un éclair :

« le Président Ahidjo va voyager avec nous, il est en train de monter à bord ! »

Panique générale. Gigantesque remue-ménage dans l’aéronef. « Chacun prend sa place », comme on dit en camerounais. Il monte en première classe sans que les passagers de la seconde ne l’aperçoivent, car la cloison est fermée. L’échelle est retirée. L’avion remet les moteurs en marche. Les hôtesses reprennent les démonstrations de sécurité pendant qu’il roule vers en bout piste. Il tourne, met les pleins gazes et s’envole.
Des hublots, les passagers voient la mer s’éloigner, au fur et à mesure que l’avion prend de l’altitude. Ils causent à peine entre eux. Ils chuchotent.
Au bout d’un moment, nouveau grésillement du haut-parleur.

« Mesdames et Messieurs, ici le commandant de bord à nouveau. J’ai le grand honneur de vous annoncer la présence dans cet avion du plus illustre des Camerounais, notre chef de l’Etat, son excellence El Hadj Ahmadou Ahidjo. C’est pour cette raison que nous avons effectué l’escale non prévue de Nice. Au nom de tout l’équipage et de la Cameroon Airlines en général, je lui souhaite une chaleureuse et déférente bienvenue à bord et nous lui garantissons un très agréable voyage jusqu’à notre destination, à savoir Douala. »

L’avion devient subitement silencieux tel un cimetière. C’est confirmé, Ahmadou Ahidjo est à bord. Aïe ! Les passagers sont tous crispés. Subitement, la cloison séparant la première classe de l’économique s’ouvre. L’aide de camp au visage bariolé de traits verticaux et bien connu des Camerounais apparaît. Puis il se tient de côté. Le Président Ahidjo à son tour apparaît. Les cœurs s’arrêtent de battre parmi les passagers. Il s’y trouve des contestataires de l’UNEK qui depuis la France où ils sont étudiants, l’abreuvent d’injures. Des personnes qui ne l’ont jamais vu de près. D’autres qui aimeraient lui demander des faveurs. Un grand nombre qui en a simplement une terrible peur, tellement il est réputé cruel.
Lui, il salue des deux mains levées tous les passagers de la seconde classe. Ceux-ci répondent difficilement, car avec lui on ne sait jamais. Dans l’avion, il y a des agents de la DIRDOC, la terrible police politique que dirige Jean Fochivé et qui fait disparaître les contestataires du régime et pratique ouvertement la torture. En levant les mains comme venait de le faire « son excellence », cela n’allait-il pas être interprété comme du mépris à son endroit, et sanctionné en conséquence ? Qui sont de misérables passagers pour répondre au salut présidentiel d’Ahmadou Ahidjo avec désinvolture. Aucune main ne se lève. Les gens sourient tout juste jaune. Car ne pas le faire aussi, pourrait également être interprété comme un geste de défiance, et faire disparaître le malheureux à sa descente d’avion à Douala.
Le Président Ahidjo est quant à lui plutôt décontracté, il est même jovial. Il s’avance dans l’unique couloir de l’avion. Il s’adresse amicalement aux premiers passagers assis tout juste après la première classe. A l’époque, il n’existait pas de « classe affaire ». Il pose des questions. Ils répondent avec beaucoup de peine, tellement ils sont apeurés. Il s’en rend compte. Il lance quelques blagues pour décrisper l’atmosphère. En vain. Il est « son excellence terreur ». Il progresse dans le couloir et s’adresse à d’autres passagers. Il n’a guère plus de succès. Ceux-ci également ont de la peine à causer avec lui. Il y en a qui donnent même l’impression de vouloir s’enfoncer dans leur sièges, et n’osent même pas porter leur regard sur lui. S’il y avait moyen de se sauver dans la soute à bagages, ou même de descendre de l’avion et de prendre un prochain vol, la majorité des passagers, avec empressement, l’auraient fait.
Le Président Ahidjo progresse encore un peu dans le couloir, s’adresse à d’autres passagers encore, en vain également de nouveau. Il se rend à l’évidence. Il intimide et indispose tout l’avion.
A contrecœur, finalement, il rebrousse chemin. Avant de franchir la cloison de la première classe, il se retourne et souhaite un agréable voyage à tout le monde. Les gens répondent tant bien que mal.
Lorsqu’il disparaît, et que son effrayant aide-de-camp ferme la cloison derrière lui, c’est un immense « ouf » de soulagement que poussent les personnes de la classe économique. La terreur est partie. Les gens, enfin, se mettent à causer entre eux, à commenter ce qui a été pour eux un événement, voir le Président Ahidjo de si près, humer l’odeur du parfum qui se dégageait de sa gandoura. Puis, le haut-parleur recommence à grésiller :

« Ici le commandant de bord, son excellence El Hadj Ahmadou Ahidjo offre du champagne à tous les passagers de l’avion ».

Les gens se mettent à applaudir, enfin la décontraction s’installe dans l’appareil. A la descente à Douala, à quelques exceptions près, les passagers du vol UY71 titubent tous, tellement le champagne a coulé à flot …

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