Alain Rodrigue Oyono : J’accompagne Youssou N’Dour
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A 30 ans, le saxophoniste et flutiste a travaillé avec un nombre impressionnant de musiciens camerounais et fait partie, depuis un an et demi, du groupe Super Etoile de Dakar, avec lequel il tourne dans le monde. En digne fils du pays de Manu Dibango.

Février 2006. Le groupe Macase, pour fêter ses dix années d’existence, organise une série de spectacles. A ce qui s’appelait encore à l’époque le Centre culturel français (Ccf), le public va assister à des concerts de qualité. Il va redécouvrir le groupe, mais surtout découvrir ses invités. L’un d’eux, tout jeune encore, va particulièrement séduire par sa prestation. Il est saxophoniste. Alain Oyono a tout juste 22 ans (il est né le 17 avril 1984), mais déjà, il fait montre d’une belle maîtrise de son instrument. Le public de connaisseurs, ému, a bien compris que le jeune homme est voué à une belle carrière.

C’est manifestement l’un des artistes les plus doués de sa génération, mais en ce moment-là, bien peu de gens seulement s’en rendent compte. De Dakar où nous l ‘avons joint au téléphone, il se souvient de cette période qui semble si lointaine : « Le groupe Macase venait de me découvrir. Je jouais à l’époque au cabaret La cigale à Douala et je crois qu’ils accompagnaient Manu Dibango. Ils ont été tellement émus du partage musical que nous avons eu qu’ils m’ont proposé de les accompagner pendant leur tournée ». A l’occasion de cette tournée, le groupe Macase compose une chanson avec le jeune Oyono et c’est celle qu’ils joueront sur les différentes scènes.

A ce moment-là, Alain Oyono est inconnu du grand public. Quelques habitués de cabarets ont pu assister à ses prestations et il a également tapé dans l’oeil de certains musiciens camerounais de renom qui commencent à le solliciter. Au fil des années son saxophone va se faire entendre dans différents albums réalisés par les artistes camerounais. Il en accompagne également plusieurs sur scène : Etienne Mbappe, Henri Dikongue, Manu Dibango, Richard Bona… En 2006, il participle au festival africain de jazz en Guinée équatoriale. D’avril à juin 2008, il fait partie de l’orchestre d’Africa Star, une compétition pour jeunes chanteurs africains.

En 2010, il sort d’ailleurs un album de trois titres intitulé « Mon histoire ». En 2013, il est finaliste du concours de jazz Master Jam à Odessa en Ukraine. Mais la reconnaissance n’est pas encore celle que l’on peut espérer pour un musicien dont le talent est reconnu par les pairs et qui s’est pourtant façonné quasiment tout seul, loin des écoles classiques de musique. Alain Oyono est certes né dans une famille où il a été très tôt bercé par la musique. Le père, pasteur, était également musicien (choriste). C’est lui qui lui donnera ses premiers enseignements de musique, comme à ses frères. « Dans ma tendre enfance j’ai eu des cours de musique par mon père, mais pas de saxophone. Pour le saxophone j’ai été un autodidacte », avoue-t-il. Il apprendra d’abord à jouer à la guitare. Plus tard, il va découvrir le saxophone et s’y intéresser. Personne, pourtant, dans la maison familiale n’y joue. Et lui-même a du mal à savoir précisément pourquoi il s’est tourné vers le saxophone plutôt qu’un autre instrument. « Je crois que j’étais attiré par le son du saxophone. Après j’ai écouté Kenny G et il m’a inspiré. Je crois que le saxophone ça a surtout été une question de feeling ».

Le grand bal de Bercy

Par la suite Alain Oyono joue dans les clubs et cabarets. A La cigale à Douala, notamment. Plusieurs personnes, surtout dans le monde de la musique, apprécient son talent. Il finira par collaborer avec un grand nombre de musiciens camerounais. Mais, parmi ceux-ci, deux principalement vont le marquer. Il s’agit de Tom Yom’s et d’Henri Njoh. « Le premier qui m’a donné l’opportunité d’intégrer le monde de la musique c’est Tom Yom’s». Ce n’était que partie remise. Le 12 octobre 2013, le Palais Omnisports de Bercy accueille Youssou N’Dour pour un grand concert qui marque son comeback sur la scène après un passage au gouvernement sénégalais. Le célèbre artiste a recostitué son groupe, le « Super étoile ». Il a notamment été séduit par de jeunes musiciens camerounais : Thierry Sandjo (piano), Christian Obam (basse), Stéphane Ndzana (batterie) et… Alain Rodrigue Oyono (saxophone).

Le saxophoniste va accompagner le grand Youssou Ndour tout au long du «Grand Bal de Bercy». C’est le début d’une aventure qui va se poursuivre sur différentes scènes. Une aventure qui naît de la volonté exprimée par Youssou N’ Dour de relooker son orchestre qui a perdu certains de ses membres. Il va se tourner vers Serge Maboma du groupe Macase qui l’a accompagné pour une série de spectacles à Dakar en 2010. « Je rentrais d’un festival en Ukraine et j’ai été contacté par Serge Maboma qui a regroupé certains musiciens camerounais pour remplacer les membres du Super Etoile qui étaient partis », se souvient Alain Oyono. Le concert de Bercy sera le premier acte de cette collaboration. Suivront d’autres tournées (en Europe et aux Etats-Unis notamment).

Une belle reconnaissance pour ce fils de pasteur dont le talent et le travail ont pu pousser des portes qui n’ont pas toujours semblé facile d’accès. Et il ne cache pas sa joie et vit son rêve, comme il l’a indiqué sur sa page facebook pendant la tournée américaine avec Youssou N’Dour en 2014. Et il continue de travailler. Avec le groupe, il prépare une tournée en Australie dans les prochaines semaines. Mais, ce qui l’occupe encore plus ces jours-ci c’est son projet personnel. « Je suis en pleine préparation de mon album, je suis en train de le peaufiner. Je vais faire appel à des musiciens sénégalais et camerounais», affirme-t-il. Pour l’instant, il s’y consacre tout seul et espère, avant la fin de l’année, se rendre au Cameroun pour donner véritablement vie à cet album qui pour lui représente plus qu’une simple oeuvre, mais un signe d’espoir. A travers ce travail, il voudrait apporter sa contribution à une renaissance de la musique camerounaise.

Musique camerounaise

Cette musique camerounaise, il en parle avec de la tristesse, presque de l’amertume. « Il n’y a pas beaucoup de choses. La musique camerounaise tourne un peu sur elle même ». Des propos qui pourraient surprendre pour un musicien camerounais qui, à la suite d’illustres aînés et en compagnie d’autres jeunes essaie de maintenir le label Cameroun sur la scène internationale. Mais Alain Oyono sait bien de quoi il parle, pour avoir souffert d’un environnement qui ne promeut pas forcément la qualité. « Ceux qui essaient de travailler, ce n’est pas eux qu’on écoute. S’il existe des personnes comme Manu Dibango, il y a des jeunes qui font des choses exceptionnelles, mais qui n’ont pas la possibilité d’être diffusés.  

Ce sont des choses qui m’attristent et j’aimerais apporter ma pierre, notamment avec mon album, mais il faut aussi des écoles de musique ». Le saxophoniste et flûtiste accuse notamment les médias de ne pas toujours promouvoir les meilleures créations et de mettre en avant des chansons vulgaires et sans recherche. Mais il pointe également un doigt accusateur sur les musiciens qui ont du mal à se regrouper : « Je ne pense pas que la faute revient aux autorités. Au départ, c’est nous. On peine à se mettre ensemble et on veut que les choses avancent. Une fois qu’on pourra créer un syndicat tel que pour qu’un album soit mis sur le marché, il passe par la validation du syndicat ».

Pour Alain Oyono, les Camerounais semblent attendre que la reconnaissance de leurs musiciens vienne de l’extérieur. «C’est incroyable que c’est Stanley Enow qui a remporté plusieurs prix sur la scène internationale alors que personne ne l’écoutait au Cameroun. Il a fallu qu’il remporte ces prix pour qu’on s’intéresse à lui. Pourquoi est-ce qu’il faut que ce soient les autres qui acceptent ce que nous avons comme richesses ? J’ai joué avec tous les musiciens au Cameroun et ceux de la diaspora. Une fois que j’ai été sélectionné pour un festival en Ukraine et que je suis avec Youssou N’Dour, tout le monde se tourne vers moi et les gens se disent ‘Ah, il était là, il est parti’. On m’appelle pour me dire que les cuivres ont totalement disparu des chansons au Cameroun.

Personne n’a cru en moi, c’est ça qui est triste. J’ai passé mon temps à jouer avec tous les musiciens, le premier qui a véritablement cru en moi, c’est Tom Yom’s. Il était même prévu qu’on fasse une tournée ensemble, mais il est décédé ». Et s’il est aussi dur avec l’environnement dans lequel baigne la musique camerounaise, c’est qu’il nourrit de grands espoirs pour celle-ci. C’est qu’il pense que le Cameroun, avec tous les jeunes talents qu’il compte, ne devrait pas rester en retrait. En attendant de revenir avec le projet qui occupe en ce moment son attention et qu’il entrevoit comme sa première pierre l’édifice de la musique camerounaise, Alain Oyono, aux côtés de Youssou N’Dour fait admirer, au fil des spectacles, le talent made in Cameroon.

© Le Jour : Jules Romuald Nkonlak

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