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© Pour Camer.be : Propos recueillis par Calvin Djouary
- 15 Apr 2021 14:55:15
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FRANCE :: Thierry Mouelle II "Dans la modernité, l’écrivain est un Homme important dans le jeu des équilibres"
Nous avons rencontré l’écrivain Thierry Mouellé II. Il a accepté de répondre à nos questions et c’est une réelle fierté pour nous de partager avec vous sur notre site camer.be l’essentiel de cet entretien que voici.
Monsieur Thierry Mouelle II, très heureux de vous revoir après 30 ans. Vous n’aviez pas 20 ans lorsque vous animiez déjà à la CRTV une émission très prisée par les étudiants « LES HEURES FUGACES » vous êtes donc un homme qui pouvait se passer de toute présentation. Mais il y a beaucoup de gens aussi qui ne vous connaissent pas. Pouvez-vous vous présenter à ceux-là ?
Bonjour Calvin. Je partage le même plaisir de vous retrouver plus de 30 ans après, et hors de notre pays, le Cameroun. Ceci dit, permettez-moi de vous remercier pour l’opportunité que vous me donnez de m’adresser à votre lectorat du site www.camer.be . Ce n’est pas une approche habituelle, mais je vais me présenter de deux manières : selon la Tradition, et sous une forme dite Moderne. Les temps que nous vivons l’exigent.
Selon la Tradition, je vous dirais que par mon père, je suis originaire de la principauté des Bomono, plus particulièrement de Bomono ba Jedu, dans l’arrondissement de Dibombari, région du Littoral, au Cameroun. Par ma mère, je suis issu de la principauté des Moongo, localisable depuis 1975 dans l’arrondissement de Tiko, région du Sud-ouest. Par ma grand-mère maternel, j’appartiens à la principauté des Bakoko ba Yassem, toujours dans l’arrondissement de Dibombari. Il est d’une importance capitale de me présenter de la sorte, car mon identité dépend d’abord et avant tout d’un arbre généalogique précis, le seul à me servir de support d’existence. Je suis : Muel’a Muel’a Ibon’a Malo’a Ngudu’a Tiko, Tiko’a Muenyan, Muenyan’a Ngèbè, Ngèb’a Byadi, Byadi ba Kum, Kum’a Epongwè, Epongw’a Mbedi, Mbed’a Mbongo. Je suis donc, comme mon nom et ma lignée le prouvent, un descendant direct de Mbongo, l’ancêtre commun à tous les Bo-Mbongo, abréviation de Bona-Mbongo, peuples aujourd’hui appelé les Sawa. Et je suis chanceux de le savoir, et en le publiant, vous permettrez à d’autres enfants du Cameroun, d’Afrique et un bon nombre d’Afro-descendants de savoir se situer par rapport à un arbre généalogique. Car l’acte de naissance demeure un raccourci très étriqué quant à la réelle identité d’un subsaharien. Il ne rend pas compte des interrelations sociologiques sur lesquelles la Tradition s’est toujours appuyée pour construire le vivre-ensemble et l’épanouissement des peuples.
Pour les modernes, je suis Thierry Mouelle II. J’ai fait une partie de mes études respectivement au Cameroun, en France, aux États-Unis, et au Japon. Je suis spécialiste des questions de stratégie des organisations, des métiers de la banque et de la finance, et des nouvelles technologies. J’appartiens cependant à une tendance au sein de la modernité qui attache plus d’importance à des réalisations qu’aux diplômes. Car avec le temps, j’ai réalisé que nombre de nos pays se sont enfermés dans l’illusion de l’importance des diplômes, sans que cela s’accompagne de réalisations enviables. Des années 1950 à nos jours, si l’on compte le nombre de diplômés troisième cycle de l’enseignement supérieur par exemple dans un pays comme le Cameroun qui nous tient à cœur, vous vous rendrez compte que les réalisations qui en dépendent, lesquelles sont censées transformer qualitativement le quotidien des populations, sont loin d’être au rendez-vous. Plus on a des docteurs en tout, plus on réalise que les diplômes sont devenus le but ultime en eux-mêmes et non un moyen. Ils ont cessé d’être une reconnaissance circonstanciée des aptitudes à faire, ou à réaliser. Je n’en ajouterai donc pas à cette inflation de diplômite, ce qui est un véritable fléau social, de même que le mythe du diplôme qui construit des ingénieurs sans ingénierie, à défaut de la moindre ingéniosité et pour lequel beaucoup sont prêts à tout pour en avoir un et aussitôt le dépouiller de sa moindre valeur. Je puis néanmoins vous assurez que j’en ai un certain nombre qui me valent de diriger des travaux de recherches dans des universités et grandes écoles. Il n’y a rien d’exceptionnel à cela, tout le monde peut le faire. En revanche, ce que tout le monde ne peut pas faire facilement, c’est de se découvrir une mission et s’attacher à la remplir, pour paraphraser Frantz Fanon. La mienne est de construire, ou d’aider à construire, les chemins d’un bien-être collectif en Afrique en général et dans mon pays, le Cameroun en particulier. Peu importe la forme que ce bien-être pourrait prendre, matérielle, intellectuelle ou spirituelle.
Pour ce qui est de l’aspect matériel, après une expérience réussie en banque de détail, notamment en tant que banquier des entreprises, j’ai créé et dirige depuis 2008, un cabinet conseil en management, www.imconsulting.co qui assiste et accompagne plusieurs banques en Afrique en formulation et implémentation de leurs stratégies de croissance. Je forme et accompagne les cadres dirigeants, dont les Directeurs généraux de ces banques, et autres chefs d’entreprises des Nouvelles Technologies et suis ainsi positionné comme expert en stratégie des entreprises et des organisations, y compris les structures gouvernementales. Je partage également mes connaissances avec des institutions académiques en France et en Afrique. Mais là, j’enseigne essentiellement en anglais.
Mon concours au bien-être de l’Homme a également un aspect intellectuel. Je dirais même que c’est le premier qui s’est révélé à moi. J’ai publié mon premier texte littéraire à 14 ans dans le magazine Week-end Tribune, alors dirigé par Christophe Mien Zock, et dont la rédaction était coordonnée par Eyoum Ndoumbè. Des aînés forts talentueux qui m’ont accompagné dans cette aventure de sens prématurée. Ce texte, une nouvelle intitulée Le Trépas d’un Rêveur, montrait déjà l’orientation engagée de ma littérature, et même de ce que sera ma plume en tant que journaliste, quelques années plus tard. Mon passage à la radio (CRTV FM94) comme journaliste présentateur de journal, et présentateur d’émissions de grande écoute, dont « Les Heures Fugaces » qui vous tient bien à cœur, a suivi la même logique, la même vocation. Ce ne fut pas différent lorsque, par des circonstances que j’aurais l’occasion d’expliquer un jour, je passe à la presse écrite en 1994.
C’est le même état d’esprit qui m’aide à diriger, aux côtés du Directeur de Publication, Vianney Ombé Ndzana, un ancien cadre de la Société Nationale des Investissements (SNI), la page politique et économie de Génération, un hebdomadaire qui paraissait à Yaoundé. C’est un tournant décisif dans ma carrière, car j’y côtoie des jeunes universitaires et journalistes futés comme Richard Touna, Robert Benga, Ambroise Ebonda et bien d’autres, qui connaîtront d’autres expériences réussies. Surtout j’ai la chance, et il faut bien le souligner, de croiser des grands intellectuels comme Mongo Béti, Fabien Eboussi Boulaga, Ambroise Kom, et des figures emblématiques et non moins intellectuelles comme Maurice Kamto. Leurs textes, souvent des éditoriaux, dont je conserve aujourd’hui encore des exemplaires dans ma bibliothèque, grâce à un ami qui m’est cher et qui se reconnaîtra, sont à ce moment-là, le reflet pertinent de la situation globale du pays. J’appartiens désormais à un cercle restreint, celui de ceux qui peuvent avoir la primeur de certaines informations sensibles sur le pays.
La création de mon groupe de presse en 1996, Horizon Communication, qui publie un bimensuel, Grands Horizons, renforce cette stature. Mon champ d’influence s’élargit. 5 ans se sont écoulés depuis mes premiers mots à la radio, où des aînés comme Charles Ndongo, Jean-Marie Watonsi et Alain Bélibi, m’ont tenu par la main. Sur le professionnalisme journalistique, je leur dois l’essentiel. Voilà un pan de qui je suis, sur l’aspect moderne des choses. La partie spirituelle de ma vie est partagée entre ma croyance en un Dieu universel, les valeurs ancestrales et l’humanisme initiatique.
Lorsque nous interviewons une personne à la formation plurielle comme vous, nous aimons d’abord qu’il nous dise sa conception de l’écrivain et le rôle de ce dernier dans la société ?
Dans la modernité, l’écrivain est un Homme important dans le jeu des équilibres sociaux. Il tient un rôle essentiel dans la relation que la société entretient avec elle-même, en ceci qu’il est celui ou celle qui se donne pour devoir de dire. Dire pour les besoins du présent, et dire pour l’exigence du futur. Il détient le pouvoir de construire un univers qui ne se limite pas au temps de sa propre existence. L’écrivain rend le temps éternel. En se donnant pour mission de projeter contre le mur de la conscience les actes posés par ses contemporains, il/elle sait mieux que quiconque dans l’univers des arts, comment ramener parmi les Hommes les ailes arrachées de l’espoir d’être ou comment semer les graines de la discorde. Il est une sorte de peintre qui, avec les mots, s’emploie à décrire une réalité sociétale qui lui semble pertinente. Ou en inventer une qui lui paraît tout aussi pertinente. Il/elle est une sorte de dieu qui peu beaucoup de choses, et il vaudrait mieux que cette possibilité s’inscrive dans le renforcement des liens humains. Cette tâche est donc extrêmement délicate, car chacun de ses mots le rend prisonnier de sa propre perception de la réalité à laquelle il peut ou pas obéir. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’il soit constamment déchiré entre le réel et l’imaginaire. La soumission aux faits ou se laisser emporter par un torrent de subjectivité. Deux courants se dégagent donc de son rôle dans la société. Celui de l’écrivain engagé. Et celui de l’écrivain non-engagé. Pour ma part, on devrait plus se méfier du premier. Car l’engagement peut avoir plusieurs sens. Et aucun d’eux ne va de soi. Il faut en examiner le contenu pour juger de sa valeur. Un engagement pour des causes tribalistes et misanthropes vide le concept de l’engagement littéraire de tout son sens. À l’origine, aux premières lueurs du vingtième siècle, ce concept décrivait la prise de position des écrivains européens, ensuite d’Amérique latine et d’Afrique, en faveur des droits et du bien-être des peuples qui croupissaient sous diverses formes d’autocraties, dont les dictatures militaires et la colonisation. Ce concept porte donc des graines de moralité qu’on ne devrait jamais planter dans aucun champ de haine autre que la haine des systèmes liberticides. Les littératures exacerbant les ethnicités sont extrêmement nocives et à ce titre, devraient être exclues du champ de l’engagement littéraire.
Vous êtes connu comme banquier, autrefois comme journaliste, mais vous voilà abondamment plongé dans l’écriture. Est-ce que ces métiers s’interpénètrent ?
Écrire est le premier acte public que j’ai posé en tant qu’être humain. Je ne plonge donc pas soudainement dans l’écriture, je continue tout simplement de construire mon édifice littéraire. Il serait d’ailleurs très difficile d’exclure l’écriture, du moins la littérature, du champ global de la vie. Et la vie, notamment moderne, comporte plusieurs aspects y compris professionnels qui ne peuvent que concourir à l’ancrage de la littérature dans un champ réaliste. Il est plus aisé pour un écrivain, professionnel de la banque ou qui a pratiqué quelques aspects de l’économie d’entreprise, d’écrire un essai évoquant ces deux sujets, que celui qui n’en sait strictement rien ou qui n’en a qu’une vue théorique. Le journalisme est une formidable école qui apprend non seulement à respecter les faits, mais surtout à savoir les structurer. Cette rigueur rédactionnelle, par son fond et par sa forme, ne peut être que d’un excellent apport une fois appliquée à la littérature. Le journalisme, la banque et l’écriture s’interpénètrent donc aussi facilement que, logiquement, tout mène à l’écriture. Certaines personnes parviennent à sauter le pas. D’autre non, juste peut-être par manque de passion. La question du talent n’étant réellement pas un champ bloquant. Le travail et la détermination en viennent à bout.
Monsieur Mouellé, lorsque le journaliste ou l'ex-banquier pénètre le champ historique est-ce qu’il respecte la méthode scientifique dont recommande l’histoire ?
En tant que sciences sociales, le journalisme et l’Histoire ne diffèrent que par la temporalité des faits examinés. L’un examine le sens du présent et l’autre celui du passé. C’est la même méthodologie qui s’applique. Ne dit-on pas que le journaliste est un historien du présent ? Cela résume tout. Le chercheur qui s’aventure dans la collecte des faits s’emploie simplement à obéir à un ordre de rigueur lors de la collecte et d’honnêteté lors de la restitution. Parce qu’il n’y a rien de plus complexe que de s’imaginer qu’on peut décrire ou relater des faits qui n’ont aucune attache vérifiable. Il n’y a donc rien d’autre dans une démarche historique que de repérer les histoires (les faits), (car l’Histoire avec H n’est souvent qu’un ensemble de petites histoires mises ensemble), retrouver des témoignages qui attestent de leur authenticité, les recouper, et ensuite permettre à ces témoignages de dégager une médiane qui lie les faits entre eux, donnant ainsi du sens à ce que vous analysez. Le mot scientifique que vous utilisez ici est fondamental. Il stipule que mis dans les mêmes conditions, exposé aux mêmes faits et contextes, tout autre chercheur que vous parviendrait aux mêmes conclusions. C’est vrai que ces préalables ne sont pas toujours respectés du fait du poids des idéologies dans les sciences sociales. L’honnêteté joue donc un rôle aussi important que celui de la scientificité des faits. Plus encore lorsqu’il s’agit de l’Histoire. C’est pour cela que la maîtrise de son histoire est un enjeu capital pour chaque peuple, car c’est l’Histoire qui détermine les identités. C’est elle qui construit les civilisations.
Vous venez d’écrire un volumineux livre de 450 pages intitulé « Historiographie Africaine et Archéologie de l’Esclavage dans le Pharaon Inattendu. » Quelle en est la quintessence ?
J’aime bien le présenter comme un livre au carrefour de l’Histoire et de l’avenir en construction. C’est un essai qui examine comment l’Histoire africaine est écrite, par qui, depuis quand, pour qui, et surtout dans quel but ? Il prend appui sur mon roman historique Le Pharaon Inattendu, publié pour la première fois en 2004 et que j’ai augmenté et revu en 3 volumes pour mieux mettre en lumière les faits de civilisation africaine perturbés gravement par les Arabes à partir du VIIe siècle et par les Européens à partir du XVe. Ces 3 tomes, sont en cours d’édition chez Ekima Média. Ce faisant, ils avaient besoin d’être précédés par un manuel qui explique des faits historiques majeurs qu’ils n’ont fait qu’effleurer, parce que la structure de l’intrigue ne permettait pas de procéder autrement. Dans l’essai, j’expose l’identité de la véritable idéologie à la base de la Traite négrière et de l’esclavage Transatlantique. Il s’agit de la Tabula Rasa. Les théoriciens de cette monstruosité ont colporté pendant des années à travers leurs écrits l’idée que l’Afrique n’est peuplé que de sauvages incapables de faits de civilisation et surtout qu’il faut impérativement les civiliser. Nicolas V, un Pape catholique qui en répand le soufre à travers l’Europe, via sa Bulle Romanus Pontifex datée du 8 janvier 1454, actualise un autre principe déjà connu dans l’Histoire, celui du Pape Urbain II, intitulé Terra Nullius. En signifiant « les terres sans maîtres », le concept de Terra Nullius, ajouté aux motivations d’impérialisme chrétien et à l’appât du gain, après la douloureuse et longue période de l’esclavage subie depuis le VIIe siècle du fait des Arabes, lance, à partir de la fin du XIVe siècle les Européens principalement sur l’Afrique. Mon livre montre comment les écrivains et philosophes tels que Voltaire, Hegel ou Victor Hugo qu’on continue, par ignorance des faits, par complaisance ou par servitude volontaire, d’avoir au programme dans nos écoles en Afrique, ont fait montre d’une haine féroce à l’endroit de l’Homme Noir et encouragé les leurs à le traiter comme une bête sauvage. Ce livre offre l’occasion de revisiter des faits de civilisations africaines occultés ou ignorés. Non pour se justifier, mais pour instruire les Africains de ce qu’il en est véritablement. Participer à l’émergence d’une identité de soi juste et équilibrée à défaut d’être authentique. Il est autant exigeant sur le passé qu’il le demeure avec le présent, explorant ainsi le champ des responsabilités actuels des acteurs africains et autres quant à leur conscience des enjeux planétaires dont l’Afrique demeure l’épicentre.
Pourquoi l’Afrique passionne tant ? « L’humanité Noire » est-elle menacée pour faire resurgir les questions de l’esclavage ?
Pour les autres, l’Afrique passionne parce qu’elle est le paradis dont parle tous les livres des religions révélées. Il n’y a que les Africains pour croire en un paradis céleste. Toutes les officines stratégiques d’Occident et d’Orient ont déjà positionné leurs armées en Afrique. La bataille est celle de toujours : le contrôle des ressources énergétiques africaines auxquelles s’ajoute le plus important, le contrôle de l’esprit africain. Entre les deux, on a créé toutes sortes de distractions qui occupent les Africains et les éloignent des matrices des véritables enjeux, dont le concept impossible à appliquer de la démocratie. Comptez le nombre de morts dus à la démocratie en Afrique, vous verrez combien l’esclavage mental est encore plus dangereux que toute autre forme de servitude. Ceux qui pensent donc que la période de l’esclavage est terminée se trompent. La déportation massive des populations enchaînées est terminée, l’enchaînement est désormais local. Regardez le drame de la RDC avec des millions de morts par an. Rappelez-vous le génocide rwandais. Si l’on en croit Shanda Tonme, François-Xavier Verschave et autres, il y en aurait eu également dans l’ouest du Cameroun à partir des années 1960 au moment de la « pacification » des zones favorables aux nationalistes de l’UPC. Un travail de fond devra être mené pour trancher sur cette question grave. En soulevant la question de l’esclavage, malgré les détails douloureux et inhumains qui s’y rattachent, il s’agissait de montrer comment on peut y arriver à bout, quelle que soit la forme qu’il revêt contextuellement. Les Haïtiens nous ont montré la voie à partir de 1791. Le livre et surtout les 3 volumes de Le Pharaon Inattendu montrent les chemins de la Délivrance.
Vous parlez beaucoup de l’esclavage dans votre livre, vous dites : « le Pharaon Inattendu, fait ainsi écho aux voix des divers dieux de la justice et de la prospérité d’un peuple déchu de sa grandeur, et éloigné brutalement de ses ors. » De nos jours, quelles traces reste-t-il de l’esclavage ?
Tout dit encore esclavage dans le fond. Même si les chaînes physiques ne sont plus visibles, les chaînes mentales persistent. Dont celles dues à nos croyances et à notre spiritualité. Encore une fois les Haïtiens nous ont montré la voie à partir de 1791. Au-delà, l’existence des Afro-descendants aux Amériques et dans les Antilles demeure un tableau vivant des traces de l’esclavage. Ces frères et sœurs se rapprochent de plus en plus de l’Afrique, bien plus que simplement par les mots : ils visitent nos pays, certaines prennent les nationalités locales. Rappelez-vous Samuel L. Jackson devenu gabonais ou Stevie Wonder, le Ghanéen. Là où l’esclavage industriel a divisé les Africains, le Sang, via les analyses ADN, les réunit désormais. La mondialisation « heureuse » dont je parle dans l’essai n’a pour principale victime que l’Afrique. C’est une autre forme d’esclavage, en l’occurrence géostratégique. Elle étouffe nos économies.
Votre essai est d’une incroyable complexité, presque hermétique : il évoque l’exil, les replis identitaires, les tourments de la vie, les voyages presque initiatiques, mais vous arrivez sans difficultés à accrocher le lecteur et à le faire évoluer dans vos intrigues. Comment avez-vous fait pour réussir à vous adapter et à écrire un essai sans tomber dans le romantisme ou la fiction ?
Les retours que j’ai des lecteurs ne signalent pas que le livre est hermétique. Il est profond, certes, mais hermétique, non. Pour le reste, j’ai essayé d’être le plus rigoureux possible, car c’est mon premier essai. Il faut également souligner le travail pointilleux de mon éditrice, Cécile Moussinga, elle-même historienne et nourrie de la même rigueur dans la forme et dans le fond d’un texte. Je profite de l’occasion pour la remercier amplement. C’est un livre écrit, à sa demande, en 3 mois, de mars à mai 2020, lors du premier confinement. Cela a demandé une concentration extrême, j’avais le contexte favorable : j’étais confiné.
Vous dites aussi « c’est à ce moment que l’Europe, principalement l’Espagne, et le Portugal, dans un premier temps, soutenue par les ordres politiques et religieux catholiques, décida d’aller chercher les africains en Afrique. » Avec ce tempérament d’écrivain que vous avez aujourd’hui, comment justifier qu’un peuple se laisse asservir pendant 500 ans ? Etienne de la Boétie parle de la servitude volontaire. Un peuple qui se laisse asservir l’aurait-il voulu ?
Le peuple ne s’est pas laissé asservir pendant 500 ans dans une totale passiveté. Je ne peux pas laisser dire cela. Lisez le livre, vous y trouverez davantage de détails. L’esclavage comme la colonisation de l’Afrique sont en réalité une histoire récente et la résultante d’une perte d’hégémonie et de leadership. Une suite de guerres perdues. N’ayons pas la mémoire courte. L’Afrique s’est tout simplement essoufflée comme n’importe quel athlète ; n’importe quel champion le serait après un parcours extrêmement long et éprouvant. Rappelons-nous que l’Afrique qui est dominée dès le VIIe siècle est la même qui sort d’une longue période de domination du monde, de manière ininterrompue et ce depuis la plus haute antiquité. Sans être exhaustif, mon livre expose, documentation à l’appui, certaines réalisations majeures, dont celles liées aux confrontations avec d’autres peuples, dont notamment ceux qui finirent par la dominer à leur tour. Ne faisons donc pas comme si l’actuelle occidentalité et l’actuelle orientalité, constituent le commencement de l’Histoire. 500 ans de domination esclavagiste sur l’Afrique ne pèsent dans l’histoire que par l’immoralité et la bestialité la plus froide qui les ont accompagnés. Rien de plus. Je ne sais pas dans quel contexte La Boétie parle de servitude volontaire, je ne l’ai pas lu. Mais s’il s’agit de la soumission volontaire des Noirs au système esclavagiste, je ferais tout simplement « Tchuip » ! Pour ajouter, comme dirait Lapiro de Mbanga « mbout na sick – L’ignorance est une maladie », elle se soigne. Ce serait donc un autre malade mental, un énième syphilitique du cerveau qu’on aura trop tôt élevé au rang d’intellectuel. Que chacun de ceux qui pensent comme lui se donnent la peine d’explorer la véritable histoire africaine des résistances. Qu’ils lèvent une seconde leur nez des textes écrits par les vainqueurs. D’ailleurs quelle grandeur tire-t-on à vaincre un faible ? Je rappelle juste que les Européens qui déferlaient sur les terres africaines dès le XVe siècle n’avaient rien d’humains. Leurs descendants et suiveurs idéologiques feraient mieux d’être discrets. Leurs actes barbares en Angola, en Centrafrique, au Congo, au Gabon, au Cameroun, ou en Algérie, n’honorent aucunement la race humaine. Le livre en analyses quelques-uns.
Dans votre ouvrage, vous vous considérez comme un humaniste. En quoi un écrivain engagé peut-il être considéré d’humaniste ? D’abord qu’est-ce que l’humanisme pour vous ?
L’humanisme, est un mode de pensée et d’action qui met l’Homme et son bonheur au centre de toutes les préoccupations. Mon engagement est un humaniste. Je suis un humaniste. Mon obsession n’est pas la félicité du Ciel, mais le bien-être humain. Ici et maintenant. Si on est Heureux sur terre sans que notre bonheur cause le malheur d’autrui, alors on le sera également au Ciel. Car, comme le soutient la Table d’Emeraude « Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut, est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose. » Construisons un bon « en bas » pour chacun et nous nous garantissons un excellent « en haut » éternel pour tous.
Vous semblez faire de cet essai une véritable enquête du passé. Est-ce que votre invitation dans cette géopolitique du passé n’est pas un retour de votre expérience de journaliste dans l'Afrique nostalgique ?
Non, vous pouvez vous rassurez, il n’en est rien. Il ne s’agit pas d’un voyage nostalgique, il s’agit d’un impératif structurel. Comme disaient les Anciens, la vérité sur soi est la force forte de toute force : car elle vaincra toute chose subtile, et pénétrera toute chose solide.
Comment évalueriez-vous le progrès atteint en terme de réparation historique aujourd’hui ? Est-il nécessaire de réclamer des réparations de l’esclavage ou de laisser l’occident avec cette dette morale ?
Je n’ai pas une opinion arrêtée sur cette question. Mais en général toute faute se répare. Toutefois, les approches de justice collective ou individuelle ne sont pas les mêmes selon la Tradition africaine à laquelle j’attache l’essentiel de mes références en la matière, et la modernité occidentale actuelle. J’aborde cette question de formes de justices dans le livre et montre comment la notion de restitution des équilibres intérieurs inhérents à l’être humain peut diverger d’un pays à l’autre, d’un continent à un autre. Les Anciens nous ont légué la Maât et le Gacaca, ils nous ont même montré la force de l’Ubuntu sur lequel Nelson Mandela s’est appuyé pour sauver l’Afrique du Sud multiethnique du risque de l’implosion postapartheid. Pour que l’un de ces instruments de droit traditionnel soit appliqué, il faudrait encore que le coupable soit identifié au terme d’une procédure de justice acceptée par toutes les parties. Alors seulement pourrait-on trancher sur la nature et la forme de la sentence. Nous n’avons pas encore atteint ce stade de manière unanime pour ce qui concerne les crimes de l’esclavage et ceux de la colonisation. Hier encore, j’écoutais un leader de l’extrême droite française à la télévision qui disait, en toute impunité, combien il était important pour son pays de ne demander aucune excuse aux Africains des crimes qu’il aura commis contre eux tout au long de l’Histoire, le plus récent étant son implication démontrée dans le rapport de la Commission de Recherche sur les Archives Françaises Relatives au Rwanda et au Génocide des Tutsi, rapport remis au Président Macron le 26 mars 2021. De telles postures n’aident pas au rapprochement des peuples et à l’apaisement des rancœurs.
Le problème de l’esclavage a resurgi dernièrement dans l’actualité Libyenne, n’est-ce pas l’occasion de soulever un grand débat dans le monde au sujet du racisme et de la discrimination ?
La question libyenne est bien plus vaste que la seule question que suscite l’esclavage des subsahariens pratiqué sur son sol. C’est un vaste processus qui part de l’absence de leadership de certains pays francophones au sud du Sahara, à l’assassinat de Kadhafi par la coalition Obama-Sarkozy. Le premier, entre autre raison, a voulu cette guerre pour étouffer l’émergence d’une monnaie unique africaine dont le leader libyen était devenu le chantre, ce qui aurait sérieusement amoindri le pouvoir de la dollarisation de l’économie mondiale au profit des monnaies alternatives des forces émergentes comme la Chine et la Russie. Le bilan de l’histoire Occident-Afrique étant empreint de beaucoup de reproches, la nouvelle monnaie africaine allait principalement être multi-assiette et prioriser les échanges avec les deux nouveaux géants de l’échiquier géostratégique. Le deuxième, Nicolas Sarkozy, manifestait toutes les raisons personnelles de voir Kadhafi disparaître, lesquelles n’étaient en rien liées au prétendu massacre en préparation contre les populations de Benghazi. L’histoire montre qu’il n’y a jamais eu de massacre en préparation. Toujours est-il que la destruction de l’État libyen en 2011 a permis aux divers trafiquants locaux non seulement de s’emparer d’un arsenal de guerre impressionnant, mais aussi de se constituer en chefs de zones et de commencer à mener divers trafics, dont la drogue et les êtres humains. Les armes qui se sont dispersées dans tout le sahel ont provoqué la création des nébuleuses islamistes et renforcé certains autres en perte de vitesse. Cette instabilité a contraint les populations, surtout les jeunes, qu’on n’avait pas réussi à enrôler à quitter leurs terres et à s’aventurer plus au nord en direction de l’Europe. À ceux-là se sont joints d’autres que la misère structurelle chassait de leurs pays et qui prenaient également le chemin du désert. Tout le système esclavagiste qui se met en place part donc des conséquences de la guerre d’Obama-Sarkozy contre Kadhafi. Le reste se nourrit de l’absence d’État. Dans plusieurs pays arabes du continent, à l’exception du Maroc, les Noirs ne sont pas vus différemment de ce qu’en disent les exégètes du Coran : ils sont des personnes à assujettir ou sous servitude, à l’exemple des Haratins en Mauritanie. Les 10 à 15% de Tunisiens noirs sont quasiment invisibles. Le drame survenu récemment en Algérie, où l’État algérien a laissé sans soins les immigrés accidentés baigner dans leur sang, vient montrer que le sort déplorable des Noirs en Libye n’est que le reflet d’une politique de racisme anti-Noir généralisée dans le Maghreb. Il faut condamner cela avec la dernière énergie et revoir au besoin les liens diplomatiques qui lient les nations subsahariennes avec les États de cette région coupables de racisme. L’Union Africaine devrait conditionner leur siège parmi leurs pairs africains.
Nous sommes impressionnés par cette spiritualité vivace qu’on trouve dans votre livre, je parle notamment des 77 commandements de la Maât, et ses 42 idéaux du Temple d’Aset (Isis). Est-il facile de respecter ces vertus qui n’existent que chez les dieux ?
Maât est à la fois une voie de sagesse individuelle et collective et un instrument de justice. Ses 77 préceptes ne sont ni difficiles ni faciles à appliquer, ils sont tout simplement inévitables pour quiconque voudrait vivre une vie équilibrée à l’abri des influences qui alourdissent son âme. Ils se complètent par les 42 idéaux qu’on doit se répéter et appliquer chaque jour, selon le contexte heureux ou malheureux auquel on est confronté. On aurait tort de penser que seuls les dieux peuvent approcher la perfection. Aimer sincèrement l’autre, respecter la nature et préserver les équilibres vitaux c’est déjà se mettre en chemin de la perfection. Les ancêtres nous ont légué ces outils, à nous de les adapter au contexte qui est le nôtre. Je rappelle néanmoins que la Maât n’est pas un instrument de la méditation contemplative, comme certains tendent à le penser. Il s’agit d’un instrument extrêmement puissant de restitution des équilibres. Ce qui peut tout suggérer y compris la guerre préventive, quand il est appliqué en contexte d’adversité extrême.
Votre livre est très passionnant, l’avez-vous recommandé à nos universités d’Afrique ? où le trouver ?
Je vous remercie pour cette appréciation. Mais est-ce à moi de les leur suggérer ? Je n’en sais rien. C’est une bouteille à la mer. Le destin choisira son port. Historiographie africaine et Archéologie de l’Esclavage dans le Pharaon Inattendu est référencé dans toutes les librairies en France à travers la plateforme www.leslibrairies.fr Il est présent sous forme électronique et papier chez www.fnac.com , www.amazon.com , www.amazon.fr , www.youscribe.com . Il sera bientôt disponible au Cameroun. Se rapprocher de l’éditrice Ekima Media (Facebook, Instagram etc.)
Votre mot de fin.
Je vous remercie beaucoup pour cet entretien. J’invite principalement les parents à lire cet ouvrage et en discuter en famille. Je suis disponible sur les divers réseaux sociaux, prêt à répondre à toutes les questions et à expliciter la moindre difficulté que rencontreraient les lecteurs. Que la paix soit avec vous !
Merci aussi du temps que vous avez daigné nous accorder. Et à la prochaine.
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