Qui était Litassou Makaini ?
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Décédé mardi dernier à Yaoundé des suites de maladie, le lamido de Yagoua était un défenseur de la culture massa. Il était un grand promoteur du vivre ensemble et de l’unité africaine.

Litassou Makaini n’est plus. Le lamido de Yagoua a tiré sa révérence le mardi 23 juin 2020 à Yaoundé des suites de maladie. Il est parti avec tous les secrets et énigmes qui ont entouré son règne depuis son accession au trône de la chefferie de Yagoua le 18 octobre 2008. Le petit-fils du premier lamido de Yagoua, Sa Majesté Soua a, en 12 ans, restauré et modernisé le lamidat de Yagoua. La vie du défunt chef traditionnel fut celle d’un jeune administrateur civil au service de son pays.

Après son baccalauréat obtenu en 1979 à Yagoua, le jeune Litassou Makaini entre à l’université fédérale du Cameroun à Yaoundé. Il s’inscrit à la faculté de droit et sciences économiques. Il y obtient une licence en droit public. En 1983, il est admis au cycle A de l’Ecole nationale d'administration et de la magistrature (Enam). A la fin de sa formation, et bien qu’ayant obtenu le diplôme de contrôleur principal du trésor, c’est avec un pincement au coeur qu’il accepte son affectation au ministère des finances. A la direction du trésor, le jeune Litassou occupe les fonctions de chef service de contrôle des comptabilités journalières, puis adjoint au chef service de la comptabilité. Cela ne semble pas suffire à celui qui s’est promis de devenir administrateur civil, à tout prix. Retour à l’Enam en 1986, à la section administration générale.

Commence alors une riche et longue carrière pour celui qui se faisait appeler affectueusement « Yerima Président » par ses amis et camarades de l’Enam et du lycée. Il occupe les fonctions de chef service des régies d’avances et de chef service des établissements publics entre 1996 et 1999 avant d’être muté au ministère de l’urbanisme et de l’habitat comme contrôleur financier spécialisé. C’est le début d’une longue et riche carrière dans le secteur du contrôle financier pour le lamido de Yagoua. En juillet 2004, il est nommé contrôleur financier spécialisé auprès de l’Agence de régulation télécommunications (ART). Il était, de septembre 2006 jusqu’à sa mort, contrôleur financier spécialisé auprès du Bucrep. Litassou Makaini était déjà connu du grand public avant son intronisation comme lamido de Yagoua.

Très actifs dans les regroupements d’associations des ressortissants des régions septentrionales du Cameroun, c’était un amoureux de la culture des peuples des régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord. Lawane Ngalandja Francois, ancien député-maire de Yagoua qui l’a bien connu, se souvient : « Moul Litassou était un passionné de la culture massa. Il était très actif à mes côtés dans la vulgarisation de la musique et de la danse massa. Quand j’étais président de la ligue de lutte traditionnelle, c’était l’une des élites du Mayo-Danay qui nous apportait toujours son soutien. Le peuple massa perd à la fois un fils et un chef dignes. Je perds aujourd’hui un beau-père mais surtout un ami et un frère d’une autre mère » témoigne-t-il.

Son entourage et ses proches parents gardent de lui l’image d’un homme aimable. « Je me souviens encore quand, toute petite dans la capitale Yaoundé, mon tonton venait rendre visite à sa grande soeur qu’était ma maman. Nous étions très fiers de l’accompagner à son retour sur les collines de Ngoa-Ekellé. Il était frais, beau et si gentil, toujours très proche des siens. Toujours constant, d’humeur parfaitement égale, il est l’oncle que j’ai toujours voulu avoir », témoigne Valérie Haida, journaliste et nièce du lamido de Yagoua.

L’onde de choc de la mort de Litassou Makaini a été ressentie bien au-delà du département du Mayo-Danay et même de la région de l’Extrême- Nord. Le patriarche Alhadji Mohamadou Abbo Ousmanou pleure un ami et un camarade de parti. « Sa Majesté Litassou était un petit frère. Nous avions en commun l’amour de la culture. Il était un défenseur de la culture massa mais aussi peule. Nous avions en commun l’amour de la vache et du lait. C’est une grande perte pour notre pays, mais aussi pour le peuple massa qui a perdu un guide éclairé. Prions pour le repos éternel de son âme. C’est le chemin de tout un chacun. Je suis triste qu’il soit parti si tôt. Nous avions un projet d’organisation d’une grande fête culturelle réunissant à Garoua les peuples ayant en commun l’amour de la vache et du lait. Le festival Tabital Pulakou » témoigne l’industriel de Ngaoundéré.

Le lamido de Yagoua était aussi très actif dans les regroupements socio-culturels et politiques (président de l’association de développement du Mayo-Danay, membre du conseil national des chefs traditionnels du Cameroun, président du comité juridique et administratif de l’instance regroupant les lamibés et sultans. Défenseur acharné d’une chefferie moderne et tournée vers le développement, le Moulla de Yagoua maniait à la fois la chicotte et la carotte afin d’obtenir de ses sujets obéissance et participation.

C’est lui engagea le combat contre la consommation de l’alcool traditionnel appelé « Arki » dans les arrondissements de Yagoua et Vélé, auquel il associa la lutte contre la dépravation des moeurs en milieu jeune. Dans les nombreuses batailles de Litassou Makaini, celle de la réforme du festival culturel massa Tokna Massana figure en bonne place. C’est pourquoi, il n’a pas hésité un seul instant de soutenir le combat mené par des jeunes dans la dépolitisation et la confiscation du Tokna Massana par certaines élites. Pour lui, les chefs traditionnels massa étaient relégués au simple rang de figurant dans ce jubilé qui rassemble tous les deux ans le peuple massa des deux rives du Logone.

Son entregent allait audelà des frontières nationales car il était l’ami fidèle du Colonel Mouammar Kadhafi avec qui il nourrissait l’idée d’un grand Etat uni d’Afrique avec une place de choix des chefs traditionnels. « Le guide Libyen était un ami. J’ai voyagé plusieurs fois à Syrte et à Tripoli sur son invitation. Nous partagions la même vision : celle d’un développement entre pays du sud. Sa disparition est une grande perte pour la Libye mais aussi l’Afrique toute entière » confiait-il en 2012 à votre journal.

Le petit fils du lamido Soua, le tout 1er chef des Massa du Cameroun et du Tchad dès l'accession au trône de son grand-père avait pour premier rêve la restauration de la grandeur de la chefferie de Yagoua, qui avait perdu de son lustre avec la déportation dans le village La’andou, dans le département du Mayo-Rey, de son père Makaini Soua par le régime Ahidjo dans les années 60. Litassou Makaini ne veut pas remuer le couteau dans la plaie lorsqu’il évoque la déportation de son père en décembre 1960, lequel trouvera la mort à Mémé, dans le Mayo-Sava en 1979. C’est le pan sombre d’une histoire qu’il s’appliquait à effacer de sa mémoire.

« Je veux rendre la gloire et la puissance de la chefferie de Yagoua. Notre règne sera celui de la modernité. Le palais de mon père deviendra un musée et le haut-lieu de la culture massa. Nous sommes à la recherche de financements. L’Afd à travers le gouvernement français soutient déjà cette initiative. L’ambassadeur de France au Cameroun a visité ce palais et sa restauration est en cours » avait-il déclaré dans les colonnes de votre journal en 2018. Litassou Makaini alias Makadalah avait pourtant prévu de célébrer le centenaire de la création du Lamidat de Yagoua en 2022. Mais le destin décidera autrement pour le Moulla Massana.

Litassou Makaini n’organisera plus le centenaire de la chefferie de Yagoua créée en 1902 par les Allemands avec pour chef son grand-père Soua. Avec la disparition de Litassou Makaini, va se refermer une autre page de l’histoire de cette dynastie à la chefferie de Yagoua, en attendant la désignation d’un nouveau chef à Yagoua. Ce qui augure d’une longue période de perturbation jusqu’à la désignation d’un nouveau Lamido. Alors les Massa diront, comme les Anglais… le roi est mort, vive le roi.

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