Charles Boyomo Assala:« Il ne faut pas confondre liberté des citoyens et liberté de l’information »
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Quelle définition faites-vous de la liberté de la presse ?
La liberté de la presse, c’est le régime juridique qui régit l’expression médiatique, articulé sur une activité professionnelle. C’est-à-dire que les médias doivent assurer l’information des citoyens. Et cette information est portée par des supports qu’on appelle les médias, mais elle est récoltée et traitée par les journalistes. Je fais donc la distinction entre la liberté des médias dont la liberté des supports, et la liberté de l’information qui est le contenu à poser sur un support et qui est donc collecté et traité par les journalistes. Elle comporte également, la liberté des journalistes, la liberté des supports et le régime sous lequel la collecte de l’information s’articule. Il y a donc un certain nombre de territoires qu’il faut distinguer lorsqu’on parle de liberté de l’information. Je voudrais d’abord évacuer l’idée que la liberté de l’information concernerait exclusivement les journalistes et serait donc une liberté professionnelle. Or, il ne s’agit pas de cela. Même si les précisions n’ont pas été apportées et que cela a permis l’expansion des médias et du développement du journalisme notamment dans l’extension de régime de liberté démocratique, il ne faut pas confondre la liberté d’expression des citoyens avec la liberté de l’information qui peut être associée ou non à l’expression ou alors qui peut être une liberté professionnelle, c’est-à-dire, inscrite dans le travail des journalistes. C’est donc quelque chose d’assez complexe, c’est-à dire que ça comporte à la fois l’expression citoyenne, l’information qui est le produit du travail des journalistes notamment à travers les médias. Parce que l’expression peut être une expression ouverte, une expression qui s’inscrit dans l’énonciation de n’importe quel individu, elle peut également être une expression inscrite dans un document qui peut être le média physique ou numérique et elle peut aussi être quelque chose qui est le produit d’un travail de journaliste. Ça fait donc trois territoires d’action de compréhension de cette liberté qu’il faut distinguer.

Au nom de cette sacro-sainte liberté, les Hommes de médias ont-ils le droit de pousser les limites comme on le constate depuis un moment faisant fi des règles d’éthique et de déontologie. Peut-on tout dire, tout écrire ?
Tout dire ce serait se situer dans une sorte d’absolutisme de mauvais aloi ou se trouver dans une doctrine. Or, je pense qu’il faut sortir de ces approches doctrinales lorsqu’on évoque ces questions de liberté. D’abord parce que, toute liberté suppose une production normative qui définit le régime de cette liberté, de ses limites de toute façon. Ensuite, parce que lorsqu’elle touche aux journalistes, elle devient liberté professionnelle qui est donc conditionnée par le dispositif qui structure le travail des journalistes. C’est-à-dire finalement, le média dans lequel ils travaillent, les conditions dans lesquelles ils travaillent, et le contenu du travail qu’ils font. Lorsqu’on regarde les associations camerounaises qui portent aujourd’hui le combat sur le régime des libertés, on peut bien comprendre que les journalistes par exemple s’engagent dans des luttes qui poussent à étendre de plus en plus le régime des libertés dans lesquelles ils se situent, en considérant par exemple qu’il y a un certain nombre d’obstacles à cela. Mais ils ont tendance à situer le combat à l’extérieur de leur propre champ, c’est-à-dire en considérant que c’est plutôt, la société, l’Etat ou le monde politique qui constituent un obstacle à l’extension de leurs libertés. Parfois ils négligent le fait qu’à l’intérieur même de leur régime de fonctionnement il y a un statut des libertés. Ça veut dire qu’il y a un statut des syndicats qui doivent donc porter le combat non pas de la liberté à l’extérieur de la profession, mais de la liberté à l’intérieur de la profession, laquelle est conditionnée par le régime du travail qui est produit.

Qu’est ce que cela veut dire?
Ça veut dire qu’à l’intérieur, pour que le combat soit conduit, il faut que les journalistes s’organisent en syndicats professionnels pour défendre leurs conditions de travail. Mais qu’ils n’oublient pas que, les conditions de travail qui déterminent le régime sous lequel on travaille ne fait pas le contenu du travail. Autrement dit, un journaliste ne peut pas dire qu’il est journaliste lorsqu’il ne fait que du syndicalisme journalistique. Ce n’est plus du journalisme. Dans les pays avancés, les journalistes qui ont déjà des conditions de travail acceptables, ne passent pas leur temps à discuter de ces questions, ils travaillent. Un journaliste qui travaille vraiment n’a pas le temps de faire du syndicalisme. Il doit le faire mais en dehors des heures de travail et de son travail. Et on comprend très bien que se battre pour les conditions de travail, c’est en même temps se battre pour les libertés de l’information. Lorsque vous êtes préoccupé à collecter, traiter l’information, vous n’avez pas le temps en même temps d’aller vous battre avec votre patron pour améliorer les conditions de votre travail, ni même avoir pour interlocuteur : l’Etat. Parce qu’auprès de l’Etat pour obtenir une garantie de conditions de travail, ce n’est pas au journaliste à conduire ce combat, c’est vos responsables, les propriétaires des médias qui sont les interlocuteurs des Etats et c’est à eux que l’Etat doit demander les comptes en ce qui concerne les conditions de travail des journalistes.

A cause de nombreuses dérives, les médias sont mal vus, très peu considérés dans la société aujourd’hui. Comment redorer le blason de cette profession pourtant noble ?
Vous faites là un diagnostic un peu sévère. Je pense que ce sont des démons qu’on se fabrique, et on cède beaucoup à des injonctions un peu mondialistes, qui servent à diviser le monde entre les mondes développés et les mondes sous-développés. On aurait donc deux types de mondes, un univers où des individus sont déjà développés démocratiquement, économiquement, financièrement, socialement. Dans ce monde là, on aurait donc des médias civilisés. Et l’autre monde où les individus ont du mal, ils sont pauvres, ils vivent dans la précarité, les relations ne sont pas socialement solidifiées et par conséquent on aurait des médias sous-développés. Je pense que c’est une dichotomie qui n’est pas vraiment bonne. Les médias sont déterminés par les conditions sociales de leur existence. Et ce n’est pas parce que l’existence aujourd’hui nous apparaît spontanément comme divisée en deux catégories que les choses dans la réalité s’opèrent de cette manière. L'info claire et nette. Globalement et effectivement, il y a un monde développé où les gens vivent bien. Et puis il y a un monde où les gens ont du mal à s’en sortir. Mais d’une part, dans de nombreux pays développés, il y a des poches de sous-développement extrêmement élevées. Et dans de nombreux pays considérés comme sous- développés, il y a de poches de développement extrêmement élevées. A partir de là, on ne peut pas dire que les médias dans nos pays sont des médias sous-développés et devraient se comporter comme tels et qu’il faudrait donc des efforts particulier. Non ! Je pense que le monde est beaucoup plus complexe que cela. Nous devons de part et d’autre d’abord ne pas être victimes des formes de stigmatisations et de descriptions qui vous condamnent définitivement à vous battre en estimant que oui, nous sommes sous-développés donc on ne peut rien faire d’autre qu’accepter nos conditions de sous-développées. Non ! Je pense qu’il y a une nécessité d’ouverture de nos médias, il y a des défis qui sont à relever chez nous qui ne sont pas exactement les mêmes que les défis occidentaux, on ne peut pas espérer avoir des médias américains au Cameroun. Il faut donc être un peu tolérant par rapport à tous ces phénomènes.

Vous parlez de tolérance?
Le développement est défini comme une amélioration des conditions de vie généralisée. Et lorsque nous sommes dans des pays qui sont en difficulté économique, le vivre-ensemble est également difficile. L’ordre social lui-même qui doit donc être construit non pas nécessairement par des Messies qui viendraient nous sauver doit quand même être supporté par des visionnaires. Il est important qu’on fasse émerger ces visions qui sont à peu près des modèles. Qu’on se batte tous pour qu’émergent ces visions qui peuvent être des modèles et conduire nos actions respectives. Il ne faut donc pas se condamner définitivement, à partir d’une caractérisation qui nous viendrait d’ailleurs mais se dire que nous avons tous à évoluer. Nos médias doivent évoluer. Parmi nos médias il y en a de bons, il y en a également de mauvais. Nous avons une population qui doit évoluer. Qui doit comprendre les enjeux et qui doit savoir que très souvent dans de nombreux médias, il y a des courants de manipulation qui les structurent, et ne pas suivre naïvement ces courants. Camer.be. On peut les trouver aussi bien du côté des gouvernants que du côté de ceux qui se battent pour devenir eux-mêmes des gouvernants. Nos médias sont quelque part aussi le reflet de notre société, il faut que les médias qui n’ont pas atteint ce niveau de développement prennent conscience de leur niveau. Le problème est que la façon dont nous construisons nos médias, nous avons tendance à englober dans cette appellation, toutes sortes de supports, d’outils. Un individu peu avoir un papier il donne un nom et y met ce qu’il veut et puis on l’appellera média alors qu’il n a pas le statut ni l’organisation nécessaire pour qu’on dise que c’est un média. Le problème chez nous c’est qu’on confond tout. Les métiers qui sont associés à la conscience et à l’honnêteté de l’individu sont des métiers organisés dans les sociétés modernes. Ça veut dire par exemple, un juge, un avocat, un médecin, ce sont des métiers qui font appel à la conscience individuelle et à leur honnêteté. Ces métiers là, vous obligent à prêter serment. Or le journaliste ne prête pas serment. Il ne peut donc pas être attrait par sa conscience à rendre des comptes. C’est une profession qui repose sur une organisation du travail.

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