Profession Tchiza…
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La nostalgie n’est pas ma tasse de thé mais je n’ai su résister à la tentation de ressasser l’époque de mes 20 ans pour ouvrir notre rendez-vous hebdomadaire. Quand sur les coups de 16 ans s’éveillait en nous, jeunes lycéens, la flamme du désir, il fallait s’y reprendre par 5 fois pour espérer se rapprocher du but qui se résumait alors très souvent en un hypothétique flirt bienveillant avec la belle de nos rêves. Tout commençait par un regard discret mais assidu suivi de petits sourires autant attentionnés que furtifs. Passé ce premier mur de glace, il fallait bien placer quelques mots. Faire un petit geste de bonne volonté. On pensait alors à faire l’impasse sur le goûté ou le déjeuner pour offrir un sandwich à l’élue de son coeur. « Non je n’ai pas faim aujourd’hui », s’excusait-on auprès de l’autre qui savourait d’autant plus l’offrande qu’elle avait conscience du sacrifice consenti.

Et ce n’était qu’une mise en bouche. Après deux ou trois coups de ce genre, il devenait impératif d’élever le niveau. La pâtisserie du coin n’était déjà pas si mal. Encore fallait-il scruter les prix et prier les dieux de l’amour pour que la belle reste dans les clous de votre budget très souvent rachitique. Quelques paroles douces et des lettres de dévouement sentimental (pour les plus romantiques) faisaient forcément monter la sauce. came er be On pouvait déjà à ce stade espérer un feedback encourageant mais rien n’était encore joué. Après plusieurs mois, il était temps de planifier une sortie au cinéma. Considérés comme dégradants et indignes, les bars et les snacks n’étaient même pas envisageables. Le cinéma ? Encore fallait-il trouver de l’argent pour. 5.000 Fcfa pour un « coup double » au Cinéma le Wouri de Douala, frais de taxi et popcorns inclus.

Coup double

Des économies sur votre ration alimentaire ou sur vos frais de transport (la marche à pied était ardemment pratiquée) pendant 3 ou 4 mois vous permettaient de faire un pas. Si un tonton de passage ne vous aidait pas (inconsciemment) à combler la note, il fallait faire preuve d’ingéniosité (un cahier prétendument perdu par exemple) pour contraindre Papa à allonger un ou deux billets. On pouvait alors s’offrir ce « coup double » qui n’avait jamais autant bien porté son nom. Car mieux que ce deuxième film programmé le samedi sur les coups de 16h (après le premier de 14h), c’est bien ces câlins égarés que vous autorisait l’autre dans l’épaisse pénombre de la salle qui constituait la deuxième partie de la randonnée au Cinéma. La deuxième et sans doute la plus importante. Celle qui vous mettait sur les rails d’une relation plus intime encore.

Ça c’était il y a un vingt ans. Autant dire une éternité car depuis les choses ont bien changé. Les Cinémas ont fermé. Les Smart Phones sont arrivés. Les jeunes filles ont d’autres besoins et n’ont plus de temps à perdre. A l’heure de la « vitesse », la drague à l’ancienne est définitivement démodée. Les bars ont pris le relais des espaces romantiques. Les filles préfèrent les Boosters aux Sandwichs et il vaut mieux faire parler votre portefeuille que de compter fleurette. Sur les dancefloors, les contorsions sont si expressives qu’elles ne prêtent aucun flanc à un soupçon d’amourette de type Romeo et Juliette. L'info claire et nette. Les amateurs de la parlote et des beaux discours sont priés de faire un tour au village pour se ressourcer. On passe à l’acte sexuel comme on va aux toilettes. « Mon bon gars c’est mon sponsor »

Engluée dans l’engrenage d’une consommation sans fin, notre société ne résiste devant aucun gadget de la postmodernité. Maladroitement inspirés par les plus vieux, les jeunes ne se donnent plus la patience de l’effort et veulent tout ici et maintenant. Les garçons se font violence et grappillent où ils peuvent pour être à la page. Certains dérivent et plongent dans la délinquance. Les filles (heureusement pas toutes) empruntent de dangereux raccourcis. Une faille se crée dans laquelle s’engouffrent des Totons d’un autre genre : Ce sont les « sponsors ». Souvent autant, sinon plus âgés que Papa, ils sont prêts à payer pour toutes les gâteries. On a d’abord connu une période de transition où le « sponsor » se faisait discret. Il s’effaçait quand se pointait le « bon gars » plus jeune, plus vigoureux et forcement plus avenant aux yeux des parents et de la société.

Les vieux avaient alors une certaine pudeur, une certaine honte à courir des gamines désespérées et ensorcelées par le gain facile. Puis tout s’est accéléré. L’appétit venant en mangeant, les filles ont progressivement remis le sponsor au centre du jeu pour reléguer le « bon gars » à la périphérie. « Mon bon gars c’est celui qui s’occupe de moi », disent certaines. Et comme une bonne franche de ces amants âgés s’est mise au viagra et autres aphrodisiaques, des fillettes enivrées ont progressivement oublié la poitrine généreuse et les biceps rebondis du « bon gars » pour s’acheter un plaisir surfait sous la bedaine flasque et le corps mollasson du vieil amant.

Tchizambengue

Ce plaisir transgressif avait besoin d’être conforté. Nathalie Koah s’est chargée de lui donner une « légitimité » à l’issue de sa romance enflammée avec Samuel Eto’o. La chronique mondaine découvrait alors une jeune femme revendiquant une relation soutenue avec un homme marié. Le concubinage de luxe avait désormais un visage, restait à lui trouver une voix capable de porter sa noble cause. Mai 2018, la gabonaise Lekogo Chanelle (Shan’l de son nom d’artiste), 30 ans, signe le titre Tchizambengue en hommage aux maitresses de ces hommes. Nathalie Koah fait une apparition remarquée sur le clip officiel de la chanson qui déchaine les passions. La boucle est bouclée. Les Tchiza n’ont plus de complexe. « Mon bon gars c’est mon sponsor », réitèrent-t-elles à l’envie. Le cirque dure une dizaine d’année. Pas plus. Le temps pour la jeune fille de voir poindre les premières rondeurs de vieillesse. De réaliser qu’elle est désormais seule à faire face à l’éducation des deux ou trois enfants qui se sont invités au banquet de l’insouciance et de la dépravation. Le temps de réaliser que le sponsor d’hier n’était qu’un insatiable prédateur depuis reparti à la chasse de proies plus fraiches. Plus vulnérables.

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