Cameroun: Le Gouvernement boude les obsèques d’Eboussi Boulaga
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Cameroun: Le Gouvernement Boude Les Obsèques D’eboussi Boulaga :: Cameroon

Samedi dernier, la terre natale de Yorro vers Bokito s’est refermée sur les restes du monument de la pensée africaine et non moins icône de la défense des droits humains. Une cérémonie peu courue où la discrétion des autorités était de mise.

Dans un « clando », de Bafia à Bokoto. 8 personnes serrées telles des sardines ! 4 à l’avant, autant sur la banquette arrière. C’est moins pénible car nous roulons sur le bitume. Au bout d’une demi-heure, ou un peu moins, Bokito. Juste le temps d’être happé par un « benskineur » pour Yorro. Il dévale sur la route asphaltée, à tombeau ouvert, tout comme celui qui doit attendre les restes du grand philosophe Eboussi. Son haleine pue fortement l’alcool et le plonge dans l’addiction à la vitesse en dépit de l’état délabré de la route.

Yorro. La bourgade.

Les villageois sont là, bien installés dans les tentes montées sur la place de la chefferie. Juste au centre, en face du collège des prêtres officiant, trône les restes du grand penseur.

De l’autre côté du cercueil est la grande tente réservée aux autorités officielles, désespérément vide. Tout juste à côté, les élites du Mbam sont venues en nombre rendre un dernier hommage au théologien philosophe, à leur fils, un des leurs.

Mauvaise conscience

« Eboussi Boulaga apparaît dans le contexte camerounais comme la mauvaise conscience des acteurs politiques et sociaux de tous bords, qu’il a pris l’habitude, tel Socrate de persifler. Il dérange par ses prises de position », écrit un de ses proches.

Par exemple aux heures chaudes de la démocratisation du pays,les autorités accusent les enseignants de ne pas faire leur travail et d’encourager la grève. Il rétorque dans la presse en disant que désormais au campus de Ngoa Ekelle, il y a plus d’élèves que d’étudiants. Dans ce registre de mauvaise conscience, sa définition du tribalisme fait mouche et interpelle la conscience des gouvernants. « L’ensemble des pratiques ou des agissements des hommes se réclamant d’une entité ethnoculturelle appelée tribu, et qui utilisent les moyens de la puissance publique et étatique pour déterminer la structure de base de répartition des avantages et des charges, des immunités et des sanctions, d’accès aux emplois, aux opportunités économiques et sociales dans la collectivité nationale où ils se trouvent, en faisant acception des personnes au bénéfice de ses membres. »

Parlant du système électoral camerounais, sa répartie ne pourra que vexer davantage. Il dira : « Pouvez-vous trouver des gens qui font confiance au système électoral camerounais, en dehors de ceux qui l’ont fabriqués ? Faites une enquête sociale. Je vous citerai simplementl’exemple de Winston Churchill,qui disait qu’il ne croyait pasaux statistiques, sauf bien sûr celles qu’il avait lui-même fabriquées. Puisqu’il avait organisé des élections, il fallait bien des résultats. » Plus loin il confessera déçu : « Nous n’avons pas d’hommes politiques ambitieux. Le pouvoir qu’ils ont est celui de la vanité et de possession de nouveaux riches, je voudrais dire d’anciens pauvres. La passion funeste, l’enrichissement soudain qui rend fou nos hommes d’Etats. » Les intellectuels ne sont pas en reste. Il reproche aux penseurs camerounais, « le caractère éthéré de leurs
réflexions, de la réflexion désincarnée et surtout leur couardise, qui en font des bouches trous en sursis. » Il les appelle les « ventriloques » pour dire que ce sont leurs ventres qui parlent à la place de leur cerveau.

La sobriété

L’inhumation du regretté professeur s’est fait dans une discrétion insoupçonnable. Lui, le grand homme, est-ce ainsi qu’il quitte la terre des vivants ? Oublié des siens ? Il n’y avait ni toge, ni décoration sur son cercueil.Seules deux de ses photos au pied du cercueil, des clichés de sa jeunesse et de sa vieillesse.

Le chemin de toute la terre.

Même l’officiant jésuite du jour dira qu’il ne l’a pas connu, jetant davantage l’émoi et le stress dans l’esprit de l’assistance. On se serait attendu à voir une procession de ses confrères théologiens l’accompagner à sa dernière demeure. Que non ! Tout s’est passé exactement comme si par ses prises de position, le libre penseur s’était mis tout le monde à dos. Pourtant, son nom Eboussi signifie prophète. Celui qui veille, celui qui avertit la société des dangers qui la guettent.

Ainsi, le pasteur Jean-Clair Kenmogne, a pu écrire à cet effet : « quand il écoutait les pulsations de la société, ce n’était point pour délecter. C’était dans tous les cas pour tirer la sonnette d’alarme, déconstruire les fétichismes et les dogmatismes qui obstruent la pleine compréhension des problèmes et nous inviter à nous engager sur les chemins ardus de la quête du graal. »

Ainsi s’en vont les grands hommes quand il quitte ce monde, sans tambours ni clairons ! Ils s’en vont, au concert des huées, parce que leurs œuvres tyrannisent les hommes de ce monde, les hommes d’en bas. Eux, les veilleurs, qui savent lire dans les nuages les signes que tracent les doigts des anges, comme ils sont combattus, méprisés. Effectivement, Eboussi était de ceux-là. Du bout des doigts on pouvait compter les autorités, pas officielles, présentes sur place, au lieu du deuil, au lieu des cérémonies d’un homme de pensée, d’un homme probe qui ne s’accommodait que très mal des fioritures de notre société.

Quand la terre rouge de Yorro s’est refermée sur lui samedi dernier, au moment où certains étaient reconnaissants pour son œuvre, d’autres devraient se réjouir d’une épine de moins dans les parages. Et c’est de bonne guerre.

Eboussi Boulaga, un modèle rare

Le fils aîné de l’illustre disparu garde de son papa, le souvenir d’un papa qui était un modèle. « Il avait aussi certes des défauts mais demeurait toujours positif.

Même au plus fort de la maladie, il disait encore que ça va aller. Papa, tu resteras dans nos cœurs », lâche-t-il. Idem pour Ernest Bonda, un éminent disciple et enseignant à l’université catholique au Canada. « Il est difficile d’accepter que celui qui a été mon professeur pendant plus de 30 ans soit couché ici. Il a toujours été un modèle de rigueur et de sincérité.

Il restera un modèle jusqu’au jour où nous irons le rejoindre. Merci professeur d’avoir été là », confesse-t-il. Que dire du directeur de la télévision nationale congolaise qui se souvient de cette interview que lui accordée en 2014, Eboussi Boulaga. « il me dira que la République démocratique du Congo est sa deuxième Nation. Il m’a aussi dit que le jour où le Congo s’éveillera, toute l’Afrique se réveillera. Voici un autre prophète qui s’en va.

Est-ce que nous l’avons écouté ? Ou bien il faudrait que nous écoutions et nous changions ou bien nous refusions et nous disparaissons. Un jour triste, très triste parce que nous n’entendrons plus cette voix. »

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