Cameroun: A quand la Justice pour les familles des disparus de Bépanda ?
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Cameroun: A Quand La Justice Pour Les Familles Des Disparus De Bépanda ? :: Cameroon

Douala- Cameroun, ce mois d'aout 2018, il n'est que 7 heures, mais le lieu dit "Esplanade Omnisport" connaît déjà une animation toute particulière. Des camions stationnés attendent des éventuels clients. Idem pour les pousseurs et quelques mototaxis qui font les va et viens. L'un des endroits de cette esplanade non loin de l'entrée principale du stade de la réunification est soigneusement évité par les usagers de la place. La raison de cette attitude, c'est que c'est ici qu'au bout du petit matin du 16 mars 2000, trois jeunes dits "innocents" avaient été fusillés par les éléments du Commandement Opérationnel.

A PK 12, chez les Henry Chia, la photo de l’illustre disparu dont on avait découvert le corps à Log Bessou le 22 mars 2000, reste encore accrochée dans sa chambre familiale, devenue inoccupée depuis lors et transformée par ses parents en lieu de recueillement.

18 ans après l’instauration du Commandement opérationnel à Douala, les exactions commises par les éléments de cette unité demeurent gravées dans le subconscient collectif des habitants de Douala, la capitale économique camerounaise

Face à la recrudescence du grand banditisme, le Président de la République avait signé le décret n° 2000/0027 du 20 février 2000 portant création et organisation du Commandement Opérationnel (C.O). Cette unité spéciale de l'armée, dirigée par le Général Mpay dans la région du Littoral qui avait officiellement pour mission de repérer les grands bandits connus, les armes et les munitions placées chez certains individus, récupérer les tenues militaires, les fausses cartes professionnelles et d'identité, faire les enquêtes préliminaires et objectives pour démanteler les réseaux du grand banditisme en assainissant le corps des hommes en tenue, en limitant le trafic d'armes par le démantèlement des réseaux, en jugeant objectivement tous les suspects (corrupteurs et corrompus) et en mettant enfin sur pied un Tribunal Spécial capable de juger en plénière tous les suspects.

Cependant, les méthodes de fonctionnement qui seront employées vont provoquer de graves violations de la dignité et de la vie de bien des gens.

Pour la FIDH, très vite le Commandement Opérationnel se transformera en effet, en un Etat dans l'Etat : ses agents interviendront violemment en pleine rue, laissant des cadavres sur place.

1. Les exactions du «Commandement Opérationnel»

« Avec le C.O, l’on a noté des cas de torture, traitements inhumains ainsi que des exécutions et des disparitions diverses », pouvons-nous lire dans la copie de la plainte contre Paul Biya et consorts déposée en Belgique en 2001 par Djeukam Tchameni, Président du Collectif national contre l’impunité (CNI).

Selon la même source, avec le Commandement Opérationnel (C.O), certains quartiers de la ville de Douala sont devenus des lieux réguliers d'exécutions extrajudiciaires (Youpwe, Log-Bessou, route de la Dibamba, Bassa, Petit Nkam…). Les exactions sont nombreuses : rafles pendant lesquelles les gens sont humiliés, bastonnés voire emmenés au Commissariat et entassés dans des cellules minuscules(s'ils ne peuvent pas monnayer leur liberté). Certains sont torturés (parfois à mort), d'autres exécutés et enterrés dans des fosses communes.

En novembre 2000, près de l'aéroport de Douala, un charnier contenant 36 corps a été découvert. Douze fosses communes ont ensuite été localisées. Des témoins ont été obligés de se taire sous la menace. Des familles, prévenues de la mort d'un de leurs membres, se sont vues interdire de faire le deuil de leur parent ou fils. Les autorités du Commandement Opérationnel ont, à plusieurs reprises, tenté de nier ou de camoufler ces exactions, arguant même quelquefois de la légitime défense ou bien ont attribué les nombreux cadavres découverts sur les trottoirs ou dans les broussailles par des citoyens à des règlements de compte entre gangs ennemis. D'autres sources camerounaises ont insinué que les corps découverts dans les charniers avaient été retirés de la morgue de l'hôpital central et placés là pour discréditer les forces de l'ordre. (1)

Le 23 janvier 2001, 9 jeunes gens, Chia Efficence, Kuete Jean Charly, Ngouoffo Frédéric, Kouatou Charles Ruben, Kuate Fabrice, Etaha Marc, Kouatou Elysée Herbert, Tchiwan Jean Roger et Chia Nain, ont disparu après avoir été arrêtés par le capitaine Abah.

Ils étaient officiellement soupçonnés d'avoir volé une bouteille de gaz mais en réalité, selon le rapport de la FIDH 2001 sur cette affaire, la police voulait faire croire à l'opinion publique qu'elle avait arrêté les 9 grands bandits qui alors, faisaient la loi dans le quartier. Les corps n'ont jamais été retrouvés.

Ces disparitions ont été le détonateur pour mobiliser l'opinion nationale et internationale. Des manifestations ont eu lieu à Douala pour protester contre l'absence de réactions des autorités face au comportement du C.O.

En un an, le " CO ", aurait procédé à un millier d’exécutions sommaires sur des petits délinquants ou supposés tels. Selon l’Action Chrétienne pour l’Abolition de la Torture (ACAT), qui a mené des investigations sur-place avec l’Eglise et les familles des victimes, cinq charniers auraient déjà été identifiés, principalement dans la région de Douala. 36 corps auraient été découverts près de l’aéroport de Douala. Depuis avril 2000, un nombre croissant de disparitions et d’assassinats ont été rapportés dans ce pays (un demi-millier, au moins, rien que dans la région de Douala). Le cardinal Christian Tumi, archevêque de cette ville à l’époque, avait protesté publiquement auprès des autorités du pays. (2)

2. Quid l'affaire 9 disparus de Bépanda

L'affaire des neuf de Bépanda remonte à la nuit du 22 au 23 janvier 2001. Cette nuit-là, des forces de l’ordre du C.O, avaient enlevé, à leurs domiciles neuf jeunes gens.

Ces jeunes avaient été enlevés au motif d'avoir volé une bouteille de gaz domestique. Ils seront conduits à la BRT (Brigade de Recherche Territoriale) de BONANJO par les unités du Commandant ABBA NZENGUE. Ils y s'séjourneront pendant deux jours jusqu'au 26 janvier 2001 à 14 heures où ils seront transférés à la base du Commandement opérationnel à BONANJO (2ème région militaire) pour être entendus des actes qui leur étaient reprochés (vol d'une bouteille de gaz domestique).(3)

Les familles n'auront plus les traces des 9 jeunes gens depuis ce jour. Malgré les pressions organisées, il n'en sera rien. Un contact (militaire au Commandement opérationnel) laissera filtrer la nouvelle selon laquelle les 9 ont été sortis puis conduits à LOGBAJECK lieu où ils ont été exécutés. La nouvelle fait grand bruit et les familles sont embarrassées, troublées. Pourtant, une rumeur annonce qu'ils sont vivants au KOSOVO. (NDLR, Cellule célèbre de part son atrocité à Douala au Cameroun)(3)

Les uns pensent à l’époque que les 9 sont sûrement en vie quelque part (parce que disaient-ils, on ne saurait assassiner 9 personnes pour un vol de bouteille de gaz.

D’autres, surtout les familles et les amis des disparus, relayés par les médias privés vont conclurent que le Commandement opérationnel étant une institution à plein pouvoir a bel et bien assassiné ces 9 jeunes. Ces derniers s'organisent donc en conséquence, appuyés par plusieurs organisations de la société civile pour savoir la vérité sur le sort des 9 jeunes gens. Des plaintes seront initiées aussi bien au niveau du Cameroun et même en Belgique contre le pouvoir en place sans issue.

Le 23 novembre 2000, après avoir examiné la situation du Cameroun, le Comité des Nations Unies contre la torture a recommandé au gouvernement d'«envisager le démantèlement des forces spéciales créées dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme…, de poursuivre énergiquement les enquêtes déjà ouvertes sur les allégations de violations des droits de l'Homme et d'ordonner l'ouverture d'enquêtes immédiates et impartiales.»

A partir de décembre 2000, plusieurs ONG internationales font entendre leurs voix, d'abord isolément puis de manière collective. De nombreux appels sont lancés aux autorités camerounaises pour que des enquêtes soient diligentées et des mesures prises pour sanctionner les responsables.

Le 04 décembre 2000, un communiqué d'Amnesty International pose la question: Les responsables des exécutions extrajudiciaires massives dans la région de Douala resteront-ils impunis ?

Le 17 mai 2001, le Parlement Européen a adopté une résolution d'urgence dans laquelle il condamne de la manière la plus ferme les cas de torture, de disparitions et d'exécutions extrajudiciaires commis, qui auraient été perpétrés par les forces spéciales de sécurité au Cameroun et demande la création d'une commission d'enquête indépendante et l'organisation de procès impartiaux transparents.

3. Parodie de justice

A la suite de ces pressions nationales et internationales, le gouvernement a finalement entrepris d'enquêter sur l'affaire des 9 disparus, et huit responsables de la sécurité ont été arrêtés. Les gendarmes Ousmanou Bobbo, Pascal Yérémou Nyamsi, Jean Jacques Abah Ndzengue Urbain, Appolinaire Onana Ambassa , Nicolas Oyong Taku, Anadjo Adroumpai, Luc Evoundou et Samuel Houag comparaissaient ainsi le 18 juin 2001 pour «assassinat, torture, corruption, violation des consignes et complicité des mêmes faits».

Après plus d'une année de tergiversations juridiques, le verdict a été rendu le 9 juillet 2002 : «Violation de consignes» et «complicité de violation de consignes» ont été les seuls chefs d'accusation retenus contre le Colonel Bobbo Ousmanou et le Capitaine Jean-Jacques Abah Ndzengue Urbain. Les six autres accusés ont été relaxés, déclarés non coupables et acquittés pour faits non établis.

Les familles des “disparus”, qui n’ont jamais eu de nouvelles de leurs proches depuis leur interpellation, et leur avocat, Me Jean de Dieu Momo, ont pour leur part toujours défendu la thèse de l’exécution sommaire. Ils avaient par ailleurs réclamé des dédommagements de près d’un milliard de francs CFA (1,524 millions d’euros), mais le tribunal s’est déclaré dans son verdict “incompétent à statuer sur les intérêts civils”.

Ce verdict, sans étonner les observateurs, qui ont suivi le rapide procès des anciens membres du commandement opérationnel, a pourtant suscité des déceptions et des réactions internationales vives. Dans une lettre au Ministre de la Justice de l'époque, Amnesty International a notamment regretté que les responsables de la «disparition» des neuf de Douala n'aient toujours pas été trouvés et traduits en justice.

L'organisation demande aux autorités d'assurer la sécurité des familles et de leurs conseils qui ont exprimé l'intention d'interjeter appel contre la décision du tribunal militaire.

En dehors de ces quelques exemples illustrés par les exactions du C.O à Douala, le mystère demeure sur des cas de crimes impunis au Cameroun "Qu'il s'agisse des assassinats commandités des intellectuels, des hommes de Dieu, des militants des partis politiques, le bilan est macabre. Près de 1500 morts en 1984(3); environ 400 morts pendant les villes mortes(4), presque 800 Camerounais tués par le Commandement opérationnel(3); plus de 150 morts en février 2008…."

Quand pourra-t-on faire la lumière sur les disparitions, les exécutions extrajudiciaires et les actes de tortures déplorées au Cameroun par plusieurs organisations de la société civile et même politique ?

Biblio:
(1) Rapport Acat- France, dec 2001 «Le règne de la peur au Cameroun»
(2) Rapport FIDH « Cameroun : peur au ventre et chape de plomb. Disparitions, tortures, exécutions… : le quotidien de la population à Douala ».
(3) Rapport CNI Belgique, 2001, sur la « Situation des droits de l’Homme au Cameroun »
(4) Germinal Oct-Nov 2009
(5) Notes de l'asbl CEBAPH,sur les émeutes de février 2008 au Cameroun

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