Affaire du terminal à conteneurs : Chronique d’une symphonie jurisprudentielle devant les prétoires
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CAMEROUN :: Affaire du terminal à conteneurs : Chronique d’une symphonie jurisprudentielle devant les prétoires :: CAMEROON

Eclairage juridique du Professeur Jean-Calvin ABA’A OYONO sur l’affaire de la gestion du terminal à conteneurs du port de Douala-Bonaberi.

Les décisions du juge administratif, quelle qu’en soit la forme, ordonnance, jugement et arrêt précisément, s’inscrivent au registre de l’aboutissement du contrôle des opérations normatrices ou matérielles imputables à l’administration publique voire à la personne privée, habilitée par la précédente, à assurer l’exécution même du service public. De ce point de vue, ces instruments ou support juridiques de distribution de la justice ne sauraient, assurément, faire l’objet de commentaires polémiques. Mais s’il est un processus décisionnel de justice administrative sujet à feuilleton médiatique, aux appréciations somme toute éruptives et explosives, le litige sus-titré en est la révélation de l’air du temps. Ici et là, la critique acerbe émerge, selon le cliché, lorsqu’elle est, d’une part, infligée au juge administratif, à qui un avocat, sur les réseaux sociaux , et une certaine presse, adressent le double reproche de statuer sur un contentieux mettant en cause, au plan matériel, la gestion du service public et de faire preuve d’anti patriotisme juridique, et même à des investisseurs étrangers, d’autre part, parties prenantes au contentieux, qui plomberaient l’éclosion de l’expertise technique et économique locales, par ce penchant à monopoliser l’activité de la logistique portuaire.
Où se trouve objectivement la vérité juridique et rien que celle-ci, sans débat de passion ? Démêler cet écheveau revient tout simplement à s’approprier, sans détour, les faits de la cause, les procédures engagées, les arguments et prétentions développés par les protagonistes ainsi que l’analyse des décisions 2 juridictionnelles rendues à ce jour de la survivance et de la virulence du tollé nourri par ceux à qui il urge de rappeler, avec insistance, que le contentieux administratif n’est pas la chose juridique la mieux partagée. Il s’agit, pardi !, d’une science réservée à une sélection de « gens de justice », à une doctrine praticienne, et dont les lignes qui suivent s’attachent, autant que faire ce peut, à rendre familière cette complexité évoquée sans façon.

Sur les faits de la cause

On entend par là, la chronologie des évènements qui ont fondé et déclenché le litige soumis à l’appréciation du juge administratif. Le Port Autonome de Douala, en abrégé PAD, impulse un appel public international à manifestation d’intérêt N°2018/001/APIMI/PAD du 12 Janvier 2018 en vue de la concession des activités de rénovation, de modernisation, d’exploitation et de maintenance du terminal à conteneurs du port de DoualaBonaberi. Un avis d’appel d’offres y relatif est publié ce même 12 janvier 2018 et précise que la procédure est ordonnancée en 02 phases, l’une de pré-sélection des candidats « visant à établir une short-list d’un nombre minimal de 03 et un nombre maximal de 05 candidats (puis) une phase où les candidats retenus participeraient à une consultation restreinte devant conduire à l’attribution de la concession susvisée à l’un d’entre eux ». Au rang de la dizaine des candidatures enregistrées figure celle du groupement Apmi Ami management, constitué de 02 sociétés de droit néerlandais et de droit français, en l’occurrence ApmterminalsB.v et BolloreS.a. En date du 15 mars 2018, ces Sociétés ont participé, comme d’autres candidats, à la « séance d’ouverture des offres administratives et financières ».

A l’issue de la première phase de pré-sélection des soumissionnaires, encore appelée pré-qualification, le Pad publie, le 12 janvier 3 2019, la liste des 05 candidats retenus dans la « short-list » en vue de l’activation de l’ultime phase d’attribution de la concession réservée, faut-il le réitérer, avec insistance, aux seuls candidats pré-qualifiés en vue de participer à la consultation internationale restreinte. Le groupement susvisé ne figure malheureusement pas dans cette « short-list ». Dans la continuité la procédure de sélection du futur concessionnaire, le Pad attribue la concession au candidat dénommé Terminal Investment Limited, en abrégé (Til).
Il en est résulté, dans cette opération juridique de contractualisation, une mise hors circuit institutionnel du groupement soumissionnaire ayant par le passé immédiat assuré la gestion du terminal en convoitise, prosaïquement appelé Bollore. Enfin, et pour marquer le bout du tunnel de la traçabilité des faits, le Pad, pour des raisons d’input familières au fonctionnement enchevêtré des services publics pourtant juridiquement cloisonnés, décide de procéder à la gestion du terminal par la régie directe et, subséquemment, prend un acte de réquisition de tous les biens de Douala International Terminal, en abrégé Dit, dont BolloreAfricaLogistic et Apmt sont actionnaires majoritaires deladite société de droit camerounais, à l’effet d’assurer la gestion du service dans cette autre séquence accidentelle qui écarte TIL, en dépossédant ce faisant l’organisme de sa qualité de concessionnaire nouvellement acquise. Sous le bénéfice de l’ensemble des données factuelles qui précèdent, on peut d’ores et déjà aisément comprendre qu’une triple opération normatrice a été mise en branle par le Pad.

Corrélativement, ces décisions faisant grief au groupement, c'est-à-dire lui faisant préjudice, ne pouvaient que générer des arguments et prétentions déférés à la justice administrative qui s’oblige, par ces saisines, à statuer et à dire le droit à l’égard des parties au conflit. 4 - Sur les procédures, arguments, prétentions et décisions de - justice en restitution Il sied de relever, dans cette optique purement technique de discernement des procédures contentieuses, la demande de sursis à exécution du communiqué du 12 janvier 2019 ayant rendu publique la « short-list », la demande d’annulation au fond du communiqué de pré-sélection et des actes subséquents puis la demande de suspension de la mise en régie du terminal du port de Douala-Bonaberi.  Dans le premier cas relatif à la phase de pré-qualification excluant le groupement, On commence par relever que par une correspondance du 25 février 2019, le groupement Bollore, pour schématiser simplement, car ApmTerminals B.V fait équipe, estimant l’opération aux antipodes de l’objectivité, avait sollicité du Directeur Général du Pad des clarifications sur les critères de pré-qualification et de son exclusion qui en est résulté.

Dans le silence coutumier au service public, le groupement des Sociétés introduit, en date du 07 Avril 2019, un recours gracieux qui, une fois de plus, fait l’objet d’un recours implicite émergeant sur la base du silence gardé par le Pad. Et par la même occasion, les sociétés susvisées, faisant usage de l’article 30 de la loi N°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des Tribunaux Administratifs, adressent, au Président du Tribunal Administratif régional du Littoral, une demande de sursis à exécution du communiqué du 12 janvier 2019, à l’effet de solliciter, dans l’urgence, la paralysie momentanée de l’acte bien avant que n’intervienne le jugement au fond en annulation qui, le plus souvent, dure et perdure si le Président n’est diligent. 5 En guise d’arguments et de prétentions opposés, censés soutenir l’irrecevabilité alléguée de cette requête, le Pad brandit le défaut d’intérêt à agir, la forclusion (faire dire au juge, en langage simplifié, qu’il est trop tard pour examiner ce litige), ainsi que le défaut du recours gracieux. En réponse, le juge administratif déclare plutôt recevable le recours des requérantes en relevant, tour à tour, que l’exploitation des pièces du dossier prouve, en fait, que le recours gracieux existe, que relativement à la forclusion, aucune preuve de notification de la décision litigieuse n’a été rapportée alors que l’on est en présence d’un acte à caractère individuel et non point réglementaire soumis au régime de la publication effectuée par le Pad, et le défaut d’intérêt à agir ne saurait davantage prospérer dès lors que les requérantes ont été évincées du marché public pour lequel elles avaient soumissionné.

Ce déblayage du sentier de la recevabilité opéré au profit des plaignantes ouvre ainsi la voie à l’examen du bien-fondé du recours, conduisant le président du Tribunal administratif à faire droit ou non à la demande de sursis à exécution. Les parties demanderesses soutiennent, respectivement, que le communiqué querellé n’est pas une mesure de police administrative exclue du champ du sursis à exécution, que son exécution aura pour conséquence d’octroyer aux tiers leur droit acquis et entamera gravement et irrémédiablement leur réputation, toutes choses constitutives du préjudice irréparable à justifier par tout demandeur du sursis à exécution conformément à l’article 30 de la loi spéciale du contentieux administratif, que la mesure est vouée à l’annulation dès lors que les critères d’évaluation définis dans les dossiers d’appel d’offres ne sont guère transparents, situation ouvrant la voie à la commission par le Pad d’une erreur manifeste dans l’appréciation des capacités techniques et financières du groupement. 6 Le PAD, en réponse, conclut au rejet de la demande de sursis à exécution en objectant que la décision attaquée intéresse l’ordre public économique, la sécurité et la tranquillité publique des opérations de l’activité économique dans l’espace portuaire. Et comme cet article 30 de la loi permet la communication de la requête au ministère public aux fins de conclusions, le parquet général, pour sa part, a conclu au bien-fondé de la mesure sollicitée. En fin de compte, par ordonnance n°90/0SE/PTA/DLA/2019/ du 16 Août 2019, le Président du Tribunal Administratif estime que la légalité de cet acte est sujette à question, en relevant précisément que « les moyens d’annulation invoqués par la requérante paraissent sérieux », jugeant alors qu’il n’est pas approprié de laisser exécuter un acte qui souffre d’une illégalité apparente et qui va probablement être annulé.

Et l’octroi de la mesure du sursis à exécution, fondé sur l’absence de l’examen contentieux d’une mesure de police administrative et l’irréparabilité du préjudice découlant d’une décision à la juridicité douteuse, s’imposait sans coup férir. Usant du droit d’accès au juge supérieur par activation du pourvoi, le PAD saisit la Chambre Administrative de la Cour Suprême dans l’espoir d’obtenir la cassation de l’ordonnance querellée. Premièrement, le PAD fait grief à l’ordonnance attaquée d’être entachée d’un vice de forme, en ce qu’elle débute par le groupe de mots « Tribunal Administratif-Douala », et non par « Au nom du peuple camerounais », et que son dispositif est précédé par le mot « Ordonnons » et non « décide », mentions supposées violer les dispositions de l’article 54 de la loi 2006/022… Le juge suprême argue que ce moyen n’est pas pertinent dès lors que le texte de loi visé s’applique aux jugements rendus sur le fond par les Tribunaux Administratifs et, 7 qu’au demeurant, s’agissant d’une décision de justice dont la nature et la structure diffèrent de celles des jugements, l’ordonnance attaquée est en conformité avec le texte visé car elle débute, au premier rôle, par « Au nom du peuple camerounais », et que son dispositif , divisé en articles, est précédé par le mot « Ordonnons », plus approprié en telle occurrence. Deuxièmement, le PAD excipe, comme autre moyen de cassation, la violation d’un principe général de procédure et la non réponse aux conclusions. Sur le premier point, l’auteur du pourvoi dit qu’il est de principe que « nul n’est recevable à agir lorsqu’il ne justifie pas de sa qualité dans la cause ». Et la Chambre Administrative balaie d’un revers de la main ce défaut de qualité en estimant, qu’en l’espèce, l’intérêt avéré des défenderesses leur conférant la qualité pour agir, « celle-ci se passe de toute autre démonstration », et qu’au demeurant, il convient de souligner que le demandeur au pourvoi, en discutant le bien-fondé de la requête devant le premier juge, a implicitement mais nécessairement renoncé à se prévaloir de telles fins de non-recevoir.

Sur le deuxième tenant à la non réponse aux conclusions, la Chambre Administrative dit que le demandeur au pourvoi n’indique ni la disposition du texte qui fonde l’obligation de réponse aux conclusions, ni le texte de loi qui sanctionne la non réponse aux conclusions alléguées, encore moins les références des conclusions auxquelles il n’a pas été répondu. Troisièmement, le moyen de cassation invoqué est tiré de la violation de la loi dans ses aspects relatifs à la qualité de défenderesse excipée au deuxième moyen et auquel il a déjà été répondu, à la définition laconique et restrictive de la notion d’ordre public par l’ordonnance attaquée, ce qui a pour conséquence de méconnaître le risque de trouble à l’ordre public évoqué par le PAD. Le juge 8 suprême oppose l’argument que le moyen, en cette branche, ne peut être reçu, car le PAD tend à inviter la Cour Suprême à un nouvel examen des faits et éléments de preuve dont l’appréciation souveraine incombe au premier juge, ce qui conduirait la Cour à se mettre en marge des prescriptions de l’article 53 alinéa 2 de la loi spéciale N°2006/016 régissant le fonctionnement de la haute juridiction administrative. Enfin, la Chambre saisie par le PAD joint les 4e , 5e et 6e moyens qui tendent à mettre en relief la violation d’une jurisprudence de la Cour Suprême du Cameroun, la dénaturation des faits de la cause ou les pièces de procédure, l’insuffisance et la contrariété des motifs. Le juge suprême oppose alors l’irrecevabilité desdits moyens car, tels que présentés, les 5e et 6e moyens n’indiquent ni les dispositions de l’article 35 de la loi 2006/016 qui fonde la dénaturation en question, de même que l’insuffisance ou la contradiction alléguées comme cas d’ouverture au pourvoi, ni le texte de loi qui sanctionne de telles violations, et que le 4e moyen sur la jurisprudence tirée d’un arrêt de la Cour Fédérale de justice n’en énonce le contenu.

Ce qui, au bout du compte, met en exergue l’évanescence des 06 moyens proposés au juge suprême et, par voie de conséquence, la régularité de l’ordonnance attaquée. Et telle une antienne, l’arrêt n°214 du 04 décembre 2019, du reste très volumineux car constitué de 147 rôles, ne vient que confirmer la validité de l’ordonnance de sursis à exécution du communiqué dont l’objectivité ne souffre d’aucune objection. Il n’y a, dès lors, aucun grain de sable dans la fluidité jurisprudentielle entamée par le Tribunal Administratif et parachevée irréversiblement par la Chambre Administrative de la Cour Suprême. 9  S’agissant du deuxième afférent à la demande d’annulation du communiqué de présélection et des actes subséquents, Il convient de rappeler, utilement, que la requête aux fins de sursis à exécution adressée au juge unique, en l’occurrence le Président du Tribunal Administratif du Littoral, a abouti à une ordonnance qui dispose ceci : Article1 : Le recours aux fins de sursis à exécution introduit par les Sociétés APM TERMINALS B.V et BOLLORE S.A est recevable. Article 2 : il est fondé ; il est par conséquent ordonné le sursis à exécution de la décision du Directeur Général du PAD du 08 janvier 2019 intitulée « communiqué N° 0006219/DG/PAD du 08 janvier 2019 portant publication des résultats de l’appel public international à manifestation d’intérêt N° 2018/001/APIMI/PAD du 12 janvier 2018 pour la concession des activités de rénovation, de modernisation, d’exploitation et de maintenance du Terminal à conteneurs du port de Douala-Bonabéri », jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa légalité ; Article3 : les dépens de la procédure sont réservés pour faire masse avec ceux du fond. Les expressions « jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa légalité » et « les dépens de la procédure sont réservés pour faire masse avec ceux du fond » participent, de façon combinée, à la fixation du décor sur cette deuxième séquence de clarification du débat se rapportant à l’annulation du communiqué de pré-sélection et des actes subséquents.

La requête parvenue au greffe le 12 juillet 2019, et formulée par les sociétés ApmTerminals B.V et Bollore S.A, contient trois prétentions précises, à savoir, demander au juge d’ordonner la communication aux 10 requérantes l’ensemble des documents de la commission interne ad hoc de passation de la concession mise en place par le PAD pour les besoins de l’appel d’offre, prononcer l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Directeur Général du PAD au sujet du recours gracieux formé par le groupement contre le communiqué publiant les résultats de l’appel public international à manifestation d’intérêt et, par voie de conséquence, prononcer l’annulation de la décision querellée intitulée « communiqué… », ainsi que la procédure de passation pour la concession, et particulièrement tous les actes administratifs et/ou contrats administratifs subséquents passés, enjoindre au PAD de mettre un terme au processus subséquent d’attribution de la concession. En réaction, le PAD décline déjà la compétence du Tribunal Administratif relativement à la demande tendant à faire injonction au PAD de surseoir à la procédure d’adjudication et celle relative à la mesure d’instruction l’enjoignant de produire les documents administratifs de la commission interne ad hoc de la passation de la concession. Emboîtant le pas au ministère public qui a conclu à l’inhabilitation à donner des injonctions et à l’inopportunité de la mesure d’instruction enjoignant la production desdits documents, la cause étant en état de recevoir jugement, le Tribunal a fait droit à la position du PAD. Par ailleurs, le PAD poursuit en concluant à l’irrecevabilité du recours relativement aux autres chefs de la demande, en excipant, comme arguments fondant ce moyen d’irrecevabilité, respectivement, le défaut de qualité et d’intérêt, l’absence de recours gracieux, la forclusion, la violation du principe de l’immutabilité du litige et l’absence d’un acte administratif décisoire. 11 Les Sociétés requérantes objectent du caractère spécieux des fins de non-recevoir excipé. Ce que confirme du reste le ministère public qui argue de ce que l’ordonnance de sursis à exécution du Président du Tribunal Administratif du 16 août 2019, confirmée par la Chambre Administrative de la Cour Suprême, s’étant définitivement et favorablement prononcée sur la forme, laquelle postule de ces éléments afférents à la problématique de l’irrecevabilité alléguée par le PAD, il y aurait lieu de s’en tenir à cette réalité constante et conclure à la recevabilité du recours. Se pose donc la question de savoir quel est le traitement imprimé par le Tribunal à ce débat de nature à lever le verrou procédural qui mène à l’ouverture au fond du litige. In fine, le Tribunal déclare le présent recours recevable, toutes les exigences légales de forme ayant été respectées, poursuit-il, car le communiqué querellé mettant un terme au processus de pré-qualification des soumissionnaires par la disqualification de certains candidats est un acte normateur qui fait grief à ceux qui n’ont pas été présélectionnés.

Sur la violation du principe de l’immutabilité du litige, le PAD soutient que la demande tendant à l’annulation de la procédure d’adjudication, notamment de tous les actes pris après la phase de pré-qualification ainsi que celle tendant à l’annulation du rejet implicite de son recours gracieux, en ce qu’elles n’ont pas fait l’objet d’une réclamation préalable devant l’autorité concédante, sont irrecevables. Prenant le contre-pied d’un tel raisonnement juridique, le Tribunal Administratif relève que les demandes nouvelles sont recevables dans la limite de leur connexité avec celle principale et, qu’en l’espèce, loin d’être nouvelle, telle demande rentre dans les effets immédiats et incontournables de l’annulation du communiqué déféré en ce qu’elle aboutit 12 inéluctablement à l’annulation de tous les actes subséquents, notamment ceux établis postérieurement ; S’agissant de la forclusion, le Tribunal mentionne que le communiqué querellé a été porté à la connaissance du public le 12 janvier 2019, que le recours gracieux a été introduit le 07 avril 2019 et que la saisine du tribunal administratif est intervenue le 12 juillet 2019, actions précontentieuse et contentieuse introduites en conformité avec les prescriptions tirées des dispositions combinées des articles 17 et 18 de la loi spéciale 2006/022 sur les Tribunaux Administratifs. S’agissant enfin des défauts de recours gracieux, de qualité et d’intérêt, le Tribunal décide que la saisine juridictionnelle conjointe des requérantes, qui justifient chacune d’une personnalité juridique, est tout autant régulière, dès lors qu’elles ont soumissionné ensemble à l’appel d’offre dans le cadre d’un agrément. Dans ces conditions des questions de forme préalablement élucidées et levées, le Tribunal opère un glissement inéluctable vers l’ouverture du débat au fond. A l’appui de leur recours, les Sociétés requérantes excipent, invoquent ou convoquent les moyens d’annulation tenant au défaut de motivation du communiqué, aucune indication ne leur ayant été déclinée sur les raisons de fait et de droit de leur disqualification, à la subjectivité des critères d’évaluation qui a procédé d’une volonté du PAD d’agir dans un but autre que celui dicté par les textes en vigueur, notamment l’intérêt public, caractérisant ainsi le détournement de pouvoir ainsi que l’erreur manifeste d’appréciation de leur candidature ayant fait l’objet d’un traitement erroné pour n’avoir pas reçu du PAD la production des documents administratifs ayant constaté l’évaluation des candidats pour leur pré-sélection par la commission interne ad hoc.


La ligne de défense du Pad, la défenderesse en l’espèce, s’oppose à la communication des pièces réclamées et brandit l’inopportunité d’une telle demande, au motif que l’accès à l’information administrative se heurte aux obstacles de droit lié au principe de l’inviolabilité de la correspondance consacré par la loi constitutionnelle, de même qu’aux secrets des délibérations commerciales et industrielles. Elle conclut, alors, que la production d’une abondante documentation y relative lui serait hautement préjudiciable ainsi qu’aux autres candidats, surtout qu’il s’agit des actes administratifs préparatoires au communiqué à problème. Bien plus, le PAD relève, qu’en ce qui concerne la demande en annulation du communiqué, que les griefs étant dirigés contre toute la procédure d’adjudication, cette demande n’aurait d’intérêt autant que l’ensemble des actes administratifs à caractère règlementaire sera également mis en cause, notamment la résolution du Conseil d’Administration N°0567/17/CA/PAD du 21 Décembre 2017 portant régime de concession des activités portuaires, le Décret N°2004/275 du 24 septembre 2004, portant code des marchés publics modifié, le dossier d’appel d’offres du 12 janvier 2018, ainsi que l’avis d’appel public à manifestation d’intérêt ; qu’ayant soumissionné à l’appel d’offre sans réserves sur la procédure usitée de même que sur les critères d’évaluation, les représentants sont désormais irrecevables à contester la régularité des actes susvisés ; et, qu’enfin, les affirmations tendant à la supériorité de leurs candidatures ne sont justifiées d’aucun niveau de performance dont elles se prévaudraient, outre que l’assiette de leur capacité technique et financière est le résultat des activités d’un groupement de (03) trois entreprises que sont ApmTerminals, Maersk et le groupe Bollore.

En se retournant vers les conclusions du ministère public, on obtient une double orientation : le parquet général retient, d’une part, que le moyen pris de la subjectivité des critères de sélection, bien qu’avéré, n’est pas topique dans la mesure où il se rapporte davantage à l’appel d’offre qui n’a pas fait l’objet de 14 recours. Ainsi en vient-il toutefois à conclure, d’autre part, à l’annulation du communiqué querellé pour défaut de motivation, erreur manifeste d’appréciation et détournement de pouvoir. La clôture du débat conduit ainsi le Tribunal à relever, dans l’intérêt d’une meilleure compréhension des faits de l’espèce, que son office consiste à vérifier la régularité du processus de sélection du nouveau concessionnaire, et non point à l’appréciation des conditions d’exécution du précédent contrat de concession conformément au cahier de charges du contrat en cours d’échéance. Qu’au demeurant, à l’effet d’assurer ce contrôle opportun avec efficacité, il sied de s’assurer que la pré-qualification des cinq candidats, au détriment des Sociétés requérantes, l’a été de manière équitable à l’égard de tous les commissaires par application objective des critères techniques et financiers, puis de contrôler si les notes attribuées reflètent leurs capacités respectives conformément à l’article 2 du décret 2018/366 du 20 Juin 2018 portant code des marchés publics qui consacre les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats, de transparence des procédures, d’efficience et d’intégrité. En l’espèce, le Tribunal poursuit en relevant que l’effectivité et l’efficacité de son contrôle sont tributaires de l’examen des documents administratifs de la commission ad hoc qui retrace les feuilles de présence pour chaque séance de travail, les procès-verbaux de séance d’ouverture des plis et l’évaluation des candidats, les rapports d’analyse de chaque soumissionnaire ainsi que les notes écrites des membres non signataires des rapports d’analyse éclairant sur les réserves observées dans l’application du décret sus-évoqué, permettant ainsi de vérifier, in fine, si le classement des candidats est réel et objectif.

Le Tribunal continue son tri du choc des arguments en relevant que le PAD s’est manifestement opposé à la communication desdits documents malgré la mise en demeure du rapporteur faite au moyen de la correspondance notifiée le 02 Décembre 2019, acte de procédure administrative contentieuse resté lettre morte jusqu’à la clôture de l’instruction à l’audience. Et en réaction à cette opposition du PAD, fondée sur la convocation de la constitution et autres obstacles de droit sus-évoqués, le Tribunal rappelle que le secret des correspondances est inopposable au pouvoir judiciaire dont font partie les juridictions administratives, la constitution en apportant le tempérament au principe en affirmant que le secret « ne peut y être porté atteinte qu’en vertu des décisions émanant de l’autorité judiciaire ». Le Tribunal rappelle utilement qu’en application des dispositions de l’article 71 du code des marchés publics sus-évoqués, seuls les documents administratifs relatifs à la défense nationale, à la sécurité et aux intérêts stratégiques de l’Etat, en ce qu’ils contiennent des clauses sécrètes, échappent au contrôle administratif de la commande publique, la procédure d’attribution de la concession ne pouvant dès lors se soustraire, en raison de sa nature dérogatoire, au contrôle juridictionnel. Le Tribunal, tirant les conséquences juridiques de ce refus, conclut à un aveu de subjectivité du PAD lié à l’opacité symptomatique de l’excès de pouvoir. Il y a d’autant plus subjectivité dans l’opération normatrice du PAD lorsque le Tribunal constate que les diverses pièces produites par les requérantes, du reste jamais contrariées par le PAD, attestent de ce qu’elles ont des capacités techniques et financières supérieures à celles de certains candidats curieusement sélectionnés. Le moyen tiré du défaut de motivation est encore saisi par le Tribunal qui relève que les candidats malheureux sont dans l’ignorance des raisons de fait et de droit qui ont justifié leur disqualification. Et c’est par conséquent cette somme d’agissements que le Tribunal va qualifier de détournement de pouvoir en ce que les raisons réelles de la disqualification des requérantes doivent être 16 cherchées ailleurs que dans l’objectif de l’intérêt public.

Surabondamment, et ainsi qu’il ressort des débats à l’audience des plaidoiries, l’offre financière ne constitue pas un critère de sélection en phase de pré-qualification et ne saurait conséquemment être un motif de disqualification des requérantes, encore qu’il n’a pas été établi, preuve à l’appui, qu’elles ont occupé le septième (7e ) rang à l’issue de la pré-qualification. En conséquence de tout ce qui précède, le Tribunal a déclaré recevable le recours introduit par APM TERMINALS B.V et BOLLORE S.A recevable et, l’y disant fondé, a fixé en jurisprudence que « le communiqué N°00062219/06/PAD du 08 Janvier 2019 portant publication des résultats de l’appel public international à manifestation d’intérêt N°20418/001/APIMI/PAD du 12 Janvier 2018 pour la concession des activités de rénovation, de modernisation, d’exploitation et de maintenance du Terminal à conteneurs du port de Douala-Bonabéri est annulé avec toutes les conséquences de droit, notamment l’annulation subséquente de tous les actes et contrats établis postérieurement à ce communiqué et à la reprise de la procédure de pré-qualification initiale ». Cette annulation entraîne l’invalidation de l’attribution de la concession à la Société Terminal Investment LTD (TIL), laquelle est, ipso facto, en droit de se faire rendre justice au contentieux administratif, la reprise de la pré-qualification, la résurrection de l’appel d’offre , le retour des soumissionnaires sur les start-in block et le droit pour le groupement à attaquer, en justice administrative, la décision de mise en régie contenue dans la résolution N°0685/CA /PAD du 06 Décembre 2019 portant création et organisation de la régie déléguée de gestion du Terminal à conteneurs du part de Douala-Bonabéri, étant donné que cette résolution fait obstruction à sa probabilité de remporter la compétition pour la concession. 17

En ce qui concerne, enfin, la demande de suspension de la mise en régie du Terminal de douala-Bonaberi, Il importe de dire et de réitérer que le contentieux administratif est un art processuel. Et lorsqu’on est en présence des causes identiques dans des litiges aux objets différents, les effets produits au plan juridictionnel, à l’occasion de l’examen du litige, seront identiques. Ce troisième pan du contentieux montre, une fois de plus, à quel point la clarté du raisonnement juridique du juge administratif ne surprend guère que les actes pris soient invalidés, aussi bien dans le contentieux de l’urgence que dans la procédure de fond. Point n’est donc besoin de rentrer dans les détails de cette séquence juridictionnelle, le double emploi étant ennuyeux et sans gloire. On retiendra néanmoins que, saisi d’une demande en suspension de l’opération juridique de la mise en régie du terminal à conteneurs de Douala-Bonaberi, le Président du Tribunal Administratif y a fait droit, empruntant ainsi les conclusions favorables du Procureur Général.

Cette décision qui a été relayée dans les réseaux sociaux se fonde, entre autres, sur l’existence d’un risque de préjudice irréparable ainsi que sur l’apparente illégalité de l’acte contesté. Sur ce dernier point, la décision de mise en régie s’écarte manifestement des conditions requises à cet effet par l’article 09 de la loi N° 98-21 du 24 décembre 1998 (modifiée par celle N°2001 /004 du 14 avril 2001 relative au secteur portuaire). Ainsi, pour procéder, à la régie directe, il faut que le transfert au secteur privé par contrat de concession soit devenu infructueux et que le comité consultatif 18 d’orientation ait été saisi pour émettre son avis, entre autres, sur les modalités de cette gestion. En l’espèce, le PAD a usé de ses prérogatives en marge de ce canevas balisé par la loi dans un élan d’irréprochable clarté. Le juge administratif aurait pu également évoquer l’illégalité apparente de la réquisition prise par le PAD qui n’a pas qualité pour le faire au regard de la loi, laquelle ne donne cette compétence qu’à certaines autorités. Elle précise que l’incompétence de l’auteur de la réquisition est un motif d’annulation. Peut-on dès lors être surpris que cette succession d’actes soit suivie d’une cadence effrénée de coups de butoir du rempart contre l’arbitraire administratif ? Que convient-il de formuler en définitive ? La présente note procède simplement d’une radioscopie du traitement juridictionnel des affaires de la concession du port à conteneurs de Douala-Bonaberi. Point n’est besoin d’y émettre un avis avisé de spécialiste du contentieux administratif, l’évidente évidence des solutions coordonnées, même par la Chambre Administrative de la Cour Suprême, commandant la simple posture du constat de réalité. Autrement dit, le boulevard contentieux dépouillé de tout bouchon dans la circulation juridique, du reste parfaitement illuminé par de puissants projecteurs, entraîne les pro ou les opposants des protagonistes à la conclusion d’un vain débat mettant en cause la qualité du travail juridictionnel, la probité de la personne même de la Présidente du Tribunal Administratif dans notre contexte rétrograde de société phallocratique, ou le ressentiment à l’égard des investisseurs et partenaires au développement du Cameroun qui, par-delà leur statut légitime de Sociétés étrangères, sont allocataires, qu’on l’admette ou non, des prérogatives dans l’Etat de droit tant proclamé au Cameroun.

La probabilité, pour le PAD, de renverser la vapeur, à son profit contentieux, relève d’une alchimie juridique dont aucun procédurier honnête n’a le secret, encore que plane sur sa tête, telle une épée de Damoclès, la contre-offensive de TIL au sujet de 19 la démultiplication des bavures dans la déconstruction téléguidée de la concession à peine née. En revanche, et au-delà de ce qui est, comme sus-décrit, le commentaire personnel que l’on émet dans la présente cause, et en toute liberté consubstantielle à la posture d’universitaire qu’on entend pleinement assumer, est que, par-delà le conflit politique plus ou moins latent qui alimenterait cette bataille juridique , il y a lieu de relever que sa gestion par le PAD est empreinte de précipitation et d’amateurisme dans sa direction juridique .

Le chaos qui mène cette institution droit au mur est aggravé par son intention de rallier le peuple à une querelle dont il ne connaît ni la matrice juridique, encore moins les enjeux financiers pour les protagonistes. Les dégâts causés à l’Etat voulu policé du Cameroun ainsi que l’image projetée aux investisseurs et partenaires internationaux émeuvent plus d’un lorsque la partie qui succombe au contentieux plombe délibérément la double obligation éthique et juridique d’exécuter la chose jugée, renforçant ainsi l’idée répandue d’un Cameroun à la désarticulation plurielle et aux bizarreries institutionnelles qui inclinent à faire ancrer, dans les esprits, que le système politique, relevant des manies des hommes à l’ivresse du pouvoir, éclipse l’ordonnancement normatif de l’Etat .

Professeur Jean-Calvin ABA’A OYONO*
*Enseignant à l’université de Yaoundé II. Directeur Général du Cabinet d’Expertise Juridique public affairs, spécialisé dans les contentieux administratif, fiscal et constitutionnel.

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