Les vraies raisons qui ont poussé Jean Ping à s’adresser récemment aux Gabonais
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Les vraies raisons qui ont poussé Jean Ping à s’adresser récemment aux Gabonais

Le 30 mars dernier dans la soirée, l’opposant gabonais a fait une déclaration publique. Son objectif n’était pas tant de réclamer la destitution d’Ali Bongo Ondimba que de réaffirmer son leadership sur une opposition où les velléités de candidature à l’élection présidentielle de 2023 se font de plus nombreuses et pressantes. Explication.

Comme toujours. Il y a le but affiché, celui qu’on donne à voir ; et le but réel, celui que l’on poursuit en réalité. Hier, Jean Ping a illustré ce hiatus, classique en politique.

Ce samedi 30 mars, il était environ 20 heures lorsque le leader de la Coalition pour la Nouvelle République, candidat unique de l’opposition lors de la présidentielle de 2016, a pris la parole. Un « discours à la Nation » d’une quinzaine de minutes dans lequel l’opposant a, sans surprise, dressé un tableau catastrophique de la situation au Gabon, décrit comme un véritable pandémonium, usant et abusant de l’anaphore « que pensez d’un pouvoir qui… ».

Naturellement, l’opposant est revenu sur les ennuis de santé rencontrés par le président Ali Bongo Ondimba ces derniers mois, non sans verser dans le complotisme. « Les facultés de celui qui nous a été présenté comme étant Ali Bongo semblent considérablement affectées », a-t-il déclaré. Des propos aussitôt relégués au second plan par d’autres, plus importants dans son esprit. « L’état de santé de Monsieur Ali Bongo ne saurait, d’aucune manière, occulter le problème principal » […] Le fait que « c’est à moi, Jean Ping, que le peuple souverain a conféré la légitimité de la charge de Président de la République », a tempêté l’opposant. De fait, à aucun moment, Jean Ping n’exige que soit constatée la vacance du pouvoir présidentiel.

« C’est un peu comme en patinage artistique », commente un politologue. « Il y a les figures imposées, auxquelles on ne peut échapper, et les figures libres, qui sont celles où l’on voit les vraies intentions », sourit l’universitaire. Ce samedi, Jean Ping n’a pas échappé à la règle. Il a donc sacrifié aux figures imposées (l’état catastrophique, selon lui du Gabon, l’état de santé du président), pour reprendre la métaphore, avant de passer à l’essentiel pour lui : les figures libres.

La sortie publique du leader de la CNR hier, la troisième après celles du mois de novembre et de décembre derniers, n’avait pas vocation à appeler à renverser le pouvoir ou même à exiger la déclaration de la vacance du pouvoir présidentiel. Non, en politicien madré, Jean Ping ne mène pas les combats qu’il sait perdu d’avance. Ses précédents appels au soulèvement populaire, celui de décembre en particulier, au moment où Ali Bongo était encore affaibli, n’a eu aucun effet. Les Gabonais ne se sont pas mobilisés. Les institutions ont tenu et le pouvoir avec lui. Quelles chances auraient donc M. Ping de réussir aujourd’hui là où il a échoué hier ? Aucune. A fortiori quand on sait qu’Ali Bongo est depuis une semaine de retour définitivement à Libreville et que son agenda de travail est pratiquement aussi chargé qu’avant son hospitalisation à Ryad en Arabie Saoudite le 24 octobre dernier.

Parler de la situation au Gabon ou de l’état de santé du président était donc, dans l’esprit de Jean Ping, une figure imposée ou, si l’on préfère, un prétexte. En réalité, si l’opposant a décidé de s’adresser hier aux Gabonais, c’est quelque peu contraint et forcé par les événements.

Depuis quelques semaines, au sein de l’opposition, nombreux sont ceux à vouloir tourner la page des années Ping. Il y a tout d’abord les jeunes pouces, réunis au sein du collectif Appel à agir, qui tente, à grands renforts médiatiques, de se faire une place au soleil. Parmi eux, quelques Rastignac à l’ambition non dissimulée, à l’instar de Jean Gaspard Ntoutoume Ayi ou de Nicolas Nguema, réputés pour avoir une très haute idée d’eux-mêmes.

Mais à côté de ces jeunes loups, encore un peu tendre et dont l’existence tient essentiellement – pour ne pas dire exclusivement – à leur relais dans les médias et sur les réseaux sociaux qu’à leur représentativité politique – minime en réalité – , on trouve les grandes figures de l’opposition. Ce sont elles que craint Jean Ping par dessus tout. Et il y a de quoi car désormais, celles-ci ne cachent plus leurs ambitions présidentielles. Avec le retour définitif du président Ali Bongo au pays, celles-ci ont tôt fait de comprendre qu’il ne servait à rien de crier avec les (jeunes) loups afin de réclamer une vacance, de plus en plus chimérique, du pouvoir présidentiel.

Non, leur véritable objectif, c’est 2023 et la prochaine élection présidentielle. Désormais, dans l’opposition, on s’y prépare vraiment. De ce point du vue, Guy Nzouba Ndama, à la tête du premier parti d’opposition à l’Assemblée nationale, Les Démocrates, a pris une longueur d’avance en lançant ce mois-ci sa Coalition démocratique de l’opposition, qui se veut un concurrent direct de la Coalition pour la Nouvelle République de Jean Ping. Alexandre Barro Chambrier, le patron du Rassemblement Héritage et Modernité (RHM) tente désormais de rattraper son retard. Il a ainsi annoncé la tenue la semaine prochaine d’un Congrès de sa formation qui devrait lui permettre de clarifier sa stratégie politique. Quant à Jean Egheye Ndong, l’un des plus fidèles lieutenants jusqu’alors de Ping, la puissante communauté Fang, qui représente 40 % de la population du pays, le pousse désormais à se préparer à la candidature à la magistrature suprême, convaincue que son heure est venue.

En prenant hier la parole, Jean Ping a donc voulu reprendre la main, réaffirmer son leadership sur l’opposition, ne pas se laisser distancer dans la perspective de l’élection présidentielle à laquelle, quoi qu’il en dise, il n’a pas renoncé. C’est pourquoi tout au long de son discours, Jean Ping a insisté sur le résultat du scrutin de 2016. Une manière de rappeler à son camp qui est le véritable leader et de prier les autres opposants de réprimer leurs ambitions.

Mais un autre élément a incité Jean Ping à s’adresser hier aux Gabonais, alors que celui-ci avait prévu de le faire un peu plus tard comme l’ont confirmé plusieurs membres de son entourage. Il ne s’agit pas du retour au pays d’Ali Bongo Ondimba mais de la publication cette semaine du rapport de l’ONG Environmental Investigation Agency dans lequel l’ancien commissaire de l’UA est gravement mis en cause pour des faits de corruption en relation avec l’exploitation illégale de la forêt tropicale (lire notre article à ce sujet). En faisant hier son discours à la Nation, Jean Ping a donc utilisé la stratégie classique du contre-feu : créer un événement afin d’entendre parler de lui pour son discours et non pour les accusations portées contre lui par l’ONG de défense de l’environnement. Madré, l’opposant s’est parfaitement que dans la frénésie médiatique d’aujourd’hui, une actualité chasse l’autre.

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