David Abouem a Tchoyi : «La décentralisation mène plus rapidement à l’émergence»
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Dans son message à la Nation le 31 décembre dernier, le chef de l’Etat est encore revenu sur la décentralisation comme solution aux différentes revendications des populations. Quelle appréciation ?
J’ai salué la déclaration du chef de l’Etat selon laquelle « …des mesures seront prises dans les meilleurs délais possibles pour accorder aux collectivités territoriales (CTD) de notre pays les compétences qui leur permettront de prendre une plus large part dans la gestion des affaires locales ». Il s’agit à la fois d’une affirmation, d’une directive à l’intention des acteurs institutionnels, et d’une orientation indiquant le sens de l’accélération. Remarquez qu’il ne s’agit pas d’un transfert de compétences. Il s’agit d’accorder aux communes et aux régions des compétences supplémentaires, dans l’esprit du Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) qui prévoyait déjà un élargissement du principe de subsidiarité à partir de 2018/2019.

A vos avis, quels sont les leviers majeurs à actionner pour une optimisation de ce processus ?
L’on pourrait opportunément agir sur cinq leviers prioritaires mais non exclusifs. De mon point de vue, le premier consisterait en une évaluation. Evaluer la mise en œuvre du nouveau paradigme de gestion publique introduit par le passage de l’Etat unitaire centralisé à un Etat unitaire décentralisé. Ce paradigme voudrait que la conduite du développement au niveau local soit prioritairement l’affaire des CTD, l’Etat central intervenant notamment pour orienter, réguler, conseiller, contrôler, appuyer, garantir les équilibres et le respect de la justice sociale au niveau national. C’est pourquoi la loi d’orientation de la décentralisation (article 2) dispose que celle-ci constitue l’axe fondamental de la promotion du développement, de la démocratie et de la bonne gouvernance au niveau local. Il conviendrait aussi d’évaluer le déroulement de ce processus depuis l’entrée en vigueur des lois de 2004 et le début du transfert des compétences en 2010.

Cette double évaluation devrait être faite par tous les acteurs : communes, administrations centrales, autorités administratives, organismes d’accompagnement de la décentralisation, Organisations de la Société civile pertinentes, prestataires de service, partenaires au développement, etc. Les résultats et les leçons apprises permettront d’enrichir le projet de Stratégie nationale de la Décentralisation qui est déjà mature. Le second levier serait le renforcement des capacités des élus locaux, afin que les magistrats municipaux se comportent et agissent, non seulement comme des hommes/femmes politiques, mais surtout comme des managers et des chefs d’entreprise, constamment soucieux des résultats.

Le troisième levier porterait sur l’amélioration du mécanisme de financement, tant du point de vue des montants concernés (fiscalité, dotations, coopération, emprunts, autres) que des modalités de financement et de reddition des comptes. Le quatrième levier consisterait en la mise à la disposition des CTD des ressources humaines de qualité, pour respecter les organigrammes types et les référentiels des métiers communaux: il s’agit des ressources humaines existant déjà dans les administrations publiques selon les modalités prévues par les lois de 2004 mais non encore opérationnalisées, ainsi que de celles que les CTD devraient recruter et dont elles mutualiseraient l’utilisation si opportun. camer.be. Le cinquième levier porterait sur l’accompagnement et l’appui conseil de l’Etat, dont les modalités n’ont pas encore été spécifiées depuis 2004, année de l’abrogation du décret fixant les modalités d’exercice de la tutelle sur les communes et les organismes communaux. Ce levier concerne non seulement l’exercice de la tutelle, mais aussi le contrôle administratif introduit dans la Constitution en 1996, ainsi que l’adoption d’une Charte de la Déconcentration.

Quels liens établir entre la décentralisation et de défi de l’émergence ?
Le développement authentique part des individus et des communautés à la base, lorsqu’ils prennent conscience de leurs besoins, de leurs problèmes, et de la nécessité d’y apporter des réponses à partir de leurs propres moyens. L’expérience de nombreux Etats, à l’exemple du Kenya au cours de cette décennie 2010, a démontré qu’avec les mêmes moyens, des CTD bien financées, bien gérées et bien appuyées obtiennent des résultats nettement meilleurs en matière de développement local que les administrations centrales. La décentralisation comporte en effet de nombreux avantages compétitifs par rapport à la gestion centralisée.

La proximité : elle permet un meilleur diagnostic des problèmes, des solutions et des moyens, réduit le temps de décision comme celui de l’action, facilite le suivi, le contrôle, l’évaluation et une reddition des comptes transparente. Le développement du sens des responsabilités chez les citoyens, qui ne pourront plus accuser un Etat lointain, distant, impersonnel et insaisissable. Le développement, au niveau local, des capacités susceptibles d’être utilisées pour d’autres projets dans les domaines techniques, et à des échelons supérieurs dans les domaines politiques et institutionnels (émergence des talents et des nouveaux leaders). Le sentiment d’appropriation, qui motive les populations et les pousse à assurer un entretien et une maintenance appropriés de leurs ouvrages. La possibilité de rechercher des financements complémentaires avec plus d’intérêt et de motivation que les lointains et anonymes fonctionnaires des administrations centrales.

L’émulation par rapport aux CTD voisines, pour ne pas risquer l’opprobre de paraître attardé par rapport à elles. La réduction de l’incidence de la corruption et les avantages qui en découlent, notamment en ce qui concerne la qualité et même l’effectivité des réalisations. En effet, une planification concertée et un suivi participatif rendront difficile la naissance d’éléphants blancs …

Ainsi, en accélérant et en confortant le développement au niveau local, la décentralisation mène plus rapidement à l’émergence qu’une gestion centralisée. La retarder reviendrait donc à différer l’émergence. C’est ce que le chef de l’Etat a compris .

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