BUREAUCRATIE : Privé de sa pension, un colonel fond en larmes devant la barre
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Relevé l’an dernier du front où il menait des opérations contre la secte islamiste Boko Haram, l’ancien chef de troupes accuse le ministère de la Défense de le laisser moisir dans l’indigence en traitant paresseusement la liquidation de ses droits. Sa procédure judiciaire vise aussi à contrer une tentative de minorer ses droits à pension. L’armée esquive le débat.

Un colonel en sanglots devant la barre du tribunal. Fait inédit et spectacle inhabituel vécus au Tribunal administratif de Yaoundé vendredi, 26 octobre 2018. Dans la peau d’acteur, un officier supérieur de l’armée à la retraite, un homme d’environ 60 ans, vêtu pour l’occasion d’un costume sombre qui ne rappelle rien de ses attributs et de son récent passé. Il en a ras-le-bol de la bureaucratie et des tracasseries administratives qui l’empêchent de jouir d’une retraite paisible. Le Colonel Enyouma Prothé ne mâche pas ses mots. Il en veut au ministère de la Défense (Mindef ), qu’il accuse d’alimenter sa misère et aussi de vouloir fausser la base de calcul de ses droits à pension. Il a saisi le juge de l’urgence (référé) qui a entamé le jugement de l’affaire en l’absence du Mindef. Sa décision est attendue le 9 novembre 2018.

En arrivant au tribunal vendredi dernier, le militaire avait préparé son «bord camer.be», un mémo dont il n’a pas achevé sereinement la lecture devant la barre. En ressassant les déboires et l’inconfort devenus son lot quotidien, il a fondu en larmes. Dans sa démarche introduite le 27 octobre 2017, M. Enyouma Prothé désire que le juge «ordonne» au Mindef de prendre en compte une période supplémentaire de onze mois d’activité passée à Mora, dans la région de l’Extrême-Nord, dans les calculs relatifs à la liquidation de ses droits (la détermination du montant de sa pension retraite). En fait, pendant cette période de onze mois, le colonel avait déjà atteint la limite d’âge d’exercice.

«Projet de décret»

Le colonel retraité explique, pour bien se faire comprendre, qu’il a été nommé au sein de la Force multinationale mixte de lutte contre la secte islamiste Boko Haram, le 7 avril 2016, en vertu des dispositions des articles 44, 45 et 56 du décret portant statut particulier du corps des officiers d’active et des forces de défense du 25 juillet 2001. A l’époque des faits, il était à deux mois de son départ à la retraite, prévu le 15 juin 2016. Il sera maintenu au front jusqu’au 17 mai 2017, soit 13 mois durant dont 11 au-delà de ce qu’il considère comme la période normale d’activité. Le plaignant dit avoir saisi, par la suite, M. Beti Assomo Joseph, ministre de la Défense, d’un recours hiérarchique à travers lequel il réclame la prise en compte de ces 11 mois supplémentaires de service dans le calcul de ses droits. Il affirme avoir essuyé le silence de l’autorité.

Rendu au Mindef pour s’enquérir de l’évolution de son dossier de liquidation de ses droits, le colonel dit avoir découvert qu’un «projet de décret» y relatif avait été préparé et n’attendait plus que d’être annexé au dossier pour être soumis à la signature du président de la République. D’après lui, ce projet de décret ne tient pas compte de la période de 11 mois de service querellée. Une situation qui fâche le militaire. L'information claire et nette. Le colonel Enyouma Prothé s’émeut de ce que plus de 17 mois après son retrait d’activité, ses droits n’ont toujours pas été liquidés, ni tous pris en compte. Il se plaint de n’avoir aucun revenu et de croupir dans une «misère insupportable». Le père de famille se dit tout aussi incapable de faire face aux frais de scolarité de sa progéniture en bas âge du fait de cette même précarité avant de conclure qu’il en est réduit à vivre de mendicité.

Colonel sanctionné ?

Pour les représentants du ministère public, le juge de référé est incompétent pour connaître d’une telle affaire et l’action du plaignant est prématurée. Les magistrats du parquet expliquent que le colonel s’attaque à un acte (décret) n’ayant pas encore revêtu le sceau de l’autorité compétente, à savoir le président de la République. En réplique, le militaire n’en démord pas. Pour lui, le projet de décret est quasiment une décision parce qu’il ne va à la présidence de la République que pour obtenir une signature. «Comment pouvez-vous être sûr que personne d’autre ne va examiner cet acte avant sa signature et déceler des irrégularités s’il y en a ? Vous ne pouvez pas en être certain», fait observer le juge Noah Joseph Vincent de Paul.

Peu convaincu, Prothé Enyouma, qui avait déjà séché ses larmes, a persisté dans sa logique. Pour lui, la messe est dite et seul le juge a le pouvoir d’inverser la donne, notamment en amenant le Mindef à changer les termes inscrits dans le projet de décret à soumettre au chef de l’Etat. Rendez-vous le 9 novembre 2018. Rappelons que le colonel Prothé Enyouma avait quitté ses fonctions au sein de l’armée sur la base d’une sanction prise par le haut commandement. L’officier supérieur et un autre collègue colonel avaient fait l’objet de dénonciations dans les réseaux sociaux. Ils étaient suspectés d’abuser des jeunes recrues. Selon les dénonciateurs, les deux colonels recevaient les émoluments de leurs jeunes collaborateurs dans leurs comptes privés et en profitaient pour se payer sur la bête au moment de les rémunérer. Sont-ce ces dénonciations qui écourtèrent la carrière des deux officiers supérieurs ? Ce qui est sûr, c’est que le colonel Enyouma avait été remercié peu de temps après ce scandale.

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