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© Correspondance : Jean Robert WAFO
- 29 Oct 2017 16:00:19
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Cameroun: Jean Robert Wafo « Le fonctionnaire est l'acteur majeur de la décentralisation» :: CAMEROON
«La différence fondamentale entre la décentralisation et le fédéralisme se situe principalement à deux niveaux à savoir le régime juridique (nature du contrôle des actes) et les mécanismes de dévolution des pouvoirs politique et économique».
La décentralisation et la fédération sont de façon globale des modes d’organisation constitutionnelle assis sur une gouvernance axée sur le transfert des compétences de l’Etat du centre vers la périphérie. Une place centrale est peu ou prou accordée aux pouvoirs locaux, suivant qu’on est en décentralisation ou en fédération.
La décentralisation est un système politique d’organisation, d’administration et de gestion où l’Etat central se dessaisit de certaines compétences et ressources au profit des collectivités territoriales décentralisées. Les collectivités territoriales sont les communes et les régions qui disposent des conseils élus. L’Etat central peut en créer une autre et nommer à sa tête son représentant. C’est le cas des communautés urbaines qui disposent des budgets largement colossaux comparés aux budgets réunis des communes qui lui sont rattachées. Ces collectivités sont des personnes morales de droit public qui jouissent d’une autonomie administrative et financière pour la gestion des intérêts régionaux ou locaux. Elles règlent, par délibération votée par des conseillers municipaux élus, les affaires de leur compétence à savoir le développement économique (action économique, environnement et gestion des ressources naturelles, planification, aménagement du territoire, urbanisme et habitat), le développement sanitaire et social, le développement éducatif, sportif et culturel (éducation, alphabétisation et formation professionnelle, jeunesse, sports et loisirs, culture et promotion des langues nationales).
Le fédéralisme est par contre un système politique d’organisation, d’administration et de gestion où l’Etat est organisé en fédération et partage avec les Etats fédérés des compétences administratives, juridictionnelles et constitutionnelles. Il y a deux niveaux de décision à savoir l’Etat fédéral et les Etats fédérés. Les lois de l’Etat fédéral sont au-dessus de celles des Etats fédérés en termes de hiérarchie des normes juridique. Les Etats fédérés s’occupent de tous les domaines d’activité en dehors des domaines de souveraineté tels que la justice constitutionnelle, la monnaie, la diplomatie, la défense nationale, la sécurité extérieure, les normes nationales en matière de transport aérien, maritime, terrestre, environnementales qui incombent à l’Etat fédéral.
La différence fondamentale entre la décentralisation et le fédéralisme se situe principalement à deux niveaux à savoir le régime juridique (nature du contrôle des actes) et les mécanismes de dévolution des pouvoirs politique et économique.
La décentralisation obéit aux principes de progressivité, de subsidiarité et de concomitance. Au Cameroun, il n’y a pas d’échéancier précis. Le volume global des ressources à transférer n’est pas prédéfini ou préétabli. La prise d’initiatives en matière de développement des ressources nouvelles n’existe pratiquement pas. Contrairement à d’autres formes de décentralisation. L’autonomie inscrite dans les textes est diluée non par le fait que l’exercice des compétences transférées aux collectivités territoriales décentralisées se fait sous le contrôle de l’Etat et en même temps par l’Etat. L’Etat central confère à ces collectivités décentralisées quelques droits qu’il contrôle à travers ses représentants. La nature du contrôle est hybride en ce sens qu’il énumère les actes de l’exécutif des collectivités territoriales à soumettre aux représentants de l’Etat central et ceux à en informer seulement. La tutelle administrative est assurée par le ministère en charge des collectivités territoriales et la tutelle financière est assurée par le ministère des finances. Les représentants de ces deux tutelles sont des personnes nommées qui en cas de blocage d’une décision prise par l’exécutif communal, ont des comptes à rendre non pas aux populations mais plutôt à celui qui les a nommés.
En cas de violation par une collectivité territoriale des dispositions de la loi d’orientation qui fixe les règles générales applicables en matière décentralisation, le ministre en charge des collectivités territoriales peut prendre des mesures conservatoires telles que la suspension, la cessation des fonctions et la substitution de l’exécutif de la collectivité territoriale. Le fonctionnaire est l’acteur majeur de la décentralisation. Cette fonctionnarisation de la décentralisation est en réalité une centralisation masquée. Le transfert effectif des compétences de l’Etat central vers les collectivités territoriales fait le lit de la corruption et des détournements de deniers publics du fait qu’il dépend exclusivement des hauts fonctionnaires qui peuvent mal appliquer ou tout simplement refuser d’appliquer un texte qui fixe les modalités de répartition d’un impôt communal quelconque soumis à péréquation entre l’Etat et les collectivités territoriales ou entre deux collectivités territoriales distinctes. Les collectivités territoriales n’ont pratiquement aucun pouvoir de contrôle, de vérification encore moins de coercition sur les mécanismes de centralisation, de répartition et de reversement des impôts collectés dans les régies financières de l’Etat central. Le reversement aux collectivités territoriales des impôts locaux notamment ceux soumis à péréquation est fonction du niveau des rétro-commissions engrangées par les mafias. Les populations ne disposent d’aucune possibilité de sanction sur les représentants de l’Etat. Il est donc constant que dans cette forme de l’Etat, le véritable centre de décision se situe au-dessus de l’exécutif de la collectivité territoriale.
Les ressources transférées de l’Etat central vers les collectivités territoriales sont faibles et mal réparties puisque ne tenant pas en compte les intérêts de populations d’où elles sont tirées. Les impôts locaux collectés dans une collectivité territoriale sont soumis à péréquation dont fait partie l’Etat central qui est déjà en lui-même un mammouth, comparé à l’ensemble des collectivités territoriales du pays. Ce qui fait dire que l’Etat central contrôle la quasi-totalité des ressources du pays. En termes de prélèvements obligatoires sur l’ensemble du territoire au Cameroun, au niveau de la structure, l’Etat central –y compris les organismes qui lui sont rattachés- concentre 85,5% de l’ensemble du taux de prélèvement obligatoire. Contre 6,6% aux 14 communautés urbaines dirigées par des délégués du gouvernement nommés et 2,5% aux 360 communes d’arrondissement dirigés par les exécutifs élus.
En l’absence de volonté politique ferme au sommet de l’Etat, la décentralisation est un mode de gouvernement qui peut facilement se muer en centralisation quand elle est prise en otage par une caste de hauts fonctionnaires au niveau de l’Etat central. Ceux-ci ont la capacité de mettre en péril en même temps les intérêts des collectivités territoriales décentralisées. Pour revenir au Cameroun, l’on observe que des ministères refusent systématiquement d’appliquer convenablement les dispositions pertinentes de certains décrets en vigueur. C’est le cas du décret N° 2015/1375/PM du 08 juin 2015 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées par l’Etat aux communes qui dispose en son article 13 alinéa 1 que « la commune gère les marchés installés sur son territoire ». C’est également le cas du décret N° 2011/1731/PM du 18 juillet 2011 fixant les modalités de centralisation, de répartition et de reversement des impôts communaux soumis à péréquation qui énonce en son article 6 alinéa 5 que « sur la quote-part des centimes additionnels alloués aux communautés urbaines, 40% sont affectés aux communes d’arrondissement de rattachement». Dans les 14 grandes villes disposant des communautés urbaines et qui regorgent près de 40% de la population du Cameroun, ces deux décrets importants - qui auraient pu booster les recettes communales et partant l’épanouissement des communes d’arrondissement et le bien-être des populations- sont bafoués par les ministres concernés.
Dans la fédération par contre, la séparation des pouvoirs est clairement établie par la Constitution fédérale. Le régime juridique est le contrôle juridictionnel encore appelé contrôle à posteriori. Consacré par les textes, ce type de contrôle offre des pouvoirs étendus aux exécutifs communaux. Seule une décision de justice peut annuler un acte pris par un exécutif communal à condition que ledit acte soit pris hors du domaine de compétence transféré. Les droits des Etats fédérés sont inaliénables et les ressources majeures sont contrôlées par l’Etat fédéral qui les redistribue suivant une clé de répartition prédéfinie de façon consensuelle. Les petites ressources (impôts informel et des pme, droits sur les propriétés, ressources halieutiques, Centimes additionnels communaux, etc.) incombent exclusivement aux Etats fédérés qui, contrairement à ce qui se pratique dans la décentralisation, ne reverse aucune quotité à l’Etat fédéral. La prise d’initiatives dans le développement des ressources nouvelles relevant des compétences des Etats fédérés est permanente et non proscrite. Les recettes collectées annuellement sont mieux réparties entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés pour une meilleure utilisation dans l’intérêt direct des populations de chaque Etat fédéré d’où elles sont tirées. L’emploi est ouvert au niveau fédéral aux citoyens de tous les Etats fédérés et au niveau des Etats fédérés à tous les résidents et originaires. Le mode d’organisation de la fédération repose sur une gouvernance qui accorde une place centrale et essentielle aux élus locaux. Les détenteurs des pouvoirs locaux sont élus par les populations de l’Etat fédéré concerné et disposent de réels pouvoirs autonomes en matière financière et fonctionnelle dans tous les domaines ne relevant pas de la souveraineté nationale.
Suivant les disparités criardes des ressources qui peuvent exister d’un Etat fédéré à un autre, il existe des formes fédérales où l’Etat fédéral, en plus des domaines de souveraineté, s’occupe des chantiers lourds qui nécessite des moyens colossaux à savoir les barrages hydroélectriques, les autoroutes, les chemins de fer. Tout comme il existe des confédérations qui comportent des Etats fédérés indépendants, l’Etat confédéral ne s’occupant que de la coordination et de l’arbitrage entre les différents Etats fédérés.
La fédération n’est pas la sécession. Elle n’a jamais été proche de la sécession. Aucun pays au monde ayant adopté de manière consensuelle le fédéralisme comme forme de l’Etat n’a connu une dislocation encore moins une désintégration de l’Etat. Le Cameroun en est la parfaite illustration puisqu’elle n’a pas connu de sécession entre le 1er octobre 1961 et le 20 mai 1972.Les Etats-unis, la Russie, le Nigeria, l'Afrique du sud, la Belgique, la Suisse qui ont adopté le fédéralisme comme forme de l'Etat n'ont pas connu de sécession.
La fédération est la meilleure anti-dot du virus jacobin que comportent nos textes sur la décentralisation.
Jean Robert WAFO
Responsable du shadow cabinet du SDF
En charge de l’information et des médias
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