Fétichisme : Carrefours et rues de la poisse
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A quoi servent ces bouts de tissus rouges qu’on trouve un peu partout dans nos rues passantes ? Est-ce pour prendre la chance des autres que certains s’adonnent à cette curieuse pratique, ou alors, est-ce pour se débarrasser de sa propre malchance ? Et tous ces cauris, cadenas, etc ? Quoi qu’il en soit, la chose ne semble pas très catholique…  

Tout le monde les voit, mais personne ne dit rien. D’ailleurs, si vous vous y intéressez d’un peu trop près et qu’on vous voit essayer de filmer, c’est vous qui risqueriez de vous retrouver sur la toile, à cause des soupçons. Totémisme, superstition ou idolâtrie ? Notre attention avait déjà été attirée au niveau des hôpitaux. Il y avait toujours des pièces de 05 francs qui trainaillaient dans les carrefours, et plus particulièrement, ceux attenants à l’hôpital d’Edéa. Notre curiosité avait été piquée au vif. Comme tous les jeunes de l’époque, nous marchions dans la rue en furetant par terre, à la recherche d’un trésor qu’un infortuné aurait perdu, pour notre plus grand bonheur. Alors les pièces de monnaie étaient, on, s’en doute, vraiment les bienvenues ! On fouinait donc, en tapant du pied dans la poussière, vers l’hôpital public de la ville, situé tout juste en face du lycée de l’époque.

L’innocence de l’enfance

Nous sommes ici dans les années 70, à Edéa, dans la capitale de la Sanaga Maritime. Des pièces de 05 francs, nous en trouvions un peu trop souvent, peut-être… Jusqu’à ce que, nous entendant conter joyeusement nos exploits de chasse dans le safari à la fortune, une âme charitable, une maman ou une grand-mère, nous explique que le trésor dont nous semblions si fiers et friands était tout, sauf tombé du ciel. Que les pièces n’avaient pas échu là au hasard, mais que c’était l’oeuvre de ritualistes. A l’en croire, c’étaient pour obtenir une guérison, ou au contraire, l’empirement d’un cas de maladie, que certains individus avaient recours à cette pratique magique dans la nuit. Bref, c’était l’oeuvre de marabouts ou de guérisseurs, de sorciers ou de magiciens, ou de charlatans, ce qui, quoi qu’il en soit, pour nous, revenait du pareil au même. Nous nous sommes ténus à distance respective des pièces de monnaie depuis. Fussent-elles de 500F, nous essayons héroïquement de résister à la tentation…

Pourtant, les carrefours et les rues exercent toujours autant, sinon plus, la même fascination sur notre curiosité, spirituelle, et journalistique. Depuis tout ce temps, lorsque nous nous promenons dans la rue, nous continuons à voir et à regarder des pièces de monnaie. Mais de plus en plus, il s’agit aujourd’hui, de piécettes de 50F ou des pièces de 100F, au lieu des 10F ou 5F de l’époque. Jamais, nous ne trouvons de billets de banques…Mais ce qui a le plus frappé notre intérêt, ce sont autrement ces drôles de tissus rouges sur lesquels motos et voitures roulent à tombeau ouvert, sans peut-être vraiment y prêter une grande attention. Les piétons aussi les foulent du pied, sans rien dire. Personne n’en parle, et pourtant, tout le monde voit bien qu’aux abords des hôpitaux très fréquentés comme l’hôpital Laquintinie ou l’hôpital général de Douala, ces machins-là traînent un peu partout ! Leur rouge, généralement d’un écarlate très vif et absolument sanguin, est du genre qui vous suggère automatiquement des idées noires dans la tête, car cela n’est pas sans rappeler la passion, la violence, le mysticisme, la mort, l’inconnu, bref, toutes ces choses qui donnent la chair de poule et vous fichent toute une journée en l’air ! Car, ce n’est pas un secret, dans les hôpitaux, il y a des malades. Et les malades, au Cameroun, passent désormais par 03 étapes : d’abord, il y a le médecin. Quand çà ne va plus, on va chez le tradi-praticien. Ensuite, on se précipite chez le gourou, le pasteur, le prêtre ou l’imam… Parfois, c’est carrément l’inverse, selon qu’on soit riche ou pauvre, de la ville ou du village…  

Le culte du clair-obscur

Généralement, quand on choisit de terminer par l’hôpital  et parfois il est souvent déjà trop tard. Alors pour ne pas être en reste, les docteurs traditionnels, avec la complicité de la famille continuent d’affluer avec leurs remèdes jusque dans les lits d’hôpitaux, des décoctions qui ne vont pas forcément de pair avec les molécules chimiques prescrites par les médecins. Et ce, même en plein jour ! Car de nuit non plus, çà ne dort pas : que d’oeufs cassés, de pots d’herbes jetés au carrefour, de cadenas fermement attachés par un fil noir, de pièces d’argent ou de tissus rouges n’a-t-il pas vus ici, depuis le temps qu’il exerce dans cet hôpital régional situé au plein coeur de la ville de Douala où il travaille ! Dieudonné s’étonne, lorsque nous abordons le sujet avec lui ce lundi 30 mars 2015, où nous sommes de passage à l’hôpital Laquintinie. Pour ce vigile, il va de soi que nous sommes des Africains avant tout, et que si çà ne va pas à l’hôpital, il faut aller « se » chercher à l’indigène !

« Il ne faut rien négliger et rester très vigilant, car le monde que vous voyez ici-bas est très mauvais! », prévient son camarade. Et que pensez-vous de cette manière d’alterner la médecine moderne avec la sorcellerie ? Il tique : « Parfois, nous dit-il, c’est le médecin lui-même qui conseille çà quand il voit que rien ne va plus à son niveau ». Et il a raison. En effet, certains médecins peuvent dire à la famille de prier. Parfois, ils peuvent vous dire d’aller voir au village. Mais, tous ne le disent pas directement… Lorsque nous lui demandons ce qu’il pense des tissus rouges, des cauris et autres pratiques bizarres dont on retrouve les traces par les chemins, dans les carrefours, et tout spécialement aux abords de son hôpital, il hausse les épaules : « ce sont des pratiques courantes! Chacun se protège. Il y a beaucoup de diables-là dehors». A Dieu et à Diable donc. Signalons que dans cet hôpital, on dénombre une mosquée, ainsi qu’une chapelle catholique. Mais quand il s’agit de sa santé et de la peur de la mort, même les pratiques magiques semblent les bienvenues, du moment qu’il faille tout faire pour rester en vie : « quand on se noie, disait le vieux Kodock, on s’accroche même à un serpent ! ».

Les lieux de prédilection

Au lieu-dit Rond-point Makepè à Akwa-Nord, il y a régulièrement des tissus rouges, ainsi qu’au carrefour Snec, au carrefour mission catholique, au carrefour entrée hôpital général, au carrefour Rhône-Poulenc, et même à la sortie des écoles et lycées etc. Il y en a qui traînent là durant des semaines, jusqu’à ce que balayés par le flux et le reflux des voitures, ils se rendent progressivement plus invisibles ou discrets au regard. Un agent d’Hysacam interrogé nous a fait comprendre qu’il ne prête pas particulièrement attention aux types d’ordures qu’ils embarquent, mais il reconnaît avoir été assez intrigué par ces bouts de tissus rouges figés sur la route, sans plus de commentaires…Ils balayent les ordures, et ils continuent leur route, sans trop se poser de questions.

Mais il y en a encore plus à Bepanda, Bassa, et autres quartiers populeux. Un jour au carrefour Deido Plage, nous avons vu non pas un bout de tissu, mais un immense drap de lit grand comme une chambre, au plein milieu du carrefour ! Mais les voitures circulaient tranquillement, comme si la chose était très naturelle… C’est qu’en réalité, c’est chacun qui feint d’être le seul à imaginer ce que çà peut être, et du coup, çà devient plus ou moins commun. Mais les tissus rouges ou les cadenas et autres fétiches ne sont pas le seul lot des carrefours ou de rues passantes. Nous en avons aussi localisés, mais alors par centaines, dans une toute petite rue commerçante, du côté du quartier Makia. Ici, cohabitent chrétiens et musulmans. L’endroit, qui jouxte le carrefour Anatole et le marché central, se trouve pratiquement au marché Congo. Il y a une paroisse catholique anglophone et une petite mosquée. Dans le coup de midi, on peut dénombrer ici, jusqu’à cent voitures ! Cà grouille de personnes affairées.

Ici, tous les 02 mètres, nous vous jurons que vous tomberez sur un bout de tissu rouge ! Mais les regards des passants sont trop perçants, suspicieux, amusés, et nous ne sommes pas très à l’aise avec notre petit téléphone portable qui ne capte d’ailleurs pas grand-chose en plein soleil. Aveuglés et mal à l’aise, nous refermons donc l’option appareil photo, mais un commerçant nous explique qu’ici, la pratique est courante, de conjurer le mauvais sort afin de purifier la boutique et attirer le client. Par contre, certains sont régulièrement soupçonnés d’user de pratiques similaires pour enterrer les chances de la concurrence : qui croire ? En tout cas, certaines personnes croient dur comme fer, qu’il faut éviter de marcher sciemment sur ces fétiches, ou même, de les traverser. « Dans mon village, on pisse dessus ! », dit Prisca. « On pisse et on maudit avec les lèvres ». Pour faire un retour à l’envoyeur…  

Quand on voit rouge…

Mais tout le monde ne voit pas forcément les choses de la même manière. Monseigneur Richard Mbouta, prêtre catholique de renom, en sait quelque chose : « Quand j’étais petit, nous confie-t-il, on nous a appris à ne pas ramasser l’argent qu’on trouvait sur la route, et à contourner les choses bizarres que nous rencontrerions sur le chemin. Pour ma part, chaque fois que je ramassais une pièce, je courais acheter les bonbons et les biscuits. Quant aux autres choses, fétiches ou je ne sais pas quoi, on les foulait du pied, mais juste pour jouer avec au ballon. Regardez-moi : est ce que j’ai l’air de quelqu’un qui a un problème ?

A mon avis, ce sont des fantasmes ! Par contre, pour les autres rapports, c’est une question d’histoire, de culture, ou de croyances et de traditions. Il y a des gens qui viennent jeter des trucs au carrefour, mais pas forcément comme vous dites, pour prendre les chances des gens ou leur jeter un mauvais sort. Je pense au contraire que les gens qui viennent sont désespérés et qu’ils veulent se laver de la poisse, et conjurer le mauvais sort. C’est pourquoi à mon avis, ils viennent verser de l’eau avec des herbes, des tissus rouges et autres au carrefour, sur les routes, devant les hôpitaux etc. Ces gens-là cherchent la libération, d’une certaine manière.

Dans mon village aussi, il y a ces tissus rouges, même sur les sentiers. Il faut seulement passer son chemin. Je crois que s’il y avait un véritable danger, l’église aurait déjà communiqué là-dessus ! ». Mais l’avis du prélat n’est pas forcément l’avis de plus en plus de femmes et même d’hommes, qui préfèrent, pour leur part, croiser les doigts. Il y en a beaucoup en effet, que ces pratiques, selon leurs dires, renvoient de plus en plus à toutes les horreurs visionnées dans des chaînes télévisées comme « Africa Magic ». Ici, on montre sans tabous et sous toutes les formes pratiques de sorcellerie, de magie, meurtres rituels ou par procuration, avec des implications ou des conséquences très violentes et désastreuses sur l’individu, et qui freinent l’épanouissement des habitants. Et vous, comment réagiriez-vous si on agitait un chiffon rouge devant vos yeux pendant votre sommeil, ou si vous découvriez un devant votre porte, dès votre réveil un tissu rouge innocemment étalé de tout son long? Oui, quelle poisse!

© Le Jour : Pauline Poinsier-Manyinga

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