Cameroun,Le tweet de Paul Biya sur la marche de Paris : l’analyse du CRESPOL
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Cameroun,Le tweet de Paul Biya sur la marche de Paris : l’analyse du CRESPOL :: CAMEROON

« Mes collègues Africains rendent des hommages aux morts français, mais les morts de chez nous, ils s’en foutent. Vous faites honte à l’Afrique », dixit Paul Biya. Alors que, comme le dit la célèbre chanson, les présidents africains semblaient tous être nés après la honte, Paul Biya, président camerounais depuis plus de trente ans a, dans un tweet devenu célèbre, critiqué la présence de présidents africains à la marche de Paris subséquente à l’attentat contre Charlie Hebdo. Il a argué que ses collègues africains présents à Paris s’en foutent des morts africains du terrorisme et font honte à l’Afrique en participant à un hommage aux morts français. Si combattre Boko Haram est une action patriotique que partage le CRESPOL et qu’il contribue en ce moment à mettre en synergie dans la diaspora camerounaise, continuer le travail critique du Renouveau National est une activité aucunement incompatible avec la défense de notre pays contre la secte terroriste. Combattre Boko Haram et relever les travers du régime en place au Cameroun sont par nature deux activités citoyennes complémentaires au sens où elles se renforcent et entrent réciproquement en cohérence dans le combat pour la démocratie et l’Etat de droit au Cameroun : combattre Boko Haram, c’est combattre la terreur, l’autre nom du totalitarisme dont le Renouveau National est une forme hybride parce que se déployant concrètement par le mélange d’un ensemble de référents démocratiques (vote, multipartisme, libéralisme économique) et d’un arsenal arbitraire et répressif en contradiction avec les principes démocratiques.

C’est dans cette logique que le CRESPOL, tout en continuant son travail dans la lutte de la diaspora camerounaise contre Boko Haram, pose son regard critique sur le récent tweet du chef de l’Etat camerounais. Que veut cacher ce tweet et que veut-il montrer ou faire croire aux Camerounais, à l’Afrique et au monde ? Quelles contradictions peut-on mettre en lumière entre ce tweet, la trajectoire et la pratique politique du président camerounais depuis toujours ? Peut-on combattre Boko Haram et être efficace dans sa stratégie d’appel au soutien international en dénigrant ceux des présidents africains qui disent « je suis Charlie » ?

* Que veut cacher ce tweet et que veut-il montrer ou faire croire aux Camerounais, à l’Afrique et au monde ?

Les hommes politiques ne parlent jamais gratuitement. Ils parlent très souvent pour gagner les faveurs du public et des peuples dans une conjoncture précise. Ce constat vrai pour de nombreux politiciens l’est encore plus pour ceux qui, comme Paul Biya, ont la parole aussi rare qu’un bien économique. Une parole rare est fortement demandée de façon à construire dans l’opinion une corrélation positive entre la qualité de son contenu et la valeur politico-économique induite par sa rareté. Si une lecture distraite du tweet présidentiel peut flatter et séduire de nombreux Camerounais et Africains adeptes du souverainisme, du nationalisme et du panafricanisme, la corrélation positive sus

évoquée entre la rareté de la parole de Biya et la qualité de son contenu ne résiste pas longtemps au regard critique sur sa cohérence.

« Vous faites honte à l’Afrique » lance Paul Biya sous forme de diatribe à ses collègues dans les rangs de la marche de Paris. Cette phrase lapidaire et accusatrice signale aussi, de façon antithétique, qu’il y a des présidents africains qui ne font pas honte à l’Afrique, dont Paul Biya lui-même. Le président camerounais se présente ici comme membre d’un club, que lui seul connait, des présidents africains qui font honneur à l’Afrique, des présidents africains qui s’occupent des morts africains du terrorisme et ne s’en fichent pas. L’Afrique des présidents se divise ainsi en deux axes : l’axe des présidents qui font l’honneur de l’Afrique et l’axe des présidents qui font honte à l’Afrique. L’accusateur appartenant inévitablement au premier axe, Paul Biya se construit ainsi un nouveau costume politique par son tweet, celui de l’Afrique de l’honneur et de la responsabilité face aux morts africains versus celui de l’Afrique de la honte et du déshonneur qu’il condamne. C’est ce que ce tweet veut montrer et faire croire aux Camerounais, aux Africains et au monde. Mais que veut-il par contre cacher concernant le président camerounais ?

Principalement que la honte de l’Afrique dont il parle est factuellement plus incarnée par lui que par certains de ses jeunes collègues comme les Présidents gabonais et sénégalais présents à Paris et fraîchement au pouvoir avec par ailleurs sa bénédiction. Concernant Paul Biya, et sans prétendre à l’exhaustivité, il est important de signaler qu’on ne peut faire honneur à l’Afrique en s’étant présenté il y a quelques années comme l’un des meilleurs élèves de François Mitterrand, qu’on ne peut faire honneur à l’Afrique en se maintenant au pouvoir pendant plus de trente ans grâce à des constitutions taillées sur mesure, qu’on ne peut faire honneur à l’Afrique en se soignant non dans les hôpitaux de son pays mais en Occident, qu’on ne peut faire honneur à l’Afrique en envoyant ses enfants à l’école en Suisse et non au Cameroun, qu’on ne peut faire honneur à l’Afrique en ayant des conseillers à la communication français, qu’on ne peut faire honneur à l’Afrique en séjournant plus à l’étranger que dans son pays en une année alors qu’on a en charge sa direction, qu’on ne peut faire honneur aux morts africains lorsque son pays enterre les soldats tombés au front contre Boko Haram alors que nous sommes dans un palace étranger, qu’on ne peut faire honneur à l’Afrique lorsque sa garde rapprochée est assurée par des étrangers et qu’on ne fait pas honneur à l’Afrique lorsque la garde présidentielle est mieux équipées que les unités de l’armée nationale qui protègent le pays etc.

Ce sont des réalités qui font plutôt la honte à l’Afrique. Elles montrent en outre qu’il ne sert à rien d’insinuer qu’on respecte les morts africains en général et camerounais en particulier alors qu’on ne respecte pas déjà les Camerounais encore en vie en ne construisant pas au Cameroun des écoles, des hôpitaux, des routes et des hôtels équivalents à ceux qu’on fréquente assidument en Occident. Dire en filigrane via son tweet je suis du côté de l’honneur de l’Afrique équivaut à dire que donner l’ordre à l’armée camerounaise de tirer sur les jeunes en mars 2008 fait honneur à l’Afrique. C’est l’hôpital qui se moque de la charité car la honte de l’Afrique c’est moins d’aller participer à

une marche funèbre à Paris que d’être acteur du constat que des Africains comme ces Camerounais de mars 2008 sont encore tués par d’autres Africains encapsulés dans une ivresse du pouvoir de nature névrotique et psychanalytique. La terreur de Boko Haram est ainsi la forme paroxystique de la terreur des dictatures africaines. C’est pourquoi tout militant pro- démocratie en Afrique est obligé de combattre les groupes terroristes afin de mieux combattre les dictatures au pouvoir.

* Quelles autres contradictions peut-on mettre en lumière entre ce tweet, la trajectoire et la pratique politique du président camerounais depuis toujours ?

« Mes collègues Africains rendent des hommages aux morts français, mais les morts de chez nous, ils s’en foutent. Vous faites honte à l’Afrique », ce tweet de Paul Biya évoque, dans sa globalité, l’exaltation d’une forme de nationalisme panafricain teinté d’une indignation sous forme d’invitation à accorder la priorité aux Africains et à l’Afrique conçus ici comme entités distinctes de la France et de ses morts : les morts français ne sont pas les morts africains !

Sur ce dernier point, la politique camerounaise de la nationalité est loin d’être l’exemple qui fait honneur à l’Afrique ou à ce qui serait une nationalité panafricaine distincte de la nationalité française. Le Cameroun est en effet un pays où la double nationalité n’est pas en vigueur mais où des ambassadeurs, des députés, des ministres et bien d’autres hauts responsables de l’Etat ont la nationalité française. Il s’agit-là non seulement d’une curieuse façon de faire honneur à l’Afrique, que d’une conception particulière de la priorité à accorder aux Africains même si être Africain peut ne pas être une problématique se limitant à une question de nationalité africaine encore inexistante juridiquement. Et même si tel avait été le cas, l’idée souverainiste et panafricaniste que veut s’approprier ici le président camerounais semble une usurpation au regard de son parcours politique. Paul Biya ne peut se targuer d’avoir fait honneur à l’Afrique dans son parcours politique marqué d’un absentéisme chronique aux rassemblements des l’Union Africaine. Il y a quelques années le président camerounais, alors président sortant de l’UA, n’est même pas allé passer le témoin à son successeur à la tête de l’Union Africaine. Est-ce cela faire honneur à l’Afrique ?

La désinvolture du leader du Renouveau National par rapport au panafricanisme est loin d’être un paradoxe lorsqu’on se remémore que son mentor Ahmadou Ahidjo de qui il hérita par ailleurs du pouvoir a combattu sans merci l’UPC historique qui défendait le projet panafricaniste. Le tweet du président camerounais est ainsi en contradiction totale, tant avec son ADN politique, qu’avec son attitude à l’égard de l’UA depuis 1982. Tout semble indiquer que plusieurs hommes politiques africains, dont Paul- Biya, veulent sont ces derniers temps séduits par ce qu’on peut appeler « l’effet Mugabe », c'est-à-dire les dividendes politiques que l’on gagne en jouant au souverainiste et à l’ultranationaliste pour séduire la grande partie de la population africaine allergique à tort ou à raison à la domination occidentale de la politique africaine. C’est cet « effet Mugabe » qui a poussé Paul

Kagamé à critiquer Paul Biya, Idriss Deby et Goodluck Jonathan d’être allés au sommet au dernier sommet de Paris sur la paix en Afrique. C’est bien à Paris que Paul Biya a déclaré la guerre à Boko Haram en se comportant en ce temps-là comme ceux qu’ils critiquent aujourd’hui dans son tweet. C’est ce même « effet Mugabe » qui, après le succès médiatique de Paul Kagamé après sa critique de ceux qui allèrent à Paris cogiter sur la sécurité africaine et d’Idriss Deby sur sa critique des APE, pousse aujourd’hui Paul Biya a jouer aussi la carte d’un nationalisme et d’un panafricanisme sans actes politiques nationalistes et sans engagements panafricanistes. Le souverainisme et le panafricanisme deviennent de ce fait plus des sujets d’une rhétorique manipulatrice des esprits qu’un projet de société concret.

* Paul Biya peut-il être efficace dans sa stratégie d’appel au soutien international contre Boko Haram par dénigrement ceux des présidents africains qui disent « je suis Charlie » ?

Si honte de l’Afrique il y a, elle incombe sans exception aucune, à tous les présidents qui ont dirigé ce continent depuis 1960 car plus de cinquante ans après les indépendances, ces présidents sont tous richissimes autant que leur famille mais ils n’ont rendu l’Afrique ni capable de jouer au gendarme en Afrique, ni capable de se soigner comme le montre l’hécatombe induite par le virus Ebola. Tous les présidents africains incarnent la léthargie d’une UA de nos jours toujours dépendante des financements de l’UE et, par conséquent, incapables de la moindre initiative autonome sur le plan sécuritaire. La honte de l’Afrique est que c’est toujours l’extérieur, mieux l’Occident, qui soigne l’Afrique – l’épidémie du virus Ébola le prouve – et c’est la France qui sauve le Mali de l’occupation des Islamistes et la Centrafrique de la dérive dans une guerre civile totale. Une prise en compte de ces réalités montre que la stratégie du Président camerounais est incohérente et peu efficace principalement pour trois raisons fondamentales.

Premièrement, l’absentéisme chronique du président Paul Biya au sein des instances et réunions de l’UA et la désinvolture dont il a fait preuve lors de la marche internationale de Paris où se retrouvèrent cinquante chefs d’Etats et non les moindres, ne lui donne aucun crédit et aucun poids ni au sein de l’UA, ni au sein des grandes capitales occidentales auprès desquelles il sollicite de l’aide dans la lutte contre Boko Haram. Celui qui veut solliciter efficacement une aide internationale doit être un interlocuteur dans les instances internationales et être présent où il peut rencontrer d’autres présidents et discuter avec eux de ses problèmes. La Marche de Paris était une occasion non de distinguer les morts africains du terrorisme des morts français du terrorisme comme le fait Paul Biya, mais de faire sien le slogan « je suis Charlie » afin de mettre sur l’agenda des discussions mondiales sur le terrorisme, le fait que les Africains et les Camerounais aussi meurent du terrorisme islamiste : il fallait être à Paris pour montrer son implications dans la lutte dans le terrorisme internationale, pour montrer qu’on s’intéresse au malheur des autres afin de mieux exposer le nôtre dans le but de tisser des alliances larges pouvant découler sur une aide internationale dans la lutte contre la secte terroriste Boko Haram : l’échos de la marche de Paris a été mondial, le Président camerounais aurait dû s’y rendre pour faire de la lutte contre Boko Haram un combat mondial.

Deuxièmement, le chef de l’Etat camerounais ne peut faire appel à une solidarité panafricaine sachant que celle-ci dépend des finances de l’UE et ne pas se déplacer pour une marche collective où sont présents tous les poids lourds de l’UE. Si pour les Etats-Unis le cas Boko Haram n’est pas prioritaire dans leur agenda, il n’est pas exclu que le Cameroun paient aujourd’hui tant l’absentéisme légendaire de leur président au niveau international que la fait qu’il n’a jamais montré une once de panafricanisme depuis plus de trente ans de pouvoir. C’est une parole qui ne compte pas au niveau international où elle est complètement absente depuis des années. Il faut s’occuper des malheurs des autres si on veut qu’on s’occupe des nôtres : la réciprocité solidaire se construit par la diplomatie.

Troisièmement, l’absence totale de leadership dont fait preuve Paul Biya dans la sous-région sujette aux attaques de Boko Haram n’est pas un atout pour attirer l’aide internationale. Désormais un des doyens au pouvoir en Afrique subsaharienne, faire appel à l’aide internationale pour combattre Boko Haram alors qu’on n’arrive pas à assurer le leadership dans la sous-région entre le Tchad et le Nigéria, montre le peu d’estime dont jouit Paul Biya Auprès des ses pairs parfois plus jeunes et plus fraîchement installées au pouvoir par rapport à lui. Pourquoi alors qu’il est un des doyens au pouvoir en Afrique le Cameroun n’a pas de bons rapports avec le Nigéria, son voisin le plus puissant ? C’est une faute stratégique très grave car le Cameroun doit en tout temps construire une diplomatie sans aucun nuage son voisin le Nigeria. Boko Haram prospère aussi par absence de Leadership capable de fédérer au combat les forces tchadiennes, camerounaises et nigérianes. C’est Paul Biya en tant que doyen au pouvoir dans la zone qui doit assurer ce leadership et organiser une mobilisation sous-régionale contre Boko Haram.

La charité bien ordonnée commençant pas soi, la France est intervenue au Mali lorsque ce pays était déjà au bord du gouffre. Elle est intervenue en Centrafrique lorsque le pays était déjà plongé en pleine guerre civile. A moins que Paul Biya cesse avec « les tweets trompeurs » et assure réellement le leadership dans la sous-région afin que la lutte contre Boko Haram passe d’une compétence régalienne nationale à une compétence régalienne sous-régionale, la communauté internationale ou un pays phare interviendra dans la lutte contre Boko Haram, soit lorsque le nombre de morts débordera les charniers, soit lorsque l’Etat islamique s’étendra encore plus au point d’inquiéter las capitales africaines où se trouvent des Occidentaux.

© Correspondance : Thierry AMOUGOU, Fondateur et Animateur du CRESPOL, Cercle de Réflexions Économiques, Sociales et Politiques. Cercle_crespol@yahoo.be

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