Des ex-prisonniers de guerre abandonnés à leur triste sort
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Depuis vingt-deux ans, ces quatre-vingt-quatre ex-prisonniers de guerre capturés à Bakassi réclament leur dédommagement et l’amélioration de leur condition de vie.

A leur retour en novembre 1998, suite à l’échange de prisonniers négociés par l’Onu entre le Cameroun et le Nigeria, ces ex-prisonniers n’avaient même pas eu droit à une cérémonie d’honneur. «Nous n’avons même pas eu droit à une simple cérémonie d’honneur, pas de médaille, encore moins un avancement de grade. Seules deux personnes ont eu un avancement notamment le colonel Nkomè Divine alors capitaine à l’époque qui était passé au grade de commandant et un autre avancé au grade d’adjudant-chef», indique un ex-prisonnier de guerre.

Accueillis à l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen par le général Pierre Semengué alors général des armées, en l’absence des membres du gouvernement, ils avaient été discrètement conduits à l’Ecole militaire interarmées (Emia). « Dans tous les pays du monde, même Aux Etats-Unis, lorsque des prisonniers de guerre rentrent, ils sont accueillis avec tous les honneurs. Ce qui n’a pas été le cas chez nous. Nous sommes rentrés en cachette », poursuit notre interlocuteur.

Durant leur séjour en captivité à la prison d’Inugu au Nigéria pendant deux ans, ces quatre-vingt-quatre prisonniers de guerre disent avoir contracté des maladies qu’ils trainent jusqu’à nos jours. « Nous avions fait trois jours de route attachés comme des animaux. Nous étions torturés et subissions des traitements inhumains. Dans nos repas, ils mettaient du sable. Les prisons étaient éclairées à la lumière vive. C’est de là que nous sommes rentrés avec toutes ces maladies que j’ai aujourd’hui notamment les problèmes des yeux, des dents parce qu’on croquait du sable, les problèmes d’audition, des traumatismes corporels, les handicaps et autres paralysies», explique cet ex-prisonnier de guerre qui a requis l’anonymat. « Nous nous prenons en charges avec nos petits moyens de la retraite. Il faut acheter des médicaments, il faut payer le loyer parce que beaucoup n’ont pas de domiciles ; il faut se nourrir, des familles se sont disloquées, les femmes se sont remariées, ils ont trouvé des enfants décédés, des situations vraiment traumatisantes», enfonce-t-il.

Situations traumatisantes

Cela fait vingt-deux ans que ces derniers demandent à l’Etat de se pencher sur leur situation.

Dans une correspondance adressée au président de la République en 2017, ils avaient fait part de leurs doléances notamment leur dédommagement en tant que prisonnier de guerre, l’amélioration de leur condition de vie. Des doléances réitérées à la commission conduite à l’époque par le colonel Affana envoyée rencontrer ces soldats en 2018 à la suite de leur missive. «Nous avons demandé à ce que notre situation soit examinée. Que nous soyons dédommagés. Les trois quarts d’entre nous n’ont pas de logements. Beaucoup parmi nous sont déjà morts. Sur quatre-vingt-quatre que nous étions, près d’une vingtaine sont déjà morts. Les gens passent le temps à dire au président que nous sommes en santé, que tout va bien alors que nous sommes en train de mourir. On meurt de soucis », désespèrent-ils. Depuis lors le dossier est sans suite.

Ils avaient été capturés à la suite d’une attaque perpétrée par l’armée nigériane une matinée de février 1996 après sept jours d’intenses combats. « En sous-effectif et sous-équipés, soit une cinquantaine d’éléments ne disposant que des fals, des mortiers et des 12-7, qui au contact de l’eau salée prenaient de la rouille et ne tiraient même plus, face à la puissance de feu des nigérians lourdement armés » raconte notre interlocuteur qui affirme que la troupe camerounaise n’avait eu de choix que de capituler. « En fait, nous nous sommes rendus. Parce que nous n’en pouvions plus. Nous étions en sous effectifs et sous-armés et sans alimentations», se souvient encore cet ex-prisonnier de guerre.

Avant d’ajouter « Pendant sept jours, ils ont pilonné nos positions. Les soldats nigérians étaient estimé à près de mille cinq cents hommes. Nous ne pouvions plus rien. C’est ainsi que nous avons pris la décision de nous rendre. Mais avant cela, nous nous sommes battus jusqu’au bout ; malgré notre sous-effectif et sous- équipement, nous avons pu détruire trois de leurs navires. Il faut savoir qu’en guerre, capituler est l’étape la plus difficile. Parce que vous ne savez pas quelle sera la réaction de l’adversaire. En voyant les cadavres de ses camarades, il peut décider de vous tuer. D’ailleurs lorsqu’on s’est rendu, un capitaine nigérian avait suggéré à son colonel de nous fusiller et de nous jeter à l’eau. Il avait dit « we firedem», mais le colonel avait refusé, comme il était originaire du Nord du Nigéria du côté de Maïdougouri et il devrait avoir de la famille de l’autre côté de la frontière camerounaise», se souvient-il.

Victoire diplomatico-judiciaire

Leur libération fut négociée par l’Onu entre les Etats du Cameroun et celui du Nigéria. « Trois semaines avant notre libération, nous avons senti un changement dans notre traitement quotidien. Ils ont commencé à nous donner de la sardine, un bout de pain et un petit jus. Nous étions nous même surpris parce qu’on avait perdu la saveur.

On avait pu avoir l’information selon laquelle la Croix rouge devait gérer notre problème et qu’on serait libre. Et ce qui s’était passé. Il y a eu un échange de prisonniers entre la Cameroun et le Nigéria. C’est lorsque nous sommes arrivés à l’aéroport de Nsimalen que les prisonniers nigérians décollaient aussi. Semble-t-il, c’était la condition posée par le Cameroun qui avait exigé qu’on atterrisse d’abord avant de libérer les nigérians parce que nous étions quatre-vingt-quatre alors qu’ils étaient près de sept cents », analyse-t-il.

A cause de la pandémie du coronavirus, la commémoration de la rétrocession de la péninsule de Bakassi au Cameroun le 14 août 2008 est passée inaperçue cette année. Chaque année, le pays commémore cette victoire diplomatico-judiciaire acquise après plus d’une décennie de conflits frontaliers entre le Cameroun et le Nigéria.
Occasion devant également permettre de saluer et de s’incliner sur la mémoire de tous ces vaillants soldats engagés sur le champ de bataille. Comme ces soldats faits prisonniers de guerre au Nigéria de 1996 à 1998. Tel n’est visiblement pas le cas.

Trente ans après l’épopée de la Coupe du monde 1990 en Italie au cours de laquelle le Cameroun atteignit pour la première fois les quarts de finale, le président de la République a honoré tout récemment sa promesse faite à cette cuvée en leur octroyant des logements. Sans doute saura-t-il également entendre les cris de ces soldats qui se sont battus sur le champ de bataille pour la préservation de l’intégrité nationale.

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