GILBERT TSIMI EVOUNA : Départ avec mention
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Il a fait son temps comme premier magistrat de Yaoundé. Au sein de l’opinion publique, son empreinte est restée.

C’est presque un tic, un sursaut, qui saisit certains quand ils voient Gilbert Tsimi Evouna (GTE) quitter définitivement son bureau ce 5 mars 2020. Beaucoup se plantent, lèvent un peu la tête, à la recherche d’un indice, d’un détail, d’une incongruité sur le désormais ex-super maire de Yaoundé. À deux mètres d’une petite foule de journalistes, l’homme croise ses mains et lance: «Je pars!». Pas plus. Familier de ses humeurs, tout le monde rit. C’est clair: son bail au fauteuil de délégué du Gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé (CUY) est fini.

Modestie

Dans la horde d’anciens collaborateurs, une petite pancarte sautille au-dessus des têtes. «Avant tout, c’était un travailleur», c’est le message porté pour célébrer quinze années d’obstination et de méthode au service de la capitale. À haute voix, quelqu’un regrette «le bon patriarche, celui qui se retire dignement des affaires». Jusqu’à cette heure, pour l’intéressé, pas question de dévier de sa ligne: parler à l’aide de formules toutes faites et aux effets dramatiques éprouvés. «Je ne savais pas que c’est comme ça que vous alliez faire», balance-t-il à l’endroit d’un mototaximan venu lui présenter ses hommages.

La phrase laisse penser que le natif d’OyomAbang n’accepte pas l’idée d’un calcul de bons points sur son séjour à la CUY. «J’ai passé l’âge de faire ma pub», tranche-t-il sur le vif. Il a beau se mettre en retrait pour que des tiers portent en première ligne son travail, la mise en scène ne prend guère. Raisons: Il n’a pas seulement eu l’un des plus longs règnes sur la capitale, mais il est également le premier qui quitte le poste étant encore sur pied. «À l’heure du déficit de confiance et du besoin de reconnaissance, tout cela est à prendre en compte», décrypte Pr Daniel Anicet Noah, directeur de la radio Nkul Ongola. Contre l’événementiel, le monde des discours et des idées creuses, ce dernier estime que le départ de Gilbert Tsimi Evouna est un éloge du «faire». «Sur le plan des pratiques municipales, il a conduit à des investissements considérables, soutenus par des subventions très fortes et une politique d’emprunt», soutient le journaliste émérite.

Lot quotidien

Et pour faire simple, le partant s’abandonne à une poignée de journalistes. Premières impressions. Ce type a du charme, une élégance naturelle, un côté naturel, direct. Cependant, responsable politique toujours sur le qui-vive, craignant de tenir des phrases qui seraient mal comprises et reprises, il débite avant tout des propos sûrs, répétés de longue date, et répond de façon vague aux questions qui gênent. Il met surtout en avant sa propre histoire avec Yaoundé, un «amour» entamé un peu par hasard alors qu’il était fonctionnaire au ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat. L’interviewé envisage surtout de se reposer. Lui qui, durant 15 ans, était chargé de traiter quotidiennement plus d’un million de tonnes d’ordures.

Lui qui devait mener à bien chaque jour l’astiquage d’innombrables mètres carrés de trottoirs et de chaussées. Lui qui avait parfois eu des démêlés avec des éboueurs difficiles à manier. Quand il massacrait un coin de Yaoundé, le monde entier lui tombait dessus. «Hélas, soupire-t-il, on ne peut balayer Yaoundé en permanence. Mais ce serait la solution rêvée».

Démon et merveille

Sa réputation de «casseur»? Gilbert Tsimi Evouna la connaît, mais ne s’en désole pas. Il s’agit du genre ringard qui assume, avec un tas de défauts qu’il ne cherche absolument pas à arranger. En bon admirateur du baron Haussman, il a poursuivi sans états d’âme la destruction des bidonvilles pour élargir les chaussées, aménager des jardins publics ou bien encore créer des parkings… Il s’agissait alors de mettre en pratique la loi interdisant la construction sur des zones dangereuses (marécages, collines…). Dans cet exercice, les populations du quartier Abobo, arrondissement de Yaoundé 2 et autres Mbankolo ont, en toute conscience, vu leurs maisons être démolies.

Après avoir parlé sans être compris des commerçants, Gilbert Tsimi Evouna a mis sur pied une police spéciale dans la CUY qui se chargeait de ramasser les articles des vendeurs ne se conformant pas à la règle. Là encore, on retiendra de lui le nom «Awara». Ces différentes opérations de casse lui ont valu le nom de Jack Bauer. En février 2019, il n’a pas été très à l’aise, à l’ouverture de la Conférence des gouverneurs tenue à l’Hôtel de Ville de la capitale. Il avait alors été approché par Paul Atanga Nji, le ministre de l’Administration territoriale (Minat) pour s’expliquer sur les agissements décriés de la police municipale, lesquels étaient survenus le 13 février 2019 à Yaoundé. «GTE», avait dû se plier à la décision préfectorale d’interdire «Awara» pendant un mois. Durant cette période, les alinéas 1 et 2 de l’article 119 de la loi n° 2004/003 du 21 avril 2004, qui donne les pouvoirs de police municipale en matière d’urbanisme aux maires, étaient mis entre parenthèses.

«Vous avez vu par la suite… À chaque fois qu’on a écrit ce nom dans la presse, je me demandais si je ne suis pas acteur de cinéma par hasard». Juste une blague. Mais aussitôt, le fils d’Evouna Bella dégaine: «Seul Dieu dira si j’ai eu tort ou non», allusion faite à ceux qui jouent les francs-tireurs sur les réseaux sociaux. Pour leur gouverne, un ancien collabo fait savoir que malgré tout, son ancien boss a eu l’intelligence de bloquer les projets urbanistiques qui fâchaient. Il a fait appel à de jeunes architectes qui se méfient de la grande casse des quartiers populaires.

Larme au coin de l’oeil

«L’avenir de Yaoundé se joue sur une question: comment réorganiser la ville pour que tout le monde soit à l’aise?». En nous recevant dans son bureau, en août 2018, Gilbert Tsimi Evouna criait que les freins au pilotage des projets sont connus. Ce 5 mars, il remet ça. Il rappelle le projet de valorisation touristique et économique du Lac municipal de Yaoundé. Sur le terrain, les travaux n’ont toujours pas démarré. On les annonçait pourtant pour le premier semestre 2017, dans la perspective de la prochaine Coupe d’Afrique des nations au Cameroun. Selon nos sources, le projet, dirigé par un comité de pilotage présidé par le secrétariat général de la présidence de la République, a d’abord été suspendu. Ce comité, apprend-on, a instruit la modification des travaux.

«Les nouveaux plans ont été transmis à Accionia, l’entreprise espagnole qui doit réaliser les travaux. Maintenant, il faut que la Deutsche Bank d’Espagne qui les finance valide d’abord ces modifications avant le lancement du chantier», affirme Gilbert Tsimi Evouna. Au-delà des chiffres, il décrie cette néfaste habitude connue de toutes les professions qui oeuvrent autour d’un projet comme celui-là. Les prenant à témoin, les promoteurs, les entreprises, les architectes racontent des histoires de dossiers montés, ficelés, prêts à démarrer et finalement arrêtés sine die. Et le voeu: «Corriger cela. Et avec la mise en place effective de la décentralisation, je pense que le moment est venu de passer d’une gestion municipale à une animation municipale».

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