Quand l’accusateur est accusé du détournement de 100 millions de F
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L’un des plus anciens prisonniers du TCS a saisi le procureur général près la juridiction d’une dénonciation qui incrimine M. Bene, le coordonnateur du Projet Rigc, signataire de la plainte à l’origine du litige qui l’oppose à l’Etat du Cameroun. Il impute à ce dernier, documents à l’appui, un détournement de la somme de 100 millions de francs. L’ancien ministre Elvis Ngolè Ngolè cité. Le parquet tergiverse.

C’est un véritable coup de massue que Serges Bruce Kaptue Tagne vient d’asséner à Denis Bene, le coordonnateur du Projet de renforcement des initiatives pour la gestion communautaire des ressources forestières et fauniques (Rigc), un projet du ministère des Forêts et de la Faune (Minfof). Si M. Bene est en effet le signataire de la plainte qui a déclenché les poursuites judiciaires contre l’homme d’affaires devant le Tribunal criminel spécial (TCS) au sujet des prétendues malversations financières autour du Projet Rigc, il pourrait lui-même être amené dans un proche avenir à s’expliquer à son tour devant la juridiction d’exception.

Le 11 décembre 2019, M. Kaptue Tagne a révélé en pleine audience, alors que les avocats de ses coaccusés l’interrogeaient, qu’il a déposé auprès du procureur général près le TCS une dénonciation imputant à M. Bene, principal témoin de l’accusation, un détournement présumé de la somme de 100 millions de francs. Des preuves à conviction sont jointes au document. L’annonce a aussitôt enflammé l’audience. L’homme d’affaires a prié le tribunal d’ordonner un complément d’information judiciaire pour faire la lumière sur sa récrimination : «je demande un réquisitoire supplétif». Les avocats des autres accusés ont demandé au procureur d’interpeller M. Bene, présent à l’audience. L’affaire revient le 27 janvier prochain pour le contre-interrogatoire des avocats de la partie civile.

La dénonciation dont votre journal s’est procuré une copie permet d’avoir une vue large sur les faits déplorés. M. Kaptue Tagne a démarré sa récrimination de manière tonitruante : «Nous avons l’honneur de dénoncer des pratiques qui s’apparentent à un détournement de deniers publics intervenu dans le cadre (…) et qui porteraient sur un montant de 100 millions de francs». Par la suite, il raconte que sa société, Camdev a signé, le 18 août 2005, une convention tripartite avec le ministère des Forêts et celui de l’Economie, relative au Projet Rigc. Le Projet avait un crédit d’un montant de 3 milliards de francs. Lesdits fonds domiciliés dans un compte ouvert dans les livres d’Afriland First Bank provenaient soit des Finances, soit du budget d’investissement public du Minfof et du Programme de sécurisation des forêts.

Comptabilité parallèle

Concernant la gestion de cet argent, les parties avaient convenu d’une «double signature», en fait d’une cogestion du compte bancaire. Ainsi, les signataires du compte initial «Projet Rigc/Camdev» étaient le ministre des Forêts ou son représentant et M. Kaptue Tagne, pour Camdev. S’agissant de la procédure de déblocage des fonds, le ministre des Forêts adressait une lettre à la banque sur la base d’un programme d’activités préalablement approuvé pour approvisionner le compte du projet. Les états de paiement étaient en principe montés par M. Bene en compagnie d’un employé de Camdev. Ces états étaient ensuite transmis au ministre pour approbation lorsque le montant sollicité était supérieur à 5 millions de francs ou au président du Comité de pilotage pour les montants inférieurs. «Le réapprovisionnement du compte intervient après la validation des justificatifs des dépenses de la première tranche de décaissement et sur la base d’un programme de travail préalablement approuvé par le maître d’ouvrage», indique M. Kaptue Tagne.

Le problème. L’homme d’affaires déclare avoir découvert que M. Bene usait à l’insu de tous d’une comptabilité parallèle pour soutirer les fonds du projet. Cela lui aurait permis d’empôcher la somme de 100 millions de francs. «Contre toute attente, nous découvrons qu’un autre compte intitulé CAA-FCP Rigc-Bicec (…) est ouvert discrètement à la Bicec par le coordonnateur, M. Bene, qui seul avait la signature sur ce compte, au mépris des dispositions instaurées dans le cadre du Projet.» Et d’ajouter : «Ce compte a donc reçu entre 2008 et 2012 des virements de sommes dont le total s’élevait à 100 millions de francs, entièrement décaissé, et dont les pièces sont méconnues des structures comptables commises à cet effet».

De manière précise, M. Kaptue Tagne déroule dans un tableau récapitulatif l’historique des cinq virements qu’il considère comme frauduleux. Les sommes vont de 10 à 50 millions de francs. «Nous vous prions Mme le procureur général, de relever avec nous le caractère irrégulier de ces opérations d’ouverture de compte de la Bicec par le coordonnateur du Projet, et des décaissements qui s’y sont effectués en violation de la convention, donc d’un cadre légal, qui s’apparente à un détournement de deniers publics que nous ne saurons taire», s’insurge le dénonciateur.

Chantage régulier ?

Au regard de la gravité des faits décriés, M. Kaptue Tagne est convaincu que le banc des accusés du TCS qu’il occupe avec cinq employés d’Afriland First Bank pourrait s’enrichir au moins d’un nouveau membre notamment M. Bene. «Nous restons certains que M. Bene risque de passer de la position de témoin assisté à coaccusé dans cette affaire qui oppose l’Etat à M. Kaptue Tagne et cinq agents de la banque pour détournement de deniers publics au départ, puis de faux et usage de faux en coaction ». M. Kaptue Tagne affirme qu’il était régulièrement soumis à une sorte chantage de la part de M. Bene qui monnayait la signature des décaissements de fonds.

Pour mémoire, l’argent en cause, 1,7 milliard de francs, était logé dans le compte du projet Rigc dans les livres d’Afriland First Bank, projet mis en place en 2005 et conjointement géré par le promoteur de la société Camdev, Serge Kaptué Tagné, et le coordonnateur du projet, M. Bene Denis (auteur de la plainte de départ). Le portail des camerounais de Belgique (@camer.be). Cet argent avait été débité de ce compte le 30 janvier 2010, semble-t-il, à l’insu du coordonnateur du projet et du ministre des Forêts et de la Faune. Les recherches menées auprès de la banque pour avoir les éclaircissements sur la destination prise par l’argent étant restées vaines, une plainte avait été déposée par M. Bene Denis.

C’est elle qui est à l’origine des ennuis judiciaires de Serges Bruce Kaptue Tagne. Mais, depuis l’ouverture de la phase de jugement le 22 octobre 2012, l’affaire a connu de nombreux rebondissements. Au départ, témoin de l’accusation dans une procédure qui ne comptait qu’un seul accusé, Afriland First Bank était devenue la cible du ministère public et du ministère des Forêts et de la Faune. A la suite d’un complément d’informations ordonné par le TCS, la banque et sept de ses cadres avaient été mis en cause. Les dirigeants d’Afriland First Bank décidaient alors de rembourser cette somme, mais multipliaient des procédures, par l’entremise de leurs avocats, pour obtenir l’annulation de la procédure judiciaire. Le procès a souvent connu de longues suspensions du fait de ces procédures, mais aussi de la demande insistante des avocats de M. Kaptué Tagné, d’obtenir un arrêt des poursuites en sa faveur. Ces derniers demandent de nouveau un complément d’informations judiciaires cette fois sur la dénonciation de leur client qui vise Denis Bene, le coordonnateur du projet Rigc. Après huit ans d’une interminable procédure judiciaire, l’affaire ne fait peut-être que commencer.

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