INCARCERATION : Jean-Louis Beh Mengue à Kondengui sous fond d’injustice
CAMEROUN :: SOCIETE

CAMEROUN :: INCARCERATION : Jean-Louis Beh Mengue à Kondengui sous fond d’injustice :: CAMEROON

Alors que le Contrôle supérieur de l’Etat puis le Conseil de discipline budgétaire et financière avaient épinglé les dirigeants sociaux, les administrateurs et certains employés de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ART) pour une trentaine d’irrégularités de gestion avec incidence financière estimée respectivement à 21, puis à 8,5 milliards de francs, l’ancien DG se retrouve presque seul à en répondre aujourd’hui. Lumière sur les contours d’une mise en accusation qui fait du buzz.

Un peu plus de deux ans après avoir quitté sa fonction de Directeur général (DG) de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ART), M. Jean Louis Beh Mengue, 75 ans, séjourne depuis la une dizaine de jours à la prison centrale de Yaoundé – Kondengui. Désigné à la tête de cet établissement public administratif dès sa création, l’ancien DG y avait passé 18 ans sans discontinuer. C’est pour certains des actes de gestion posés au cours de ce long magistère que M. Beh Mengue a été placé en détention provisoire le 8 août 2019. Décidée par un juge d’instruction du Tribunal criminel spécial (TCS), son incarcération fait suite à une enquête policière à rebondissements. L’ancien DG est désormais au coeur d’une information (enquête) judiciaire pour des faits supposés de détournement de fonds publics.

C’est le 31 juillet dernier que le processus de sa mise en détention est enclenché. Quatre convocations émises par le patron du Corps spécialisé des officiers de police judiciaire (Csopj) du TCS sont déposées ce jour-là dans les bureaux de l’ART à Yaoundé. En dehors de l’ancien DG, ces documents concernent M. Eteta’a Ntonga Gaston Michel, ancien Agent comptable de l’ART, Mme Ngono Anne Marlyse, ancienne employée de l’entreprise, et Mme Maryamou épouse Idrissou, en service à l’agence du Nord à Garoua. Seuls à honorer les convocations des limiers du TCS, M. Mbeh Mengue et Mme Maryamou seront d’abord placés en garde à vue, avant d’être présentés au procureur général (PG) près le TCS le 8 août au soir. Ce même jour, l’ancien DG et sa compagne d’infortune se retrouveront devant le juge d’instruction, qui va décider de les placer en détention provisoire à la prison centrale de Kondengui pour une période de six mois après les avoir inculpés de l’infraction de détournement des fonds publics. Selon des sources proches du dossier, M. Mbeh Mengue répond pour l’instant des faits supposés de détournement des deniers publics pour un montant de 438 millions de francs et d’une complicité de détournement d’environ 399 millions reproché principalement à l’ancien Agent comptable de l’ART. Les faits à l’origine de la procédure judiciaire seraient en rapport avec l’octroi de salaires et avantages prétendument irréguliers, parfois sur la base de diplômes présumés douteux.

21 milliards de francs

En fait, les ennuis judiciaires de l’ancien DG de l’ART tirent leur origine d’une mission spéciale de contrôle et de vérification du Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe) dépêchée auprès de l’organisme en juillet 2013. Destinée à éplucher la gestion de l’ART au cours des années budgétaires allant de 1999/2000 à 2013, soit 14 exercices budgétaires, cette mission avait déposé son rapport le 12 août 2014. Le document impute aux responsables de l’ART des fautes de gestion ayant une incidence financière de l’ordre de 21 milliards de francs. En décembre 2016, l’ancien DG et certains de ses collaborateurs seront traduits devant le Conseil de discipline budgétaire et financière (Cdbf) pour s’expliquer sur les conclusions de la mission du Cosupe. Le montant des irrégularités «avec préjudice financier évalué» y sera finalement ramené à 8,5 milliards de francs.

A la lecture du rapport du Cdbf consulté par Kalara, il apparaît que plusieurs «irrégularités de gestion» imputées à M. Beh Mengue par le Consupe tirent leurs racines des actes de gestion posés en exécution des résolutions du Conseil d’administration de l’organisme. Il en est ainsi, par exemple, des allocations d’avantages qualifiés d’indus aussi bien aux administrateurs (431 millions de francs), aux responsables (172 millions de francs), aux personnels du ministère des Finances en service auprès de l’ART (65 millions de francs), mais aussi du versement de primes spéciales au personnel (1,17 milliard de francs).

Ces dépenses et d’autres toutes aussi importantes relatives notamment à la tenue irrégulière des conseils d’administration, suspectées d’être frauduleuses, ont été prescrites par des administrateurs qui ne sont pas (encore ?) inquiétés par le TCS. Si l’on met de côté le tout premier président du Conseil d’administration de l’ART, M. Robert Mbella Mbappe (épargné de toute poursuite pénale suite à son décès), ses deux successeurs, dont M. Mohaman Sani Tanimou (ancien cadre de la présidence de la République et ancien DG de Elécam) et M Hessana Mahamat (DAG de la présidence de la République), mais aussi tous les administrateurs de la période, parmi lesquels de hauts magistrats, ont été déclarés solidaires de certaines dépenses «indues» par la mission de contrôle… Ils ne sont pas dans le viseur du TCS. Plusieurs autres irrégularités relevées dans la gestion de l’ancien DG sont des libéralités financières ayant profité directement au personnel ou aux dirigeants sociaux : 1,25 milliards de francs pour les indemnités de téléphone ; 2,3 milliards de francs au sujet de la rémunération du personnel de l’ART «en violation de la grille salariale » ; 265 millions de francs représentant, selon le Consupe, le préjudice financier relatif au «recrutement du personnel de l’ART sur la base de faux diplômes»… Il se trouve que l’ART fut, pendant les 18 années de gestion de l’ancien DG, le point de chute des épouses, des enfants et autres protégés des personnalités hauts-placées, y compris dans le plus proche entourage du président de la République, les hautes sphères du gouvernement, du parlement et de la Cour suprême… Les atermoiements du TCS devant le dossier ART sont, à cet égard, très compréhensibles.

Victime expiatoire ?

Plusieurs fois, dans le rapport du Cdbf consulté par Kalara, les noms de Mme Bodog Marcelle (directeur des ressources humaines et financières à l’époque des faits), Mme Ton Songue Prudentienne (contrôleur financier spécialisé auprès de l’ART), M. Touko Mathias et Mme Kani née Nkolo (comptables matières), M. Zourmba Aboubakar (DGA de l’ART), Mme Ngo Ngan Marie (personnel d’appui de l’agence comptable), Mme Owona Noah Suzy (directeur des affaires juridiques) et M. Manyanye Thomas (sous-directeur des systèmes d’information) sont cités comme «responsables» du préjudice financier prétendument subi par l’ART. Aucun n’est pour l’instant concerné par l’enquête judiciaire ouverte par le TCS, ce qui met M. Beh Mengue dans la peau d’une victime expiatoire…

Quoi qu’il en soit, dans les milieux de l’ART et auprès d’une élite originaire de la Région du Sud, les déboires judiciaires de M. Beh Mengue sont perçus comme une sanction à sa volonté d’avoir voulu ériger l’immeuble siège de l’organisme au coeur de la ville, en face du Hilton Hôtel à Yaoundé. Ce terrain, acquis auprès de M. Shey Jones Yembe, ancien secrétaire d’Etat au ministère des Travaux publics, est tantôt officieusement présenté comme la propriété d’un éminent membre de la famille présidentielle, tantôt celle de la succession Emah Basile. En tout cas, ce lopin de terre fait l’objet d’un combat judiciaire encore pendant devant le tribunal Administratif de Yaoundé.

Les premières inquiétudes de M. Beh Mengue étaient relatives à la procédure de passation du marché relatif à la construction dudit immeuble. L’ancien DG, accusé de tentative de tentative de détournement de fonds publics, avait alors été entendu avant que le dossier ne soit classé par l’ancien procureur général près le TCS. Plus tard les travaux de construction de l’immeuble-siège, lancés en grande fanfare, avaient été stoppés suite à une instruction de la présidence de la République, avant d’être repris.

Lire aussi dans la rubrique SOCIETE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo