Cameroun, Livre: Theo Ngongang-Ouandji, Nos années 80. On va faire comment ?
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Cameroun, Livre: Theo Ngongang-Ouandji, Nos années 80. On va faire comment ? :: CAMEROON

Au milieu de sa vie, Theo Ngongang-Ouandji, alias Theo, constate que tous les soleils qui l’ont aidé à grandir se sont tus, comme des « astres éteints » dont a parlé Leonora Miano par ailleurs.

C’est ce que nous livre ce jeune cinquantenaire dans un opuscule drôle, doux et amer au sous-titre tiré du vocabulaire populaire local « On va faire comment ? ». L’auteur nous propose, sans langage ni prétention académiques, les bases de la sociologie d’une génération dorée, exercice rare en ce qui concerne l’Afrique. A partir de l’ethnographie des pratiques de la progéniture des hauts commis de l’Etat, Theo Ngongang-Ouandji reconstitue la toile d’une socialisation de velours pour les enfants alors que les parents vivent sous le gang de fer d’Ahidjo. Entre une éducation ouverte au monde et aux autres grâce au choix politique d’un autoritarisme éclairé, des écoles et des lycées publics sont constitués en pôles d’excellence. C’est le cas du Lycée Général Leclerc que l’auteur érige en un des lieux de ses souvenirs et de son investigation littéraire. « Ce bâtiment que nous appelions affectueusement le « Lyce » (prononcez « le laïce ») était véritablement notre sanctuaire » (p. 18). Et il ne s’agissait pas seulement d’y devenir performant en maths ou en français mais aussi de s’initier à « l’apprentissage de la drague. (…). Sacrée époque, sacrés souvenirs d’un lieu presque mythique, masculin dans son empreinte écrasante, féminin dans ses multiples facettes cachées, unique dans sa capacité à produire des enfants à la tête bien pleine » (p. 18-19).

Si Theo est pudique dans ses mots, prudent dans la forme de ses critiques, il n’est ni dupe de la concaténation des héritages dont sa génération a tiré les bénéfices ni des causes profondes de la déliquescence de son pays. Il les énonce sans s’y attarder outre mesure car ce n’est pas le dessein de son ouvrage qui constitue de toute évidence le rappel d’une enfance défunte et la nostalgie d’un projet éducatif et social auquel les années 80 qu’il décrit ont paradoxalement mis un terme. Le père de ce projet, le Président Ahidjo a convaincu cette jeunesse que son avenir passe par l’école mais en passant le relais à son successeur constitutionnel, il a raté sa sortie par le plus curieux des malentendus politiques que le Cameroun ait connus. Theo raconte : « Lorsque je m’essaie à raconter à nos enfants notre histoire récente à nous Camer (…), je me dois d’incorporer les piliers suivants (…) : colonisation, traitements inhumains de nos ancêtres, revendications syndicales de nos droits élémentaires, lutte contre l’oppresseur, lutte pour l’indépendance, indépendance de façade orchestrée par la Vème République française (notre mère), réunification de façade, répression sanglante des « indépendantistes », avènement de l’Etat unitaire, et ensuite presque 50 années d’errements, sans vrai décollage économique, sans une véritable définition de notre identité, (à part le foot, d’accord), sans véritable évolution politique, la logique du parti unique étant toujours d’actualité, malgré les évènements sanglants des années 90 (…) » (p. 16-17).

Cette citation d’une incontestable lucidité témoigne de la connaissance objective et sans fard de l’auteur de l’évolution historique de son pays. Elle constitue également une des ambivalences qui font l’intérêt de ce livre. En effet, ce passage aussi rationnel qu’il soit n’est pas l’objet du livre car ce que Théo raconte ensuite sur 50 chapitres drôles et légers est l’histoire d’un héritage générationnel difficile à énoncer en cette période si l’on assume pas l’histoire du Cameroun. A l’intelligence et au sens de la mesure de Theo, s’opposent la vie d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes, issus d’une élite administrative et politique qui ont poussé sur les cendres à peine refroidies et tues de la seule décolonisation armée de l’Afrique subsaharienne. Comment dire des plaisirs d’enfance, les bonheurs de l’adolescence, les facéties de l’âge adulte, quand l’on est conscient d’être l’héritier d’une césure historique dramatique ? Comment dire sa désolation face au spectacle actuel d’un pays au bord du coma ? C’est là que réside l’originalité des 50 couleurs qui alimentent l’ambivalence d’une œuvre sincère, faussement candide parfois, profondément sensible souvent, follement nostalgique toujours de la capitale verte aux sept collines. Pourquoi le livre de Theo est-il une rareté ? Parce que, le drame qui précède l’émergence sociale des parents de la génération de Theo, a été longtemps occulté et interdit de publication et/ou de diffusion sur le territoire national. La normalisation de leur médiatisation académique et de leur reconnaissance politique, certes encore timide, relèvent du devoir de mémoire au cœur des débats que permettent la libéralisation de la vie politique entreprise depuis les années 90. Cette actualité des martyrs, renouvelée, enrichie et renforcée minore de fait la chronique des « trains qui arrivent à l’heure ». Il en est de même des recherches qui rendent compte de la socialisation à l’origine de la naissance de celle des « Theo ». Oui, la génération de Théo est globalement celle des trains ponctuels parce que tous les rouages ont été attelés à la mission de la réussite scolaire de cette génération dont Bourdieu dans les Héritiers dirait qu’elle est logique. L’avènement de « l’ère Biya » sur fond de crise économique drastique offre un menu amer produit par des élites formées dans les couloirs du clientélisme des années 90-2000. Theo distille donc 50 histoires qui ont ému ses pairs, ses aînés, ses cadets, la génération de ses parents au fil de ses chroniques rétrospectives dans les réseaux sociaux qu’il a converti en ouvrage. Pour ces histoires qui, comparées à la tentative des vérités jadis révisées de l’histoire du Cameroun, ne devaient pas peser un copeck, la sensibilité de Theo provoque un phénomène tout aussi réaliste et salutaire : raconter l’histoire d’une génération, à partir de moments, d’instants, de faits, qui réunissent des milliers d’anciens jeunes avec l’émotion qui sied aux souvenirs qui remontent à la surface des sens. Oui, rappeler les dimanches soirs à l’écoute d’un roman radiophonique. « Pierre Billard vous présente l’anthologie du mystère » (p. 81-82). Frisson garanti pour celles et ceux qui ont vécu ce rendez-vous dominical qui sonnait le glas du week-end, juste avant la fermeture des ondes par… l’hymne national. Le silence qui accompagne normalement ses histoires qui se racontent entre amis est désormais levé. On ne choisit pas ses parents, ni les lieux de son enfance. Les personnages qui traversent le livre sont parfois des hauts commis de l’Etat que Theo ne citent pas nommément – il aurait pu – mais que ses pairs reconnaissent tous, ou presque.

L’hommage que Théo rend à ses parents à la fin de son récit, à sa mère infirmière et à son père, grand serviteur de l’Etat, incarnation de l’image des « papas » et des « tontons » et tatas » de l’époque de cette jeunesse d’élite est émouvante par sa sobriété. Disons-le pour prolonger l’hommage sans fards : l’encadrement et l’accompagnement de la première qualification des Lions Indomptables à une coupe du monde, en Espagne en 1982. C’est le père de Theo qui était à l’époque ministre de la jeunesse et des sports. Theo n’est ni dupe, ni hypocrite. Il analyse : « Nous sommes le produit d’une classe privilégiée et avons bénéficié des largesses de ce système (…).Pour beaucoup nous représentons l’élite de notre génération et avons donc une responsabilité sur le devenir de ce pays qu’on aime tous tant mais semble parfois marcher sur la tête » (p. 110). Tout est dit.

Theo Ngongang-Ouandji, Nos années 80. On va faire comment ? Aix-en-Provence, Editions Persée, 2018, 112 p. (Préface : Dr Christopher Fomunyoh). 12,70 €

Une génération dorée entre deux naufrages

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