Cameroun, Tribunal criminel spécial: Comment le maire et le sous-préfet de Lobo ont été capturés
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Une descente inédite des officiers de police judiciaire dans le département de la Lékié démentèle le réseau des fonctionnaires suspectés de fraudes multiples dans le processus d’indemnisation sur le tracé de l’autoroute Douala - Yaoundé. Kalara décrit le film de l’opération

L’ancien sous-préfet, le maire, les responsables des Domaines, de l’Agriculture et de l’Elevage ainsi que des chefs de village et autres conseillers municipaux ont été interpellés mercredi dernier alors qu’ils allaient assister à une réunion. Ils croupissent à la prison de Kondengui au sujet de supposées malversations financières liées à l’indemnisation des occupants du tracé du chantier de l’autoroute Douala-Yaoundé.

Depuis vendredi, 22 février dernier, le sous-préfet d’Akom II, M. Abdou Kaïgama, séjourne à la prison centrale de Yaoundé-Kondengui. Il a été placé en détention provisoire ce jour-là en compagnie d’une dizaine d’autres personnes, parmi lesquelles M. François Bindzi Ebodé, le maire de la Commune de Lobo, arrondissement du département de la Lékié dans la région du Centre.

Ces personnes, en majorité des fonctionnaires, ont été appréhendées au sujet d’un scandale né du processus d’indemnisation, en 2014, des populations propriétaires d’une parcelle de terre et des investissements sur le tracé de l’autoroute Yaoundé - Douala en construction. Ce processus avait été émaillé de divers dysfonctionnements. Cinq ans plus tard, la justice vient de se saisir du dossier. Et c’est le Tribunal criminel spécial (TCS) qui a pris le taureau par les cornes.

Selon les informations recueillies par Kalara, l’indemnisation des propriétaires terriens situés sur le tracé du chantier de l’autoroute avait démarré sans heurt au départ, l’entreprise chinoise chargée des travaux procédant à l’époque au paiement à qui de droit de la contrepartie des biens engloutis par l’investissement. Il s’agissait aussi bien des mises en valeur agricoles ou autres que des parcelles de terre proprement dites. Mais, rapidement, la donne allait changer. L’administration récupérait l’ensemble du dossier et se chargeait de payer les indemnités d’éviction aux victimes. Un système présumé d’arnaque et de favoritisme allait se mettre en place.

Escouade d’OPJ

Au lieu de prendre en compte dans leur travail les investissements effectifs identifiés sur le site, la commission d’indemnisation ne va plus considérer que les parcelles de terre pour situer le montant de l’indemnité à payer à leurs propriétaires. Par endroits, des biens situés hors du tracé de l’autoroute auraient été pris en compte dans le calcul de l’indemnité. C’est à la fin du recensement des victimes et de l’évaluation de leurs biens, que le pot aux roses sera découvert. La liste des personnes à indemniser laisse apparaître que de nombreuses personnes inconnues dans l’arrondissement bénéficient des enveloppes parmi les plus consistantes.

Certains villageois cherchent en vain leurs noms ou sont surpris par la modicité de l’enveloppe qui leur est réservée. La liste des incongruités est loin d’être exhaustive.

Les mécontentements soulevés par la publication de la liste des personnes à indemniser sont tels qu’ils aboutissent à un soulèvement. Certaines victimes de l’arnaque vont procéder à des dénonciations auprès des autorités publiques (présidence de la République, Commission nationale anticorruption, Secrétariat d’Etat à la Défense chargé de la gendarmerie, ministre de la Justice, etc.), directement ou à travers une association dite de défense des droits des propriétaires terriens de Lobo. Entre 2014 et 2018, les mécontents vont maintenir la pression. Le président de la défense des droits des propriétaires terriens organise d’ailleurs une grève de la faim en 2018. Toutes ces démarches vont finalement aboutir à l’ouverture d’une enquête judiciaire.

En fait, saisi en juin 2013 d’une lettre d’intervention, le ministre de la Justice confie le dossier au procureur général près le TCS, qui s’appuie à son tour sur la division des enquêtes du corps spécialisé des officiers de police judiciaire (OPJ) rattachée à ses services. Les limiers du TCS vont descendre sur le terrain pour mener leurs investigations. Des séances de travail formelles sont faites sur le terrain, avant que l’affaire ne s’emballe en milieu de semaine dernière.

Très tôt le 20 février 2019, une escouade des éléments du corps spécialisé des OPJ du TCS descend à Lobo. Quelques jours auparavant, cette unité a passé des messages aux personnes concernées dans cette localité par les indemnisations foncières du tracé de l’autoroute, les invitant à une réunion à la mairie. Tous les responsables administratifs impliqués dans le processus, de même que le maire et certains conseillers municipaux de la commune de Lobo y sont attendus. Le préfet de la Lékié, M. Simou Kamsu Patrick, a effectué le déplacement de Lobo pour la circonstance, de même que M. Abdou Kaïgama, l’ancien sous- préfet de l’arrondissement, qui est aujourd’hui en service à Akom II, dans le Sud.

Des villageois qui se disent victimes des abus de la commission d’indemnisation sont de la partie, de même que des représentants de l’association qui leur a prêté main forte pour dénoncer la situation, mais aussi quelques badauds. A un moment, le commissaire de police qui conduit l’escouade des hommes en tenue va organiser les personnes présentes à la mairie en groupes. Il demande à ceux qui n’ont pas été invités à quitter les lieux. Puis, à la suite d’un échange téléphonique avec M. William Oko Petis, chef de la division des OPJ, il va transmettre son téléphone au préfet.

L’autorité administrative, après un bref échange avec son interlocuteur, informe l’assistance que la réunion va se dérouler à Yaoundé, au siège du TCS.

Préfet en sursis ?

En fait, la nasse mise en place par les enquêteurs a marché à merveille. Les suspects des malversations alléguées dans le processus d’indemnisation s’en rendront compte quand il faut organiser le voyage entre Lobo et Yaoundé.

Personne n’est plus autorisé à prendre son propre véhicule. Même pas le maire, le sous-préfet et le préfet. Le car du corps spécialisé des OPJ, de même que deux pick-up mobilisés pour l’affaire sont là pour recevoir tous ces interpellés qui n’ont pas encore été informés de leur nouveau statut judiciaire. Les policiers et gendarmes, avec des armes dissuasives en main, veillent à ce qu’aucune fuite ne soit possible.

Le cortège va alors s’ébranler sur Yaoundé dans une atmosphère lourde. C’est le début de la descente en prison pour certains. Un mode opératoire nouveau au TCS, qui montre que la division des enquêtes est entre les mains d’un nouveau patron.

Sur la vingtaine des personnes conduites au siège du TCS, douze vont être gardées après une brève déclaration du chef de division du corps spécialisé des OPJ. Le préfet et certaines autres personnes qui n’étaient là que pour aider à l’interpellation des suspects sont remis en liberté. Est-ce que le préfet de la Lékié a été simplement remis en liberté du fait de ses fonctions ou alors sa présence a simplement servi à masquer un coup de filet visiblement programmée d’avance ? Nul ne le sait. Toujours est-il qu’il va repartir dans son territoire de commandement. L’ancien sous-préfet de Lobo, le délégué départemental des domaines, son homologue de l’Agriculture à Lobo, le chef de service départemental de l’Elevage de la Lékié, de même que le maire, un conseiller municipal et deux chefs de villages vont être entendus pendant deux jours. Ils seront présentés au
procureur général près le TCS le jeudi soir. Dans la foulée, elles sont présentées au juge d’instruction, qui va les placer en détention provisoire à Kondengui.

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