Cameroun, Tribunal administratif: Un magistrat accuse Foumane Akame et feue Mme Essomba
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Cameroun, Tribunal Administratif: Un Magistrat Accuse Foumane Akame Et Feue Mme Essomba :: Cameroon

La justice vient enfin d’engager l’examen d’un dossier vieux de plus de 15 ans. Le plaignant s’en prend violemment à ses anciens patrons, qu’il incrimine d’avoir saboté sa carrière pour couvrir la corruption. Embarrassés, les juges décident de la suite du déballage à huis-clos.

Atravers son récit d’environ une heure de temps, M. Amougou Bernard a tenu la salle d’audience du Tribunal administratif de Yaoundé en haleine. C’était le 4 décembre 2018. Visage fermé, l’homme à la mise soignée, arborant un costume trois pièces assorti d’une veste mi-cuisse, est un magistrat dans la peau du plaignant. Il fait face à un collège de magistrats devant lequel il déplore des agissements excessifs attribués à d’autres magistrats accusés ouvertement de sabotage de sa carrière.

15 ans. C’est le temps qu’il a dû attendre pour que son affaire contre le ministère de la Justice (Minjustice) soit appelée en jugement public. Bernard Amougou ne le cache pas, il a rongé son frein en espérant avoir l’occasion de laisser éclater sa rage contre ceux qui ont démoli sa «vie». Les rappels du tribunal l’invitant à ne s’en tenir qu’à l’objet de sa requête du jour resteront vains, le plaignant ayant décidé de vider son sac jusqu’au bout.

Au terme de l’audience du jour, les juges ont finalement ordonné un huis-clos, c’est-à-dire que les audiences relatives à cette affaire se tiendront désormais loin des oreilles
du public.

Dans sa requête du 11 juillet 2003, déposée à la chambre administrative de la Cour suprême, il accuse le Minjustice de l’avoir privé de congé annuel trois années durant au cours des exercices 1999-2000, 2000- 2001 et 2001-2002. Pour lui, le refus, par l’administration, de lui faire bénéficier d’un droit acquis, d’avoir accès à un repos mérité alors qu’il occupait régulièrement son poste de travail où il a, au cours des années querellées, rédigé et signé 1000 décisions, a plombé son ambition de mettre en œuvre des projets personnels.

Faute d’avoir obtenu ce droit «inaliénable», le désormais ex magistrat, parti du corps, réclame à l’État, une compensation de 125 millions de francs.

En réplique à tous ces reproches, le Minjustice trouve son action irrecevable au motif que l’objet du recours gracieux préalable introduit à la chancellerie est différent de l’objet qui figure sur le recours contentieux présenté devant la haute juridiction en son temps.

D’après le Minjustice, le recours gracieux du 28 décembre 2002, initié par le plaignant, visait un avancement d’échelon, une reconstitution de carrière et une indemnisation, tandis que le recours en jugement est axé sur une indemnisation. Un défaut d’identité au sens de l’administration, jugé contraire aux exigences légales.

Au fond, l’administration fait comprendre que contrairement aux déclarations de Bernard Amougou, son nom est mentionné dans les arrêtés du ministre de la Justice octroyant aux magistrats leur congé annuel pour les exercices 1999-2000 et 2000- 2001.

S’agissant de la dernière année querellée, à savoir l’exercice 2001-2002, Mme Essome Siliki Pauline, magistrat représentant l’Etat à ce procès, affirme que son contradicteur ne pouvait pas bénéficier du congé annuel revendiqué dans la mesure où il avait abandonné son poste de travail, tel que le prouve des constatations effectuées et dénoncées par ses supérieurs hiérarchiques.

Arrêt de mort

En prenant la parole pour réagir à l’analyse des faits présentée par le juge rapporteur selon qui la démarche de l’ex magistrat est devenue «sans objet», les années de congé à problème ayant été largement consommées, M. Amougou s’est dit sur sa faim avant d’entreprendre d’édifier le collège des juges sur le contexte de la survenue des événements portés à leur connaissance. Dans son récit, il explique que son «arrêt de mort» a été signé en 1998, quand il a découvert un détournement de deniers publics à hauteur de 300 millions de francs opéré à travers de faux émoluments taxés et payés au personnel judiciaire relevant des juridictions de Bangangté, dans le ressort de la Cour d’appel de l’Ouest. Il indique que deux greffiers en chef avaient été mis à contribution pour commettre le forfait.

Dès ce moment, il est devenu gênant. Des «complots administratifs» se sont mis en place, suivis de règlements de compte.

D’un ton grave, l’ex magistrat a relaté qu’un dossier disciplinaire a été monté contre lui, justifiant sa traduction devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour répondre d’environ cinq chefs d’accusations distincts, notamment l’abandon de poste objet des congés qui lui ont été refusés. «Les plaintes qui soustendaient les accusations ont été signées à la chancellerie par les magistrats et non par des présumés plaignants.

M. Atangana Clément était le président de la commission chargée d’instruire mon affaire. Il a crié au scandale en prenant connaissance de la réalité des faits. J’étais placé en position d’absence irrégulière pendant cinq ans et je détenais curieusement, pendant toutes ces années, une attestation de présence effective au poste, signée du président du tribunal Jérôme Kouabou. Mon dossier administratif montrait que j’avais toutes mes notes signées de mes chefs hiérarchiques au cours de ces années-là.

Clément Atangana a constaté qu’après 16 ans de service, j’occupais toujours le 1er grade, 2e échelon. J’ai été gardé 10 ans au même échelon», se lamente-t-il.

Dans la suite de son propos, il fait savoir qu’une sanction d’abaissement de grade lui a été infligée en 1993. «Après exécution, les effets de la sanction sont devenus caduques en 1996, mais je n’ai plus jamais avancé. M. Amadou Ali a refusé de me proposer à l’avancement en 2003, estimant que j’étais toujours sous le coup de la sanction, alors que mon chef hiérarchique m’avait trouvé éligible à un avancement. M. Amadou Ali réclamait ma révocation pour récidive. Je suis resté sous le coup de cette sanction abusive pendant huit ans, alors que je devais bénéficier de la réhabilitation de l’article 63 du décret portant statut de la magistrature.

M. Atangana Clément a demandé au chef de l’État de me réhabiliter et de reconstituer ma carrière. M. Foumane Akame a fait la sourde oreille. J’ai finalement obtenu l’avancement en régulation aux 3e et 4e grades en 2005.»

La liste des griefs ne s’arrête pas là. A en croire l’ancien magistrat, plusieurs collègues nommément cités ont prêté main forte à la machination ourdie pour nuire à son épanouissement professionnel et provoquer sa «révocation d’office» du corps de la magistrature.

Certains ont antidaté et travesti le contenu des documents utilisés pour le mettre en difficulté, mais il garde particulièrement une dent à trois d’entre eux. Il s’agit de feue Josette Ripault Essomba, inspectrice générale au Minjustice pendant des décennies, de M. Foumane Akame Jean, ex conseiller juridique du chef de l’Etat et actuel membre du Conseil constitutionnel et M. Mbakop Saker, magistrat retraité. M. Amougou soutient qu’ils ont «broyé» sa carrière. «Ces membres de la chancellerie ont avalé ma carrière. Leurs abus ne se comptent plus. Je ne suis pas un cancre. Je suis sortie de l’Enam en 1987 avec 16 de moyenne. Mme Essomba est morte. Elle fera face à la justice de Dieu. M. Foumane Akame est encore là. Il doit payer. Le chef de l’Etat doit le savoir.»

Dénouement en catimini

Autre point de discorde relevé par le plaignant, les atermoiements connus par la procédure en jugement.

Il explique que MM. Foumane Akame et Mbenoun ont intimidé feu Me Song Sebastien, son conseil de l’époque, pour obtenir qu’il boycotte le suivi de son dossier. Résultat : deux de ses trois recours ont connu un dénouement judiciaire à son insu. «J’ai attendu 15 ans, alors que l’instruction du dossier a été clôturée en 2003 par Clément Atangana. J’ai cherché le dossier pendant 12 ans. Il n’a pas existé dans le circuit judiciaire entre 2003 et 2015. Quand Clément Atangana a pris sa retraite le 14 décembre 2014, mon dossier
était introuvable à la Cour suprême.

J’ai adressé une correspondance à André Belombe le 2 février 2015. C’est le 6 juin 2015 qu’un greffier de la chambre administrative m’a appelé pour me dire qu’il a été transmis au Tribunal administratif le 15 avril 2015 et que les références m’ont été communiquées.»

Interrompu par le président du tribunal, qui souhaitait que le débat se cristallise uniquement sur le recours en jugement, l’ancien magistrat a perdu patience et indiqué qu’il n’en avait pas fini.

Las de se faire interrompre, il a sollicité un huis-clos pour lui permettre de s’épancher davantage. Il a surtout insisté sur le fait qu’il est temps que le chef de l’Etat soit mis au parfum des agissements de certains responsables.

En bouclant son audience du 4 décembre 2018, le tribunal a ignoré l’opinion du Minjustice, qui disait ne pas voir la nécessité d’un huis-clos dans le cadre de ce dossier. Le débat se poursuit le 9 janvier 2019 à l’abri du regard du public

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