Paul Biya, 85 ans, face à une nouvelle classe politique
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Paul Biya est-il un fétichiste du chiffre 7 ? Le 7 octobre, le président camerounais sollicitera un septième mandat pour une durée de sept ans.

Paul Biya est aussi un recordman. A 85 ans, il est le chef d’Etat le plus âgé d’Afrique. Arrivé au pouvoir en novembre 1982, il n’est pas le doyen politique du continent - ce titre est détenu par l’Equato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema, qui est à la barre depuis septembre 1979 - mais il est le doyen d’âge. Et n’en déplaise à l’ambassadeur des Etats-Unis à Yaoundé, qui l‘invite publiquement à s’inspirer de George Washington et de Nelson Mandela, c’est-à-dire à se retirer, le président camerounais tente de s’accrocher à son fauteuil. Contrairement aux chefs d’Etat de sa génération, qui, volontairement ou non, ont quitté le pouvoir l’an dernier - l’Angolais José Eduardo dos Santos et le Zimbabwéen Robert Mugabe - le président camerounais veut « rempiler ». S’il est réélu, il pourra rester au palais d’Etoudi de Yaoundé jusqu’à l’âge de… 92 ans.

Face à lui, la classe politique camerounaise est en voie de rajeunissement. Certes, depuis leurs fiefs respectifs de l’Ouest et de l’Extrême-Nord, les septuagénaires Adamou Ndam Njoya, 76 ans, et Garga Haman Adji, 74 ans, se lancent une nouvelle fois dans la bataille présidentielle. Mais quatre nouvelles têtes apparaissent. A 66 ans, le célèbre avocat international Akere Muna, qui a longtemps milité à Transparency International, veut faire de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. A 64 ans, l’ex-ministre délégué à la Justice, Maurice Kamto, veut capitaliser sur sa victoire judiciaire contre le Nigeria, lors du bras de fer territorial sur la presqu’île de Bakassi. A 49 ans, le député et homme d’affaires Joshua Osih reçoit l’onction du charismatique Ni John Fru Ndi pour porter désormais les couleurs du Social Democratic Front (SDF), le principal parti d’opposition. A 38 ans, le juriste et éditorialiste Cabral Libii se revendique comme le… « Macron du Cameroun ».

Crise anglophone

2018 est une première. Depuis novembre 1982, Paul Biya gouvernait un pays en paix. Il en faisait même son principal argument politique auprès de ses compatriotes et de la communauté internationale. Mais cette fois-ci, pour la première depuis 35 ans, le président « garant de la paix » se présente à une élection dans un Cameroun touché par la guerre. Certes, dans la région de l’Extrême-Nord, la lutte contre Boko Haram commence à porter ses fruits et le conflit baisse en intensité. Mais dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, qui représentent 20% de la population, les attentats sécessionnistes se multiplient. Le 12 juillet dernier, le convoi du ministre de la Défense a essuyé des tirs près de Kumba. Depuis 2016, au moins 80 militaires et policiers ont été tués. En représailles, l’armée incendie les villages suspectés d’abriter les rebelles et tue des civils. Depuis le début de l’année, Human Rights Watch (HRW) a enregistré la mort de 12 civils (écouter et lire l’interview de Jonathan Pedneault, chercheur à HRW, le 20 juillet 2018, sur RFI), dont l’ONG possède les noms, ainsi que la date et le lieu de leur assassinat par les forces de sécurité camerounaises. Selon HRW, le nombre total de civils tués par l’armée est sans doute beaucoup plus élevé.

L’objectif des sécessionnistes anglophones ? Perturber le scrutin du 7 octobre pour essayer de montrer la faiblesse du régime de Paul Biya. Celui-ci est conscient de l’enjeu. Le porte-parole de l’armée camerounaise, Didier Badjeck, déclare : « La campagne va se dérouler sur l’ensemble du territoire. Nous sommes prêts à relever le défi sécuritaire avec professionnalisme. » Le régime pourra-t-il gagner son pari ? Du fait de la guerre, il y a actuellement quelque 160 000 déplacés à l’intérieur des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et plus de 20 000 réfugiés au Nigeria voisin, dans les Etats de Cross River et de Benue (écouter et lire les reportages auprès des Camerounais réfugiés au Nigeria, en avril 2018, sur RFI). Et Abdoul Karimou, le directeur général adjoint d’Elecam, l’organe chargé des élections, confie à Jeune Afrique : « Nous avons des bureaux de vote dans toutes ces zones-là [du Nord-Ouest et du Sud-Ouest] et nous allons certainement délocaliser certains bureaux de vote. (…) Nous n’allons pas organiser des élections et mettre les acteurs du processus et les électeurs eux-mêmes en danger parce qu’il faut que les élections aient lieu. »

Plus la date du 7 octobre approche, plus le ton monte entre l’opposition et le pouvoir sur la question anglophone. Joshua Osih lance : « On n’a pas de leadership. Le président passe le plus clair de son temps à l’étranger et pense qu’envoyer l’armée, comme il l’a fait dans les années 1960 avec l’UPC [l’Union des populations du Cameroun], peut régler ce problème. Il ne peut pas. » Le ministre de l’Enseignement supérieur Jacques Fame Ndongo, qui est le secrétaire à la communication du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) - le parti au pouvoir - réplique : « Le Cameroun n’est pas l’enfer que l’on présente, au contraire. (…) Dans le Sud-Ouest, le Nord-Ouest et l’Extrême-Nord, l’Etat a pris des dispositions pour que l’élection ne soit pas perturbée. »

Que faire pour résoudre la crise anglophone ? Au nom du candidat Paul Biya, Jacques Fame Ndongo propose une « concertation » en vue « d’intensifier et d’accélérer la décentralisation », dans le cadre du maintien de l’Etat unitaire (écouter et lire l’interview de Jacques Fame Ndongo, le 28 février 2018, sur RFI). Les candidats Joshua Osih et Akere Muna, qui sont tous deux nés en zone anglophone, prônent une solution simple : le retour au fédéralisme, qui a prévalu au Cameroun d’octobre 1961 à mai 1972, sous la forme de deux Etats fédérés réunis au sein de la République fédérale du Cameroun. « Il ne faut pas faire du fétichisme, affirme de son côté le candidat Maurice Kamto. Quelquefois, comme en Espagne ou en Italie, le degré d’autonomie est plus poussé dans le cadre de la régionalisation que dans certaines formes de fédéralisme » (écouter et lire l’interview de Maurice Kamto, le 18 avril 2018, sur RFI).

Opposition divisée

Outre le retour à la paix, le développement est le grand enjeu de cette élection. Dans ce pays de 22 millions d’habitants, 8 millions de personnes, soit 37% des Camerounais, vivent en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire concrètement avec moins de 1,90 dollar par jour, selon l'ONU. Pas de sécurité sociale. Pour se faire soigner à l’hôpital, même en cas d’urgence, il faut d’abord payer le personnel médical… Et la catastrophe ferroviaire d’Eseka – 79 morts, le 21 octobre 2016 – en dit long sur l’état de délabrement des transports publics. Dans la population, la demande de changement est très forte. En octobre 1992, ce besoin s’est exprimé par le vote d’une majorité de Camerounais en faveur de l’opposition (36% pour John Fru Ndi, 19,2% pour Bello Bouba Maigari, 3,6% pour Adamou Ndam Njoya). Avec 40% des suffrages exprimés – selon les résultats officiels, vivement contestés par l’opposition – Paul Biya n’a gagné à l’époque que grâce au système de scrutin à un seul tour.

Dans le même contexte d’une élection à un seul tour, la désunion de ses adversaires fait toujours le jeu du sortant Paul Biya. Malgré plusieurs rencontres discrètes entre eux, les ténors de l’opposition ne sont pas parvenus à s’entendre sur une candidature unique. « Je n’y crois pas, ce n’est pas réaliste », confie Maurice Kamto à l’AFP. « Une candidature unique n’est pas indispensable à une victoire contre monsieur Biya », affirme de son côté Joshua Osih, qui rêve de réaliser la même percée que son mentor Fru Ndi en octobre 1992. « Nous avons gagné en 1992 sans coalition et nos forces sur le terrain peuvent nous permettre de gagner », ajoute le candidat du SDF, qui est persuadé que le « chairman » John Fru Ndi est le véritable vainqueur d’octobre 1992 et que le SDF est assez fort cette année pour aller seul à la bataille.

Depuis le scrutin très serré de 1992, le pouvoir a retenu la leçon. Grâce à son contrôle sur le processus électoral et les finances publiques, il verrouille les élections avec l‘aide du parti RDPC. Pour déjouer la fraude, le SDF annonce la formation de 48 000 scrutateurs, qui surveilleront les quelque 25 000 bureaux de vote ouverts le 7 octobre. Mais il reste à surveiller aussi – et surtout – la phase la plus critique du vote, celle de la compilation des résultats. Sous le prétexte de travaux de remplacement sur sa fibre optique, l’opérateur sud-africain de téléphonie mobile MTN annonce la coupure de son réseau du 7 au 9 octobre, c’est-à-dire le jour du scrutin et les deux jours suivants. Pour de nombreux observateurs, cette coupure à la date-clé de l’élection n’est pas une coïncidence. Elle ne peut être que le résultat de pressions politiques sur l’opérateur… « Vu son âge, Paul Biya livre sans doute son dernier combat et se donne tous les moyens pour le gagner », estime un observateur à Yaoundé. Paul Biya part en pole position, mais il affronte une nouvelle classe politique, combative et ambitieuse.

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