HÔPITAL GÉNÉRAL DE YAOUNDÉ : La poupée russe qui casse tous les bistouris
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Prise par n’importe quel bout, l’affaire des indemnisations des populations autochtones de Ngousso (Yaoundé V) finit par avoir raison de tous.

Quand j’entends dire à la radio que le site sur lequel a été construit l’’hôpital général de Yaoundé ne serait pas le notre, cela me fait rire… Tout au moins, je ris ceux qui, souvent, clament leur indigence intellectuelle sur les ondes». Godefroy Manga, prend son parti dans ce qui apparaît ces jours-ci comme juxtaposition dissonante de vraies et de fausses vérités.

«On raconte partout que nous avons eu de l’argent avec des surplus. De quel argent s’agit-il?», peste-t-il en invitant le regard sur le décor. «Voyez-vous, dans quel type de maisons habitent les Mvog-Ebanda!» Ce 29 juillet 2016, la scène donne à voir presque tout  ce que Ngousso cache dans ses plis. Ainsi, l’oeil descend ostensiblement dans une profondeur de champs multiples, bifurquant au hasard des carrefours, à peine suggérés dans les embouteillages.

Le quartier n’est pas dessiné au crayon. Il témoigne confusément d’un jeu de portes, de couloirs, de taudis, de bas fonds et de ruelles déglinguées. À l’image du monde féodal qui n’a plus d’unité centrale, sa configuration n’a donc pas vraiment de centre ni périphérie. L’espace derrière l’hôpital général tout comme les habitations qu’il met en orbite requièrent alternativement une vision proche et une vision lointaine de bidonville.

Ici, l’oeil se perd dans la densité des aplats des toits poussiéreux, des lignes ondulantes des mauvais branchements électriques, le tout dans des sites dont on n’a pas fini d’entendre les mauvaises rumeurs.

Désordre

C’est donc dans ce cadre que vivent en majorité les Mvog-Ebanda. Au sujet du site qui abrité depuis près de deux décennies l’une des formations sanitaires les plus importantes du Cameroun, Godefroy Manga, grande figure du patriarcat de Ngousso (Yaoundé V), est confus. «A vrai dire, mon esprit ne peut suivre tout çà. C’est pour moi comme un ciel immense parcouru d’une lumière trouble», marmonne cet ancien instituteur.

Pour lui comme pour ses congénères Mvog-Ebanda (la tribu autochtone de Ngousso), le feuilleton des indemnisations liées à l’expropriation et au déguerpissement du site actuel de l’Hôpital général de Yaoundé, structure chaque jour plusieurs tableaux. A en croire Godefroy Manga, «cette affaire est une poupée russe qui casse tous les bistouris». L’image utilisée par le vieil homme ouvre un vaste boulevard fait de réclamations collectives, individuelles, disproportionnées et parfois intempestives.

«Nous avons revendiqué bruyamment l’autre jour, le ministre Mama Fouda nous fait savoir qu’une solution définitive allait être trouvée d’ici peu», fait valoir Sébastien Essomba. Si selon lui, le motif principal de la colère des Mvog- Ebanda était connu et légitime, tout est vite allé dans un sens inverse à celui planifié. «Les réclamations sont vite apparues dans différents formats et supports. Et elles ont été adressées au ministre. Il a tout de suite remarqué que quelques choses manquaient », lâche-t-il.

A comprendre  ici que la complexité du dossier d’indemnisations des autochtones de Ngousso tient au détournement habile par certains des composantes importantes de la paperasse (titres de propriété, certificat de non appel). «Si nous sommes dans cette situation aujourd’hui, tranche Sébastien Essomba, c’est à cause de la multiplicité de sens que nous avons-nous-mêmes donné à l’affaire».

Occasion ratée

C’est probablement la raison pour laquelle la communauté Mvog-Ebanda avait « raté » Paul Biya lui-même le 05 juillet 2011. «Ce jour-là, nous n’étions prévenus de rien. Nous ne savions pas que le monsieur qui est censé arranger définitivement cette affaire était venu en personne ici à Ngousso et à l’hôpital général même !», regrette Appolinaire Essouma. Pour ce jeune pompiste, «ça aurait véritablement été la bonne occasion pour en parler au chef de l’Etat, de lui présenter le vrai fond du dossier et lui remettre un mémorandum à mains propres».

Son épouse ajoute qu’«on lui aurait présenté la vrai situation de ce quartier avec des membres des familles autochtones qui, faute de mieux, après la construction de l’hôpital général, se sont installés le long des rails». La contemplation du séjour de Paul Biya dans ce périmètre de Ngousso (il y était pour rendre visite à son frère aîné, Mvondo Assam, 84 ans, transporté d’urgence dans cette formation hospitalière à la suite d’un accident de voiture qui avait eu lieu aux environs de Mvomeka’a, le village natal de la famille du chef de l’Etat), reste empreinte de regrets ici.

N’importe qui étreint dans ses délires l’image de lui-même parlant de l’ «affaire du terrain de l’hôpital général arraché» au président de la République. «Souvent, je me dis que le président allait ordonner le déblocage de cet argent une fois qu’on allait faire le sit in devant sa voiture. Et s’il n’y avait pas de courageux pour lui dire comment on nous a volé le terrain, je devrais le faire», entend-on parmi quelques vieilles dames aux biceps affaiblis par l’âge.

Symétrie

Pourtant, malgré l’effet de cette intense et cruelle douleur inscrite à même la chair et l’esprit de ces natifs de Ngouso, certains parmi eux campent plus ou moins avec la réalité. Ceuxlà, leurs mots ne résonnent pas avec une sourde insistance. Mais la présence de ces gens dans «le suivi du dossier collectif» est d’autant plus forte qu’elle est dans une époque où semble dominer le vocabulaire de la transparence au Cameroun.

«Nous avons entendu que la Conac a découvert une affaire de détournements de fonds publics destinés au populations de l’incendie de Nsam. Nous nous demandons si cette Conac n’est pas elle aussi au courant de notre dossier d’indemnisations », hurle Appolinaire Essouma. Ce qu’il dit trahit ses soupçons: il y aurait eu détournement des indemnisations de Mvog-Ebanda. En amont ou en aval, peu importe le lieu. Sans doute pour lui et pour beaucoup d’autres, «quand il s’agit d’importantes mallettes d’argent dans ce pays, même les tigres deviennent des herbivores».

C’est cette «faune d’ogres» qui aurait travaillé à fissurer la muraille construite par quelques élites. Tout est dit au conditionnel. Cette impossibilité d’interpréter avec certitude le contexte est trop vite recouverte par des commentaires. Ces derniers, aussi savants soient-il, tendent précisément à rendre compte du contrepoint silencieux de la Conac et de certaines organisations non gouvernementales.

Selon les dires, le seul exploit de ces instances est d’«avoir remis sur la table la notion d’utilité publique à cause de laquelle l’hôpital général a été construit là». Le reste est, selon les autochtones de Ngousso, épluché avec des arguments minuscules et fragiles par ces structures. D’autres phrases laissent échapper une condamnation sans réserve du droit foncier camerounais. 

Procès

«Les lois du Cameroun apportent une certaine sécurité d’occupation aux fermes et parcelles non enregistrées, mais seulement dans la mesure où une indemnité (limitée) est versée afin de compenser la perte permanente de récoltes ou d’infrastructures lorsque le gouvernement réquisitionne ces terres à d’autres fins».

Un avocat avait glissé cette phrase à l’oreille de Godefroy Manga. Ce jour, il la remue dans tous les sens puis s’interroge: «Ces terres non enregistrées, comme celles qui abrite l’hôpital général de Yaoundé (ce qui est le cas de la plupart des terres du Cameroun) peuvent notamment être cédées en pleine propriété, à bail, ou dans le cadre de licences d’occupation exclusives au profit de bûcherons, de mineurs, de propriétaires de ranch, d’entrepreneurs, ou au profit du gouvernement (sous la forme de forêts domaniales) par les pouvoirs publics».

A en croire le vieil homme, le gouvernement agit de la sorte pour maintenir le flou sur la définition juridique du terme «fins publiques». «Elle est très vaste et d’autre part, parce que le droit camerounais ne reconnaît pas la propriété foncière coutumière comme équivalente aux droits réels de propriété immobilière, avec les obligations légales que cela comporterait, comme, par exemple, celle de verser aux propriétaires coutumiers la valeur marchande des terres que le gouvernement s’approprie», récite-t-il.

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