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© Camer.be : Propos recueillis par Hugues SEUMO
- 14 Jul 2015 11:17:47
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Cameroun, Prof Shanda Tonme "Je suis très peiné de lire ce rapport chaque année, parce qu’il y a des choses que nous ne méritons plus et qui se perpétuent" :: CAMEROON
La semaine dernière, comme à l’accoutumée, le Département d’Etat a rendu public son rapport annuel sur la situation des droits de l’Homme dans le monde, et dans lequel le Cameroun, comme d’habitude, est épinglé. Au-delà des analyses, avec leurs lots d’indignations ou d’approbations,nous avons rencontré à chaud le professeur Jean Claude Shanda Tonme que l'on ne présente plus, afin qu'il commente cette actualité. Lisez plutôt
Bonjour Prof, quelle lecture faites-vous du dernier rapport sur les Droits de l’Homme au Cameroun publié récemment par les Etats unis d'Amérique?
D’abord, il est important de rappeler que ce rapport n’est une surprise que pour ceux qui ne sont pas habitués aux pratiques de la politique étrangères des Etats unis d’une part, et au jugement global que porte les Etats unis sur le système de gouvernance de notre pays et particulièrement en ce qui concerne les droits de l’Homme et les libertés fondamentales d’autre part. Il me semble d’ailleurs cardinal de souligner qu’aussi bien sur la forme que sur le fond, il n’y pas lieu de se montrer surpris. Les grands thèmes demeurent les mêmes, les constats aussi, les observations et les affirmations encore mieux. Qu’y a-t-il vraiment de nouveau quand on dit que notre construction administrative et politique repose sur des articulations tribales, et bien plus sur la domination de l’ethnie du président ? Les membres du gouvernement ne cessent de l’affirmer et ne montrent aucune gêne sur les implications qui nous font ressembler à un système de développement séparé, ce qui veut dire en clair apartheid. Le ministre de l’enseignement supérieur, répondant aux députés à propos du scandale de l’IRIC, avait dit qu’il était cohérent avec le décret sur les concours officiels. Je vous rappelle que ce décret stipule qu’à la suite de chaque concours, le ministre de la fonction publique détermine quel quota revient à chaque ethnie, et plus loin, qu’est considéré comme ethnie du candidat, l’ethnie d’origine de ses parents. Mais seulement, on ne dit pas ce que l’on fait des candidats dont les parents sont d’origines ethniques différentes. Il me semble aussi qu’une photographie honnête de nos réalités au quotidien, fait vraiment honte, mais la honte a-t-elle encore un sens dans ce cas.
Personnellement je suis très peiné de lire ce rapport chaque année, parce qu’il y a des choses que nous ne méritons plus et qui se perpétuent. Cela dit, il faudrait aussi que les auteurs du rapport n’aillent pas au-delà de certaines déclarations et observations, et prennent en compte ce qui est ébauché comme correction, tentatives de réparation et de changement.
Ce rapport est-il un fidèle miroir de la réalité des droits de l’Homme au Cameroun ?
Si vous parlez de fidèle miroir, je crois que j’ai déjà répondu à la question, en reconnaissant que rien de ce qui y est dit n’est à contredire, sauf peut-être l’omission des efforts ou des tentatives d’efforts pour maire mieux, pour corriger. Notre maladie est dorénavant trop connu : un tissu légal dense ; un cadre législatif et règlementaire avancé par certains aspects et sur certaines questions ; une volonté affichée tout à fait formelle d’aller de l’avant, mais une pauvreté absolue et effrayante dans l’application, l’exécution, le contrôle, la supervision et la sanction. Le système de gouvernance camerounais manque de faculté de coordination élaborée et patauge dans une anarchie qui fait croire que nous sommes en présence d’un tantôt d’un fédéralisme tronqué, tantôt dans une autocratie bancale, et tantôt dans le règne d’une confusion cruelle qui banalise, fragilise et hypothèque tous les droits, tous les attributs, tous les statuts et tous les acquis à la fois. Pensez par exemple à la fragilisation des titres fonciers, au droit du travail qui n’en n’est plus un, aux actes d’état civil complètement dépravés et perturbés. On retrouve des terrains avec trois voire quatre titres fonciers, de même que des individus changent de nom, font plusieurs mariages illégalement et posent des actes au vu et au su de tous. Tout cela nous expose et nous fragilise terriblement. Le rapport américain est de ce point de vue, une simple récitation que nous pouvons mieux faire que quiconque.
D'après vous la publication de ces rapports peut-elle avoir un impact sur l’état des Droits de l’Homme au Cameroun ?
En principe, aucun Etat ne reste insensible à des critiques de cette nature, de cette ampleur et de cette densité. Mais j’avoue que les Etats unis dressent sur nous un rapport comme nous pouvons également en dresser sur eux, sur leurs actions à travers le monde, sur les problèmes internes de racisme récurrents chez eux. Ce qui constitue le fond, c’est l’obéissance à quelques canons des droits et des libertés, entendus alors comme des référentiels consacrés par les grands principes dont la civilisation occidentale en donne une interprétation quelque peu sectaire, selon les intérêts géopolitiques et géostratégiques. Vous savez très bien par exemple que ni la France et encore moins les Etats unis, ne s’hasardent à poser le problème des droits de l’homme et des libertés comme conditionnalités dans l’articulation des rapports avec l’Arabie Saoudite, pour ne citer que ce cas –là.
Je dois au moins vous dire que le jour où on nous a classé premier pays corrompu, le gouvernement a tout mis en œuvre pour faire bouger les lignes, même si quelques années plus tard, le phénomène s’est aggravé au lieu de s’atténuer. Donc, nous en tenons toujours compte. Je dis bien nous, car je vis au Cameroun, et c’est la responsabilité de chaque Camerounaise et Camerounais, de travailler à corriger les défaillances, à faire avancer le pays, à faire changer, que l’on soit officiel ou société civile.
Selon vous, quel est l'objectif de la production et de la publication par le pays de l'oncle Sam de ce rapport sur l’état des droits de l’Homme au Cameroun ?
Le rapport annuel qu’élabore et publie le Département d’Etat fait partie des obligations inscrites dans l’organigramme des affaires étrangères. Ce rapport conditionne le vote des fonds alloués par le congrès des Etats unis pour la conduite de la politique internationale de l’Union, et spécialement le déroulement de la coopération avec chacun des Etats membres du système onusien et acteur de la scène diplomatique planétaire. Par ailleurs, et sans vous refaire l’histoire de la construction des Etats unis et de la constitution du fédéralisme américain, la bataille fut très rude entre les petits Etats et les grands Etats dans la conception des pouvoirs du gouvernement fédéral, de l’exécutif fédéral et du président des Etats unis, chef de la Maison blanche. Les petits Etats craignaient que les Grands Etats n’engagent le pays internationalement dans des aventures dangereuses sans leur assentiment. La composition, les pouvoirs et les prérogatives du Sénat. Le Sénat a donc été conçu comme l’institution spécifique de contrôle et de validation des engagements internationaux de l’Union. Or le dogme central de la coopération avec les autres Etats tire sa substance de la volonté d’évaluation du niveau de respect des grands principes des droits de l’Homme, des libertés et de la gouvernance. Ce rapport joue un rôle très important. Pour vous donner une idée de la puissance du Sénat en politique étrangère à travers le contrôle des engagements de l’Union, c’est le Sénat qui bloqua la création de l’organisation mondiale du commerce en 1948. Il a fallu attendre plusieurs décennies pour qu’enfin le cycle des négociations de l’Uruguay round aboutisse à la création de l’OMC.
Bon, est-ce que le rapport fera quelque chose sur les droits de l’Homme dans notre pays ? Chacun de nous peut faire son commentaire et libérer ses attentes. Il demeure que les relations entre Etats recoupent une somme d’intérêts, d’aléas, de supposés, de dits et de non-dits qui ne permettent pas toujours de de déduire des conclusions de quelques rapports ou déclarations.
Pr Shanda Tonme, merci.
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