Pourquoi soutenir un président de 92 ans est une erreur biologique, politique et morale
CAMEROUN :: POINT DE VUE

CAMEROUN :: Pourquoi soutenir un président de 92 ans est une erreur biologique, politique et morale :: CAMEROON

Monsieur le Ministre, cher Professeur,
C’est avec gravité que je vous adresse cette lettre. Vous qui m’avez enseigné la biologie en classe de Terminale D au Collège Vogt, cette science du vivant, cette vérité rigoureuse inscrite dans nos cellules, nos organes, nos os. Vous qui, hier encore, dans votre appel aux populations du Mfoundi, demandiez aux Camerounais de voter pour Paul Biya, un homme de 92 ans, comme s’il pouvait encore porter l’avenir d’un pays de 28 millions d’habitants pour les sept prochaines années.

Vous m’obligez à faire ce que je n’aurais jamais imaginé : vous rappeler, à vous, mon ancien professeur, les lois que vous m’avez vous-même enseignées. Vous m’obligez à vous faire un cours de biologie. Avec le respect qu’on doit aux maîtres, Mais avec l’exigence qu’on attend d’eux.

Le vieillissement est un processus naturel, progressif, irréversible. Chez l’être humain, il affecte progressivement les fonctions physiologiques, cognitives, sensorielles et motrices. C’est une vérité universelle, documentée par toutes les sciences médicales. À 92 ans, la plasticité cérébrale est réduite, les fonctions exécutives sont altérées, la mémoire de travail affaiblie, la vitesse de traitement de l’information considérablement ralentie. Le risque de démence atteint des sommets selon l’OMS, une personne sur deux à cet âge en souffre, même sous forme légère. Le temps de réaction s’allonge, l’attention se fragilise, la confusion devient plus fréquente.

Sur le plan physique, la mobilité diminue, la fatigue devient chronique, la récupération est lente, la vue et l’audition déclinent. Le corps n’a plus cette vigilance naturelle qui permet de percevoir les signaux faibles, de comprendre rapidement, de réagir efficacement. Le système immunitaire est affaibli, le système cardiovasculaire aussi, et la circulation cérébrale ralentit, affectant la mémoire et la vigilance. Même l’axe hormonal qui régule notre rapport au stress et à la prise de décision devient instable.

Et même lorsque le vieillissement est « réussi », les scientifiques constatent une préférence pour la routine, une intolérance au changement, une capacité réduite à gérer des situations nouvelles ou complexes, une tendance à surévaluer les souvenirs anciens au détriment des faits présents. À 92 ans, même un esprit autrefois brillant n’a plus, biologiquement, la capacité de soutenir la charge symbolique, cognitive et physique que représente la présidence d’un État moderne.
Monsieur le professeur Etoundi Ngoa, vous qui avez enseigné à des générations d’élèves le respect des lois naturelles du vivant, pouvez-vous aujourd’hui soutenir, la main sur le cœur scientifique, qu’un homme de 92 ans est encore apte à gouverner un pays ? Ce n’est ni biologique, ni pédagogique, ni responsable.

La biologie n’est pas une opinion. Ce n’est pas un choix politique. C’est une science du réel. Et elle dit simplement ceci : à 92 ans, un être humain a besoin de repos, pas de pouvoir. Il appartient à ceux qui ont enseigné la science de transmettre cette vérité, pas de la nier au nom d’une fidélité politique qui, elle, n’obéit à aucune loi naturelle.

Cher Professeur, avouez-le : vous n’êtes plus dans la biologie, vous êtes entré dans la mythologie. Vous êtes passé de Pasteur à Prométhée, de Darwin à Houdini. Ce que vous proposez aux populations du Mfoundi, ce n’est pas un projet politique, c’est de la sorcellerie. Car vous le savez mieux que quiconque : à 92 ans, la mémoire chancelle, les fonctions exécutives déclinent, la réactivité cérébrale ralentit, le corps fatigue plus vite, et le jugement s’émousse même chez les plus brillants.

Il ne s’agit pas ici de stigmatiser la vieillesse. Il s’agit de dire, avec vous autrefois, que les fonctions cognitives sont soumises à l’érosion du temps. Gouverner un pays n’est pas une simple formalité administrative. C’est une épreuve permanente pour le corps et pour l’esprit. Cela exige une lucidité stratégique, une réactivité constante, une intelligence adaptative, une énergie nerveuse soutenue. Tout ce que la nature donne à quarante ans, elle le reprend progressivement après soixante-dix. À 92 ans, c’est l’intelligence du repos, et non celle du pouvoir, qui doit prévaloir.

Et vous, biologiste, ministre de l’éducation de base de surcroît, venez affirmer devant les populations du Mfoundi que c’est là l’homme de la situation ? Pourquoi leur mentir ? Que vous ont-ils fait dans le Mfoundi pour que vous leur serviez une telle absurdité ? Faut-il que votre ambition politique aille jusqu’à mépriser à ce point la vérité biologique, la dignité humaine, la simple évidence ?

Le colonisateur lui-même n’aurait pas osé une telle manipulation cognitive sur les pauvres africains que nous sommes . Et vous, vous osez. Vous n’avez pas seulement trahi vos élèves. Vous avez trahi Pasteur, Darwin, Lamarck, Newton, les électrocardiogrammes, la gravité, les IRM. Vous avez trahi la connaissance. Quel gâchis Prof!

Je vous le dis avec tristesse : vous êtes passé du partage du savoir à l’abrutissement des masses , de la lumière de la science à l’obscurité du pouvoir. Vous étiez un professeur, vous êtes devenu ministre. Mais votre devoir n’a pas changé. Face à la vérité du monde, face à l’évidence biologique, vous choisissez désormais de fermer les yeux et de demander aux autres d’en faire autant. Paul Biya, ce président que vous soutenez envers et contre la biologie, aura réussi à vous faire défier l’intelligence, à réduire au silence la science, à ruiner jusqu’à votre propre héritage d’enseignant!

On dit parfois que l’élève doit dépasser le maître. Aujourd’hui, je vous écris pour simplement vous rappeler ce que vous nous avez appris. Et si vous avez quitté le camp de la science, laissez-moi y rester. Gouverner à 92 ans n’est plus une ambition. C’est une erreur contre-nature.
Vous avez encore le choix. Celui de la vérité.


Jean-Pierre Bekolo
Votre ancien élève de Terminale D, Collège Vogt.

Lire aussi dans la rubrique POINT DE VUE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo