Un académicien nommé Paul Biya
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Chez nous, c’est le Roi-président qui donne le tempo. C’est le maitre des horloges, nous diton.C’est même lui qui inspire (quand l’envie lui vient) le lexique national et on ne serait pas surpris de le voir postuler ces jours-ci à une entrée fracassante à l’Académie française, question d’émuler son illustre congénère, Léopold Sedar Senghor. Tenez par exemple : quand le président souffle un « je vous verrai » à Albert Roger Milla après un match de football, c’est tout le pays qui s’approprie l’expression et chacun dans son coin cherche une faille pour en mettre une à son voisin. Quand le Roi reprend un de ses ministres « égaré » sur la notion de « grand débat » pour emmener le « large débat », l’expression fait flores pour finalement s’apparenter au postérieur féminin. Quand on vous parle de l’osmose entre un peule et son dirigeant.

Quand Paul Biya évoque la résilience de son pays face aux difficultés économiques, le concept sonne savant et est fiévreusement repris par tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir dans l’espace national. On a ainsi entendu un chef de quartier parler de la résilience de son quartier face aux nids de poule qui se multiplient. Voilà des propos qui vous redonnent de la hauteur. Et ce n’est pas tout. Quand le Patron monte au créneau pour annoncer que le Cameroun sera prêt « le jour dit » pour la Can 2019, le génial jeu de mot devient le bréviaire des journalistes de la Crtv qui, tels des perroquets déchainés, le sérine en longueur de journée pour finalement l’inoculer dans la masse. « Ce sera fait le jour dit », ai-je entendu un homme hurler à sa copine qui lui réclamait 5.000 Fcfa pour l’achat de ses serviettes hygiéniques. En voilà un qui a le propos juste.

Et il y a mieux encore. Il y a cette dernière trouvaille présidentielle qui a séduit jusqu’au-delà de nos frontières. Il y a cette lumineuse pirouette sémantique qui a mis dans le vent les esprits les plus vigilants : le glissement. Avec le glissement tout est possible, tout est réglé. A-t-on glissé ? S’est-on fait glisser ? Est-ce une glissade ou une simple feinte pour déjouer un adversaire ? Toujours est-il qu’avec son nouveau concept lumineux, le Roi-président a totalement rabattu les cartes. Avec le glissement tout se comprend, tout s’explique. Si on n’a pas pu être prêt le jour dit pour la Can, c’est qu’on a légèrement glissé. Tout comme « la petite » qui n’a pas honoré le dernier rendez-vous. Elle a glissé…

L’explosion à la Sonara devient le fait d’un glissement managérial, le calvaire à l’entrée de Douala n’est que la conséquence d’un petit glissement (chinois) dans la livraison des chantiers. La quincaillerie chinoise vendue à prix d’or à l’Etat du Cameroun et abusivement appelée ordinateur portable est défectueuse parce qu’il y a eu un glissement technologique lors de la conception. Le glissement ouvre même d’autres perspectives. Camer.be. On peut encore glisser de la Can 2021 pour celle de 2023 sans que le monde n’y trouve à redire. Le concept est aussi visqueux que doux. Il fait passer la pilule sans l’amertume. Il enveloppe la bêtise dans le verbe. Il camoufle l’incurie dans l’aporie. Il fait passer les vessies pour des lanternes. Le faux pour le vrai. Les philosophes savent nommer cet exercice : c’est du sophisme. Et les sophistes n’ont rien à faire dans les Académies.

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